mercredi 13 avril 2011

La folie mise en chaîne et en scène
Par ERIC FAVEREAU

C’était en 1793 : Jean-Baptiste Pussin, un ancien patient nommé surveillant et sa femme, Marguerite, amènent Philippe Pinel, médecin chef de Bicêtre, à retirer les entraves et les chaînes aux aliénés. Geste hautement symbolique, entré depuis dans l’histoire de la psychiatrie. En 2011, «l’Assemblée nationale vote une surveillance et un contrôle à domicile des personnes malades sous camisole chimique», a expliqué le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, lors d’une manifestation qui s’est tenue samedi devant la statue de Pinel, aux portes de l’hôpital la Pitié à Paris. «Deux siècles après, les chaînes sont de retour», ont scandé les manifestants.

«Des
chaînes, pour quoi faire ?» a-t-on envie de demander quand on lit la très jolie pièce de théâtre que vient d’écrire et de jouer Jean-Christophe Dollé. Abilifaïe Leponaix (1) est un texte où quatre schizophrènes se côtoient, se parlent, s’évitent, puis se retrouvent. On est loin de la rigolade autour du fou, ou de la peur devant le délire. Les mots sont là, justes. Et on les écoute. «On dit : être fou, c’est mal. Enfin, on ne le dit pas, mais on le pense. Le dire, c’est mal, le penser c’est bien. Etre fou, c’est mal. Ah bon ? J’ai fait quelque chose de mal, moi ? Etre fou, non, c’est comme être un chien, ou être une pierre, ou être un sèche-linge», dit ainsi Antoine.

Puis Ketty : «Les crises, les hallucinations, les voix qu’on entend, tout ça, c’est simplement pour se rassurer. Une manière de lutter contre les résistances du monde. Des armes qu’on fabrique pour résister. Mais pourquoi les gens s’acharnent à nous démontrer qu’on a tort ? On ne devrait pas avoir à lutter. Si les gens acceptaient, on n’aurait pas besoin de lutter. Parce que cette lutte, c’est une souffrance pour nous.»

Ouencore Soizic : «Moi, je veux bien qu’on me dise que je suis folle. Ça ne me dérange pas. Je suis folle, je le sais. Mais, parfois, j’aimerais bien que quelqu’un me dise ce que c’est exactement, être fou. Ça m’aiderait de l’entendre.» Et ainsi se poursuit ce dialogue, sans queue ni tête, tout simplement humain. Ces échanges ne tombent pas du ciel. Ils ont été construits à partir de témoignages recueillis par une psychologue, puis Jean-Christophe Dollé les a mis en scène.

(1) Ed. l’Ecarlate, 92 pages, 11 euros. Abilifaïe et Leponaix sont deux médicaments prescrits aux schizophrènes.

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