mercredi 4 avril 2012


La thérapie du Photomaton

LE MONDE | 
La cabine d'un Photomaton et le divan du psychanalyste ont en commun d'être des endroits où l'on s'expose, et où on attend d'en savoir plus sur soi. La machine silencieuse observe, elle n'exige rien, elle ne juge pas. Mais elle renvoie à chacun sa propre image... Ces similarités n'ont pas échappé à Alain Baczynsky. De 1979 à 1981, cet étudiant en art d'origine belge, installé à Paris, s'est livré à de drôles de séances de Photomaton psychanalytique. Après chaque rendez-vous avec son psy, il passe par l'automate tout proche, rue Jussieu. En une image et en quelques mots griffonnés sur l'envers de la photo, il résume le contenu de la séance, "pourgarder une trace. C'était très spontané, je faisais ça sous le coup de l'émotion", raconte Alain Baczynsky trente ans après les faits. Dans la cabine, il rejoue ce qui s'est passé... ou pas. Car, dit-il, "en analyse, on est souvent bloqué".
En trois ans, le temps de sa psychanalyse, il prendra ainsi 242 autoportraits dont une sélection a été réunie dans un livre aux éditions Textuel. Ces mises en scène au Photomaton sont particulièrement expressives : tantôt il pleure, tantôt il est mutique. Il se frappe, il se recroqueville au fond de l'image, ou il rature son visage. Il s'exhibe ou se dérobe, laissant ses mains ou ses vêtements parler à sa place. Certaines séances sont terribles : le 11 mars 1981, il livre une image quasiment blanche. Au dos, il inscrit :"Maman, ce gros mot." Ou bien il s'énerve sur lui-même : "La bouche pleine de merde et ça ne sort pas." Les textes, dans lesquels il ne s'épargne pas, livrent les questions qui le taraudent : les rapports avec sa mère, son identité juive problématique - "Je suis de la deuxième génération après laShoah. Mes parents ne faisaient confiance quasiment à personne... il fautapprendre à casser ce schéma." Au fur et à mesure des séances, les textes se font plus longs tandis que le visage s'efface, jusqu'à disparaître, ne laissant que le rideau muet. Et la série s'arrête en même temps que la psychanalyse.
On aurait tort de réduire Alain Baczynsky à l'être torturé sur l'image. "Je vais bien, merci", coupe-t-il en riant. Il se souvient d'ailleurs de cette période d'analyse comme d'"une époque super. Quand on va chez le psy, on ouvre des tiroirs et on pleure, dit-il, mais après, on revient à la vie de tous les jours". Et l'expérience était moins tragique que "tragi-comique" : il y avait des manifestations étudiantes, et le cabinet du psy, rue Jussieu, était aux premières loges. "Il devait fermer la fenêtre pour éviter les gaz lacrymogènes. En bas, les gens criaient "CRS, SS !", et moi je me demandais ce que je faisais là à raconter mes conneries..."
Exposer son intimité
Les photos ont dormi pendant des années dans une valise. Alain Baczynsky les a emportées en Israël, où il a fait surtout du théâtre et produit des oeuvres liées à la photographie. Il les avait oubliées, jusqu'à ce qu'une de ses amies, qui connaissait l'histoire, en parle devant Clément Chéroux en 2010. Ce conservateur au Centre Pompidou préparait une exposition sur le Photomaton (actuellement présentée au Musée de l'Elysée, à Lausanne). Alain Baczynsky n'a pas hésité à exposer son intimité. Il a même accepté que ses images rejoignent les collections de l'Etat. "Je me suis demandé si je n'étais pas en train de me déshabiller devant tout le monde. Mais je pense que beaucoup de gens qui ont fait ce chemin peuvent se reconnaître dans ces émotions." Il évoque d'autres artistes qui ont fait de leur intimité la matière de leur oeuvre, comme Sophie Calle : "Je n'ai pas copié sur elle, à l'époque elle était encore au lycée !"
A Paris, trente ans après les faits, Alain Baczynsky a aussi tenu à revoir son psychanalyste de l'époque, pour lui montrer ses photos. Il n'en est toujours pas revenu.
Couverture de l'ouvrage d'Alain Baczynsky, "Regardez, il va peut-être se passer quelque chose...".

"L'Esthétique Photomaton", Musée de l'Elysée, Lausanne. Jusqu'au 20 mai.
Regardez, il va peut-être se passer quelque chose, d'Alain Baczynsky, Ed. Textuel, 240 p, 29 €.

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