dimanche 12 décembre 2010

Tribune Par ANNE COPPEL sociologue

Drogues: consensus sur la dépénalisation


Encore une fois, la France s’enferme dans une conception archaïque de la politique des drogues qui ignore les avancées de l’expertise internationale.

Encore une fois, la France s’enferme dans une conception archaïque de la politique des drogues qui ignore les avancées de l’expertise internationale. Or cette expertise propose désormais une stratégie cohérente et réaliste. Le 26 octobre, à l’ONU, un expert, Anand Grover, a fait cinq recommandations, dont l’adoption des mesures de protection de la santé et la dépénalisation de l’usage et de la détention, validées par des collectifs d’experts internationaux. Lors de la conférence internationale de lutte contre le sida en juillet à Vienne, Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, a été très clair : «L’une des priorités pour le monde est de faire cesser les fonds alloués à la soi-disant "guerre contre la drogue" qui s’est révélée être un échec et s’est trop souvent transformée en une guerre contre les usagers… Les fonds publics devraient au contraire fournir à tous ceux et celles qui en ont besoin un accès aux services de réduction des risques

Cette remise en cause de la guerre à la drogue est un tournant majeur. Ces dernières années, les politiques de réduction des risques ont fait la preuve de leur efficacité dans la protection de la santé. En août 2009, ces politiques ont été adoptées par l’ONU, conformément aux recommandations de l’OMS, puis validées en France par l’Inserm. Des synthèses internationales ont démontré que la criminalisation de l’usage et de la détention a des effets dévastateurs sur la santé et la sécurité. Il est également prouvé que la dépénalisation, ou décriminalisation (qui n’implique pas de renoncer à l’interdit) n’augmente ni la consommation ni le trafic de drogue. Par contre, elle permet de surmonter les obstacles créés par la criminalisation dans la protection de la santé, obstacles qui s’accompagnent de graves violations des droits de l’homme.

Car le rapport Grover relève du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Invoquer les droits de l’homme pour justifier la dépénalisation de l’usage, voilà qui en France est impensable, assimilé à la revendication du «droit de se droguer». Le rapport rappelle seulement que tout être humain, fût-il consommateur de drogues, a des droits, dont le droit à la santé. Les recherches démontrent les conséquences catastrophiques des politiques de tolérance zéro qui, aux Etats-Unis, ont abouti à un triplement des incarcérations en vingt-cinq ans. La protection de la santé ne peut être invoquée pour justifier la criminalisation de l’usage : il est prouvé que plus la répression augmente, plus la mortalité augmente.

Si le rapport Grover appelle à une refonte du cadre international, il propose surtout des mesures qui peuvent être mises en œuvre immédiatement. Les experts ne s’aventurent pas à recommander le renoncement pur et simple de la prohibition des drogues. Chacun peut avoir ses convictions et cette mesure radicale n’est pas envisageable dans un avenir proche. Il en est de la politique des drogues comme des paradis fiscaux. Le changement de cadre proposé par les experts se limite à des mesures dont l’efficacité est prouvée en matière de protection de la santé mais, si modeste soit-il, ce changement ouvre de nouvelles perspectives. Un exemple, la lutte contre le trafic. Plutôt que de lutter contre le trafic lui-même qui conduit à un renforcement des organisations clandestines, la répression devrait privilégier les conséquences du trafic telles que la violence, le blanchiment et la corruption.

Ce changement de perspective est ignoré en France où le consensus sur la guerre à la drogue est plus large que jamais. La politique de tolérance zéro a été appliquée aux usagers, délinquants selon la loi, sans que personne ne proteste. L’immobilisme français sur la loi de 1970 a longtemps reposé sur la croyance qu’il y avait «une dépénalisation de fait», que l’interdit avait une fonction purement symbolique, et qu’il n’y avait pas d’usager en prison pour usage. Les statistiques montrent au contraire que la répression a été continue depuis 1970, avec deux fois plus de condamnations pénales de 2002 à 2008. Or, plus la répression progresse, plus elle s’impose à l’opinion comme une évidence. Les Français restent persuadés que la peur du gendarme est la seule protection efficace, mais ils sont également convaincus que la réponse médicale est la meilleure face à l’usage. Il appartient aux experts de santé publique de se faire entendre et aux médias de communiquer l’état du débat au niveau international.


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