dimanche 17 octobre 2010





L'œuvre d'Italo Svevo trouve un second souffle
Par Emmanuel Hecht

14/10/2010

Les romans et les carnets intimes d'Italo Svevo sont publiés dans une nouvelle traduction. Un classique de la Mitteleuropa à (re)découvrir.
C'est par la "dernière cigarette", que tout fumeur invétéré rêve de consumer pour se libérer de la dépendance tabagique - en l'espèce, il s'agit de Zeno Cosini, personnage central de La Conscience de Zeno, son roman majeur - qu'Italo Svevo (1861-1928) est entré dans la littérature mondiale. C'est aussi par le recours à la psychanalyse comme artifice romanesque : en 1923, la démarche était originale. La Conscience de Zeno regroupe en effet les carnets intimes d'un rentier cinquantenaire, velléitaire et hypocondriaque, qui fait lors d'une thérapie le récit à la première personne des événements marquants de sa vie : la mort de son père, ses interminables fiançailles, ses déboires dans les affaires. Svevo a ses inconditionnels, ils se féliciteront de la publication en un seul volume de ses romans, dans une nouvelle traduction, Une vie, Senilita, La Conscience... et de ses Ecrits intimes. L'intéressé n'aura pas le loisir de goûter cette revanche posthume. Jusqu'aux dernières années de sa vie (il est mort dans un accident de la route du côté de Trévise), il est condamné à l'insuccès - pire, pour un écrivain : à l'anonymat. Au point d'écrire, au faîte de la mélancolie : "En ce monde, il faut écrire, mais il est inutile de publier." Il faut, en 1925, l'intérêt de Valéry Larbaud, du jeune Eugenio Montale, futur prix Nobel de littérature, et de James Joyce, son ancien professeur d'anglais, pour qu'il savoure une reconnaissance tardive et éphémère. 

Même aujourd'hui, sa réputation n'échappe pas aux malentendus. Svevo, écrivain de la psychanalyse ? Certes, il voyait dans la méthode du Dr Freud une mine pour les romanciers, mais il se méfiait de la thérapie depuis l'échec de la cure de son jeune beau-frère Bruno Veneziani, chimiste et musicien de talent. Svevo, écrivain de la "dernière cigarette" ? Certes, le troisième chapitre de La Conscience... est un morceau d'anthologie. 

Introspection et crise de conscience européenne


Mais le livre, on l'oublie, se termine en 1916, en pleine guerre, par une vision prémonitoire et apocalyptique : "Quand les gaz asphyxiants ne suffiront plus, un homme fait comme les autres inventera, dans le secret d'une chambre de ce monde, un explosif en comparaison duquel tous ceux que nous connaissons paraîtront des jeux inoffensifs." L'écrivain proclamé de l'introspection, né Ettore Schmitz, citoyen autrichien de langue italienne, juif, incarne d'abord la crise de conscience européenne. Comme ses cadets Musil et Zweig, il appartient à l'empire disparu des Habsbourg et il en partage l'humour et l'ironie. Il n'est pas viennois comme eux, mais triestin, originaire de cette ville où les identités italienne et autrichienne s'enchevêtraient au point que l'Europe y parut viable.

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