mardi 15 novembre 2011


FOUS & FOLIES AU TEMPS DES AVANT-GARDES

MARC DÉCIMO

Anouck Cape, Les Frontières du délire : écrivains et fous au temps des avant-gardes, Paris : Honoré Champion, 2011, 280 p., EAN 9782745321619.
Mot(s)-clé(s): Surréalisme - Folie - Fous littéraires - Avant-Gardes - Aliénisme
Issu d’une thèse soutenue il y a peu à Paris X, le livre d’Anouck Cape veut présenter la réalité de la folie comme « un fantasme culturel modelé par la psychiatrie comme par la littérature ». Elle parcourt ainsi un certain nombre de textes de l’un et l’autre domaines afin de montrer comment ces représentations se sont construites. Il s’agit cependant bien d’un ouvrage d’histoire littéraire : l’intention de la thèse consiste à expliciter la façon dont les écrivains d’avant-garde ont créé leur vision du fou comme figure privilégiée de la modernité, à partir de leur lecture de la littérature aliéniste, puis de la psychiatrie (il conviendrait sans doute de distinguer puisque les intéressés le font), par les apports plus tard de la littérature psychanalytique et aussi, pour certains, à partir de leur propre expérience de la folie comme thérapeute ou comme patient.
Le fait est connu et il n’est pas neuf, la littérature est depuis longtemps plus clémente à l’égard de la folie que l’aliénisme. Les influents Max Nordau et Cesare Lombroso en suivant Morel sur le terrain de la dégénérescence ont situé négativement écrivains et artistes du côté des « dégénérés supérieurs ». Dans ce contexte, qui se réclame de la folie en littérature ou en art fait montre de provocation subversive, qui tient à se démarquer souhaite ne tomber point dans l’amalgame de cette nosologie terriblement dépréciative. Là est un des mérites d’A. Cape, et non des moindres, que d’avoir lu les prises de position des divers acteurs littéraires et d’en faire part (l’affaire Paul Dermée en 1919 est en ce sens exemplaire). Il faut y aller minutieusement et les dates comptent pour qui veut comprendre les stratégies développées par les auteurs à tel moment, même si certains préjugés ont la vie tellement dure qu’ils imposent leur chape dans l’opinion par‑delà les avancées de la science médicale. La position de certains aliénistes est toutefois loin d’être claire et il faudra un jour étudier leurs écrits et leurs réalisations de près. On a beau jeu de citer Marcel Réja. Michel Thévoz avait bien montré que le point de vue aliéniste qui conditionne la vision psychocognitive par la quête de symptômes sur lesquels compter pour définir un diagnostic et de là un traitement, n’était dans l’Art chez les fous (1907) pas exempt d’appréciations esthétiques favorables. Mais, alléguait-il, Réja était aussi un écrivain. Mais qu’en est‑il exactement de Marie de Vinchon (qui fréquente Apollinaire), et d’autres plus avant ? Déjà en 1867 Sentoux en présentant des textes fous si peu fous était‑il si insensible pour réussir à brouiller les frontières à des fins politiques ?
Dans la deuxième partie, « De l’art pathologique à la reconnaissance », A. Cape montre combien la sensibilité sur les écrits de fous évolue, notamment par le fait des surréalistes qui publient certains écrits dans leurs revues. En 1924, dans un numéro spécial de la revue surréalisteFeuilles Libres, à côté d’un faux texte de fou — canular dû à Desnos, bien que signé Éluard, est notamment publié un ensemble d’écrits d’internés. C’est un des temps forts de la démonstration. 1924 est aussi l’année de la publication du Manifeste du surréalisme.
Dans ce parcours de l’institutionnalisation littéraire, A. Cape rate en 1912 deux jalons de taille : l’effet Raymond Roussel et l’effet Jean‑Pierre Brisset, à l’impact durable chez Breton et Duchamp. En sortant de la représentation d’Impressions d’Afrique en compagnie de Duchamp et de Gabrielle Buffet-Picabia, Apollinaire affirmera pourtant tenir un nouveau Jarry. Et, pourquoi pas, l’effet Lautréamont. Certainement Dali tient aussi une place de choix à partir de 1929 en élaborant sa théorie de la paranoïa-critique. On aurait souhaité voir cités à ce propos les travaux de Frédérique Joseph-Lowery (2006) sur les choix esthétiques du français dalinien (qu’avait annihilé l’édition de Michel Déon) et ceux d’Astrid Ruffa, précisément intitulés Dali et le dynamisme des formes. L’élaboration de l’activité « paranoïa-critique » dans le contexte socio-culturel des années 1920‑1930 (2009).
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