samedi 9 janvier 2010







ACTUALITE MEDICALE

Quelle place pour la psychanalyse dans la presse médicale ?

Publié le 29/12/2009

Avec les progrès (les ravages ?) de « l’evidence-based medicine »[1], y compris en psychiatrie, et la suprématie des essais thérapeutiques contrôlés (randomised controlled trials) dans la littérature médicale de référence, on peut s’interroger sur le sort des études de cas « à l’ancienne » comme celles émanant de la clinique psychanalytique, chassées des revues de renommée mondiale, tel le British Journal of Psychiatry.

Celui-ci propose justement un débat sur ce thème, en confrontant deux points de vue opposés. Un professeur de biologie, Lewis Wolpert, estime que « la psychanalyse n’a pas vocation à soigner mais à pointer ce qui est incurable » et que cette discipline semble s’exclure elle-même du champ scientifique en prônant le primat de la subjectivité, avec l’idée que « ce qui se passe dans une thérapie concerne davantage la trajectoire du thérapeute que ses patients ». Pour justifier l’exclusion actuelle des écrits psychanalytiques des grandes revues médicales, cet argument semble plus recevable : ces articles évoquent des cas singuliers, de nature sinon anecdotique, du moins peu généralisable à d’autres situations comparables. Enfin, le discours théorique greffé sur ces cas particuliers serait lui-même contestable : outre l’aspect arbitraire de la « topique freudienne » [le triptyque « ça » (id), moi (ego) et surmoi (superego)], et la place «excessive » accordée à l’enfance (excessive emphasis on the influence of childhood), « beaucoup de malades mentaux n’ont pourtant aucun antécédent d’abus sexuel ni de maltraitance dans leur enfance »…

À l’inverse, Peter Fonagy (psychanalyste) soutient l’intérêt de la démarche analytique et, plus généralement, de « l’interaction humaine » (interpersonal process) entre le médecin et son patient. Ce lien demeure toujours essentiel, malgré la déferlante (prétendument ?) objective des essais contrôlés. L’analyse de ces essais à grande échelle montre que « même un placebo peut se révéler actif » selon la façon dont on l’administre : «dans cet essai du NIMH [2], certains médecins manipulaient avec plus d’efficacité un placebo que d’autres un antidépresseur» ! La dimension subjective et intersubjective demeure donc une donnée importante de la clinique et ne saurait être évacuée aussi facilement sous les assauts de la « modernité »... À condition de ne pas s’appesantir sur des éléments contingents de ce rapport à l’autre (éléments que Lacan qualifiait de «peinturlure »), le colloque singulier conserve ainsi tout son intérêt. Y compris dans les colonnes d’une grande revue médicale ?...

[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_fond%C3%A9e_sur_les_faits
[2] Il s’agit d’une étude sur la dépression menée en 1989 par le National Institute of Mental Health (institution officielle des États-Unis).


Dr Alain Cohen

Wolpert L et Fonagy P : There is no place for the psychoanalyticcase report in the British Journal of Psychiatry (In debate). Br J Psychiatry 2009 ; 195 : 483–487.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire