samedi 25 décembre 2010

TV5MONDE
A Marseille, des exclus tournent un film pour ne plus être des "Lambdas"


De Jordane BERTRAND (AFP)

MARSEILLE — Scénario, repérages, premiers ou seconds rôles: pendant un an, Annick, Pascal et Mickael, en situation d'exclusion, ont puisé dans leur vie pour nourrir "Hopecity", une comédie grinçante dont le tournage, encadré par des professionnels, vient de s'achever à Marseille.

Lancé en 2009 au sein de la Boutique Solidarité de Marseille, structure de la Fondation Abbé Pierre qui accueille en journée des personnes en difficultés, un atelier d'écriture de scénario a réussi à mobiliser un groupe de fidèles: une femme et trois hommes qui, malgré un quotidien douloureux, se sont pris au jeu de l'écriture fictionnelle.

Les séances, animées par deux bénévoles de l'association, Léa Jamet, réalisatrice, et Théo Trifard, comédien, font rapidement émerger un thème: la misère, mais avec un ton décalé. Au ban de la société, on n'en est pas moins doté d'humour, tel est le message qui ressort de cette expérience, explique Léa Jamet.

Après un an de travail, le scénario du moyen métrage est achevé: à Hopecity, une ville imaginaire, la société est divisée en deux clans, les Nantis et les Lambdas. Les premiers, minoritaires, ne supportent ni la vue ni la présence des seconds et mettent en place un plan d'éradication...

"Lorsqu'on nous a demandé de quoi on voulait parler, j'ai dit +la misère, et les gens qui se cachent à cause de leur misère+", explique Annick Sylvestre, 55 ans, ancienne aide-soignante qui survit dans un hôtel meublé et n'a pour tout travail que deux heures de ménage hebdomadaires.

Pascal Ludman, la soixantaine, vit dans un foyer. Il a participé à l'écriture, mais refusé d'apparaître à l'image. Mickael Rabia, 35 ans, squatteur, fait l'acteur mais s'implique aussi comme script et accessoiriste.

Quant à Jehemi Boumediene, 40 ans, dont quinze passés dans la rue, il est décédé cinq mois après le début du projet. C'est néanmoins grâce à lui que des lieux de tournage ont été repérés à Marseille, dont un tunnel désaffecté où plusieurs scènes ont été filmées.

"Chacun a écrit son rôle et construit l'histoire globale", raconte Théo Trifard, qui tenait à la fiction "pour que chacun ait la liberté de choisir son personnage".

Le concours bénévole d'une cinquantaine de techniciens et acteurs professionnels ou en formation, ainsi que les rabais accordés par des sociétés de location de matériel, ont permis de tourner en deux semaines "un vrai film" qui sera achevé en mars 2011.

"On s'y est tous mis, et finalement, il n'y avait plus les exclus et les autres, mais une équipe sur un tournage", se réjouit Jérôme Olivier, directeur de la photo. "Des hommes et des femmes autour d'un projet", résume le comédien Christophe Grégoire, un habitué du Festival d'Avignon, qui a fait répéter les textes.

Théo Trifard se réjouit: "Grâce à ces soutiens, on fait un film de 500.000 euros avec 50.000 euros", accordés par la Fondation Abbé Pierre dans le cadre d'un programme de lutte contre l'exclusion. Le comédien et producteur commence à démarcher télévisions et festivals.

"Je suis fière. Cela m'a fait beaucoup de bien de montrer de ma vie personnelle, ça m'a fait oublier mes mauvaises expériences", résume Annick - qui joue Madeleine, une "lambda" à la rue après avoir perdu son emploi - et dont tous soulignent "l'émotion" du jeu malgré des difficultés à s'exprimer et à se déplacer.

"Cela a amélioré grandement la communication entre eux et avec les autres", se félicite Léa Jamet, qui parle d'"une expérience valorisante qui aura des conséquences au-delà du tournage".
Copyright © 2010 AFP.





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