dimanche 12 décembre 2010

dijOnscOpe

Psychiatrie citoyenne : Quand les patients deviennent soignants...
Émilie Petit

09 déc 10

Lundi 06 et mardi 07 décembre 2010, le gratin du milieu psychiatrique international s’est retrouvé à Besançon (Doubs), pour un débriefing sur la psychiatrie citoyenne, nouvelle forme de soins prodigués aux patients. C’est donc sous la houlette de Marie-Noëlle Besançon, chef de file de ce courant de pensée, que citoyens, malades, étudiants et professionnels de la santé ont réfléchi, ensemble, à l’avenir de cette psychiatrie encore méconnue...

"Il faut faire évoluer les mentalités"

En ce début des périodes de fêtes, Marie-Noëlle Besançon, chef de file du courant psychiatrie citoyenne, est aux anges. Cela fait deux ans qu’elle attend cette conférence, mise en place par ses soins : "La psychiatrie citoyenne permet d’avancer dans le domaine psychiatrique, parfois sclérosé et hermétique à de nouvelles formes de soins, pour des patients instables et fragiles", souligne-t-elle. Une quinzaine d’intervenants se sont donc rejoints à Besançon, dans le Doubs, pour évoquer l’avenir et les avancées dans le domaine de la psychiatrie citoyenne. Le concept ? Créer un espace d’accueil et de vie pour les malades psychiques, au sein duquel ils pourraient vivre normalement et se sociabiliser. Un pari que Marie-Noëlle Besançon a tenté de relever. Voilà en effet 21 ans que la Maison des Sources existe et prospère. Située au cœur de Besançon, en plein centre-ville, cette structure accueille une centaine de personnes, malades, exclues du système social, nécessitant des traitements médicaux suivis.

La psychiatrie citoyenne peut-elle être perçue comme une alternative aux soins en vigueur actuellement ? C’est en tout cas le souhait des psychiatres adeptes de cette nouvelle méthode. Les malades, quels que soient leurs symptômes, vivent ensemble, échangent sur leurs expériences et s’entraident au quotidien. La Maison des Sources est donc perçue par les professionnels, comme un intermédiaire entre les lieux de soins, généralement des Centres hospitaliers spécialisés, et la société, qui les rejette et les isole. Redonner leur dignité aux malades et les réhabiliter socialement : voilà l’ambitieux projet des IAF (du nom de l’association de Marie-Noëlle Besançon "Les Invités au Festin") tels que la Maison des Sources à Besançon.

Les centres de réinsertion : une "première" maison...

Un concept, qui germe un peu partout en France. Depuis quelques années, en parallèle des IAF mis en place notamment à Besançon et Boulogne Billancourt (Hauts-de-Seine), d’autres structures similaires ont fait leur apparition. C’est le cas à Lille, grâce à la volonté d’Alain Moron, président de l’association Fraternative, également présent lors de la conférence sur la psychiatrie citoyenne. Lorsqu’il a découvert le premier ouvrage de Marie-Noëlle Besançon, On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux, paru en 2007, Alain Moron a eu une révélation :"Pour la première fois, une personne avançait la possibilité de vivre normalement, ou presque, pour ces personnes en fragilité psychique et en rupture sociale".

Mais lieux de vie et lieux de soins sont-ils compatibles au sein d’un seul et même endroit ? Pour Alain Moron, il est en tous cas évident que les moyens mis en œuvre actuellement pour soigner les malades psychiques ne sont pas suffisamment efficaces. "On peut parfaitement guérir d’une maladie mentale. Le problème actuellement, c’est que l’on considère qu’un malade psychique est dangereux. Les gens ont peur car ils ne comprennent pas ces névroses ou psychoses qui ne sont pas d’origine physique, mais bel et bien psychique".  Et Alain Moron sait de quoi il parle : son fils Guillaume est interné depuis six ans en hôpital psychiatrique. Sa maladie psychique a été diagnostiquée à l’âge de quinze ans ; il a aujourd’hui trente-cinq ans. Alain Moron et sa femme ont donc cherché une alternative à l’internement psychiatrique pour leur fils. Sans succès.

En France et ailleurs : un milieu médical en crise

Côté chiffres, en France, la densité moyenne de psychiatre est de 21,8 médecins pour 100.000 habitants, selon le compte rendu de l’audition des psychiatres du 29 mai 2010 (Lire ici). Un chiffre en baisse par rapport à 2008, reflet d’un milieu en crise. Ce même compte rendu met également en avant les difficultés, dans le milieu hospitalier, d’accueil et de prise en charge des patients. Le manque de psychiatres dans les hôpitaux et l’importance de la vacance des postes, mettent à mal le droit des patients à être soignés. Les places sont donc très chères.

Mais la France n’est pas si mal lotie. Au Bénin, comme en Côte d’Ivoire, les croyances traditionalistes désignent, encore aujourd’hui, les malades psychiques comme possédés ou sorcier. C’est pourquoi la coutume veut qu’ils soient attachés à un morceau de bois, dans le but de les immobiliser pour éviter les "dérapages incontrôlés". Des pratiques contre lesquelles se bat Grégoire Ahongbonon, responsable de réinsertion en Côte-d’Ivoire. Son documentaire, Prisonnier du bois, présenté lors de ces deux jours de conférence à Besançon, a suscité l’émotion. Il a lui-même expérimenté la psychiatrie citoyenne. Dans son centre, ce sont les anciens malades qui prennent en charge les nouveaux résidents. "Trouvez-vous normal que des êtres humains soient traités comme des animaux ?", s’insurge-t-il. René Koch, ancien SDF, a été particulièrement touché par l’humanité de Grégoire envers ses patients. Il est lui-même au service de personnes étant, comme lui auparavant, fragiles psychologiquement : "Cela fait maintenant cinq ans que je travaille dans un centre d’aide pour malades psychiques. Je me sens utile. J’essaye de leur donner beaucoup d’amour. A moi, ça me donne du soleil", explique t-il, le sourire aux lèvres.

Enfin, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il existe près de 600.000 familles touchées par la maladie psychique, en France.  Avec d’ores et déjà trois IAF et plusieurs autres en construction, la recherche concernant la psychiatrie citoyenne continue, et tente d’inclure de manière récurrente la famille du malade dans les programmes de réinsertion. Mais cette méthode, coûteuse et non prise en charge par l’Etat, n’est pour l’instant pas encore reconnue d’utilité publique. Et donc non applicable au sein d’un hôpital...



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