dimanche 5 septembre 2010





Une association proche de la scientologie attaque la psychiatrie

Mardi soir, deux membres de la Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme (CCDH) se sont installés à la station de métro « Saxe-Gambetta ». Leur but : dénoncer les abus psychiatriques. Une action qui se répétera durant tout l’été sur Lyon.

Ce mardi, l’association anti-psychiatrique a pris ses quartiers dans le troisième arrondissement, à la rencontre des lyonnais. Certains d’entre eux se sont montrés très intéressés par la question de l’utilité de la psychiatrie, se montrant toutefois sceptiques vis-à-vis de la psychiatrie.

En effet, la CCDH est une organisation contestée par la ligue des Droits de l’Homme, puisque co-fondée aux États-Unis en 1969 par l’Eglise de Scientologie. La CCDH « dénonce les atteintes aux droits de l’homme dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale. »

A travers les tracts, les militants accusent la psychiatrie et l’industrie du médicament « d’un complot international », qui se refléterait à Lyon dans les hôpitaux de Vinatier et de Saint-Jean-de-Dieu.

« Pour les droits de l’homme en France ! » pouvait-on entendre de leur bouche. Des passants intrigués interrogent le président de l’association à Lyon, Jean-Paul-Blanc : « En quoi les psychiatres attaquent les droits de l’homme ? Les psychiatres, ils sont là pour aider les gens, ils aident aussi les gens ! » Gêné, Jean-Paul Blanc tente de répondre : « Ceux qui se plaignent disent que non ! » « Eh bien, il faut aller en voir d’autres, il y en a qui soignent, c’est comme partout il y en a des bons et il y en a des mauvais » rétorque une passante. « Bien sûr, tout à fait, c’est vrai, »s’incline J-P. Blanc avec un sourire embarrassé. « Moi ce qui me gêne, c’est le rapport entre la Scientologie et votre association » avoue un intéressé. « Vous ça vous gêne, moi non !

Mais pourquoi cette association rejette-t-elle la psychiatrie ?

Dans la lignée de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, l’association considère la psychiatrie comme une « industrie mortuaire » « La psychiatrie est la plus grande fraude de tous les temps. C’est aussi la plus dangereuse, » indique dans une revue de l’organisation, Jan Eastgate, présidente de la CCDH internationale et... membre de la Scientologie. Dans une revue de la CCDH, un lien direct est fait entre la criminalité et la psychiatrie : « Les traitements psychologiques et psychiatriques favorisent la criminalité » à travers les médicaments comme les antidépresseurs. Jan Eastgate continue son argumentation en assimilant terrorisme et pratiques psychiatriques sur le site psychassault.org (site web proche de la Scientologie) : « Le terrorisme pour nous, n’est rien d’autre que le produit d’individus fous, et qu’avec ces fous, sont véhiculées des intentions tout aussi folles [...] Ces gens sont manipulés par des techniques psychiatriques ou psychologiques qui sont destinées à obtenir un contrôle du comportement et du mental. » Les médicaments tels que les tranquillisants, les antidépresseurs ou les sédatifs agissent, selon l’association, comme des drogues illégales sur le comportement humain entraînant des modifications dans notre façon de penser, de voir ou de sentir. Un propos qui ne colle pas forcément avec la réalité scientifique.

« Avec la psychiatrie, on obtient des résultats »

Max Lafont, président du Groupement des Psychiatres Libéraux Rhône-Alpes et psychiatre à Lyon, entend rétablir quelques vérités scientifiques.

Entretien.

LyonCapitale : Selon la CCDH, les électrochocs constituent un danger pour le patient atteint d’une maladie mentale, avec des conséquences irréversibles. Ont-ils raison de dénoncer cette pratique ?

Max Lafont : Il y a eu plusieurs phases dans l’histoire. Aujourd’hui, la communauté des psychiatres a cerné que la sismothérapie (traitement par électrochocs, NDLR) était efficace contre les troubles de l’humeur. Ceux qui la pratiquent, utilisent l’anesthésie. Aussi, la décharge électrique n’est plus utilisée sur les deux lobes du cerveau mais sur un hémi-cerveau car les conséquences pouvaient être des troubles du cerveau, réversibles avec le temps. La pratique est efficace mais la sismothérapie doit se faire avec des indications précises et une surveillance sérieuse. La communauté des psychiatres fait consensus sur les résultats probants de la sismothérapie sur les troubles de l’humeur. Pour inverser l’argumentation, on peut faire plus de mal en donnant de façon inappropriée certains médicaments psychotropes qui ne conviennent pas à des personnes atteintes de troubles de l’humeur, et surtout en ne les soignant pas du tout, qu’en pratiquant la sismothérapie à bon escient.

Les hôpitaux, comme le Vinatier, abusent-ils de cette pratique ?

La pratique est assez limitée puisqu’il faut mobiliser un anesthésiste, du matériel de pointe, etc. Même si je n’y exerce plus, je sais que dans un établissement public comme au Vinatier, la pratique reste très limitée. Il faut souligner le fait que des confrères ont eu des résultats avec la sismothérapie et aujourd’hui ils défendent la méthode. J’ai une patiente qui était atteinte de troubles de l’humeur et du sommeil. Je ne savais plus quel traitement lui donner. Elle a demandé à aller en clinique et on lui a proposé deux séries de plusieurs chocs. En sortant, je dois reconnaître qu’elle allait très mal, j’étais inquiet... Mais après une période de deux à trois mois, après la sismothérapie, elle a totalement changé avec la disparition des symptômes et une restriction du traitement médical. Après je ne peux pas faire une corrélation scientifique absolue entre le passage en clinique et sa transformation mais il y a un lien. Comme beaucoup de psychiatres, je reste humble et circonspect sur la sismothérapie. On fait confiance.

Concernant les antidépresseurs, selon l’association, ceux-ci attaqueraient le cerveau entraînant la dégénérescence des neurones, le transfert entre neurones ne se feraient plus, à la manière d’une lobotomie chimique...

C’est un raccourci très simpliste et faux... Déjà, il y a plusieurs sortes d’antidépresseurs qui agissent sur la sérotonine et d’autres neurotransmetteurs. Certaines recherches prouvent justement que les antidépresseurs ont des effets neuroprotecteurs. Je prends l’exemple du lithium qui n’est pas un antidépresseur mais qui agit également dans la neuroprotection. A forte dose, le lithium est toxique, et son maniement est complexe mais les recherches les plus récentes montrent que c’est un probable neuroprotecteur qui sera certainement administré plus tard dans les maladies dégénératives telle que la maladie d’’Alzheimer.

D’après l’association, la psychiatrie guérirait seulement 1% des cas...

Là où je serais peut-être d’accord avec l’association, c’est qu’on est en déficit de bonnes évaluations et de statistiques mais on est à un pourcentage bien plus élevé que 1% ! On a des résultats et cela mérite d’aller encore plus loin. La psychiatrie a encore beaucoup de progrès à faire. On a une meilleure connaissance sur les troubles bipolaires qui se guérissent plutôt bien. Les antidépresseurs et la neuroclinique, comme avec le lithium, sont efficaces. La plupart du temps ça marche mais il faut associer la chimiothérapie avec une psychothérapie plus ou moins importante selon les troubles névrotiques. Il faut soigner dans le soutien et la régularité pendant une longue période. Généralement, on a affaire à des maladies à vie que l’on arrive tout de même à stabiliser. Certains patient atteints de troubles viennent me voir une à deux fois par an et sont "biens" depuis vingt ans.

Bastien Gouly

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