dimanche 19 mai 2024

Psychiatrie : « Le manque d’attractivité des postes infirmiers en hospitalisation est criant »

Publié le 04 mai 2024

Face au manque de personnels travaillant dans les hôpitaux psychiatriques, et notamment d’infirmiers spécialisés, un collectif de psychiatres appelle, dans une tribune au « Monde », à la revalorisation des salaires de ces professionnels et à l’amélioration de leurs conditions de travail.

Nous, psychiatres exerçant la psychiatrie en service public à Paris et en petite couronne, souhaitons rendre publique notre inquiétude. Nous assistons à l’étouffement d’une profession indispensable pour notre spécialité, celle des infirmiers en psychiatrie, et constatons que l’hôpital psychiatrique en est la première victime.

Cet hôpital tant sollicité n’est à l’évidence pas une priorité pour notre administration, alors que sa solidité permettrait de retrouver une sérénité dans l’ensemble du dispositif de soins. Or, le manque de personnels compromet gravement les conditions d’accueil des patients et la continuité des soins, avec un risque majeur de dégradation de la santé mentale de la population si nous n’arrivons pas à répondre aux besoins.

L’augmentation significative des salaires des professionnels travaillant en hospitalisation, notamment des infirmiers, nous paraît indispensable pour arriver à faire face à ces enjeux. Pour accompagner, prendre en charge, accueillir toutes les personnes touchées par un trouble psychique, notre premier outil est en effet la relation, préalable à tout soin, que celui-ci se fasse à l’hôpital ou en ambulatoire.

Fuite des personnels

Cela implique que nous soyons présents, en nombre et disponibles. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui : dans beaucoup de services d’hospitalisation, un nombre croissant de postes d’infirmier sont vacants ; de nombreux services ont dû fermer des lits par manque de professionnels. Cette situation dégrade les capacités d’accueil, la qualité du soin et entraîne une pénibilité du travail qui favorise la fuite des personnels.

Il n’y a pas de signe permettant de prévoir une amélioration spontanée. Le manque d’attractivité des postes infirmiers en hospitalisation est criant : dans les conditions actuelles, ce travail est très rude, avec parfois des situations de violence. Mais, surtout, le manque de disponibilité entrave le soin relationnel et majore les tensions avec des personnes en état de crise psychique. C’est bien la possibilité de soigner qui est attaquée.

Investir pour l’hôpital psychiatrique est une nécessité absolue pour poursuivre le développement d’une offre ambulatoire de qualité, qui doit être le pilier des projets de soin. Tout soignant engagé avec un patient dans une équipe communautaire de soins à domicile, par exemple, doit pouvoir compter sur une autre équipe qui serait un recours en cas d’échec et qui aura tous les moyens humains et matériels pour accueillir un ou une patiente qu’il ne serait pas parvenu à apaiser.

Des soins de relation nécessitent des infirmiers accompagnés dans leurs carrières pour qu’ils puissent se projeter dans l’avenir en continuant à travailler en psychiatrie. Les conditions d’exercice de leur métier étant déjà, par définition, difficiles, il est nécessaire de les ajuster et de mieux valoriser leur travail et leur engagement. La réinstauration du statut d’infirmier de secteur psychiatrique, abandonné depuis trente ans, pourrait constituer une des solutions pour en renforcer l’attractivité.

Le contexte des Jeux olympiques

Les services de psychiatrie voient aujourd’hui les demandes à leur égard se multiplier : ils sont invités à s’inscrire collectivement dans la « démarche qualité », à promouvoir les droits des personnes suivies en psychiatrie, à s’ouvrir aux soins communautaires ambulatoires avec des méthodes importantes comme la pair-aidance, l’aller-vers, le suivi intensif à domicile, la coordination de parcours… Mais les soignants de l’hôpital, eux, voient leurs possibilités d’être en relation et donc de soigner entravées par le manque de disponibilité. Comment leur donner envie d’engager des démarches de progrès collectifs alors que la base même de leur travail est de plus en plus empêchée ?

Au vu des très nombreuses entrées quotidiennes dans nos services et de la saturation des urgences par des patients en attente d’admission, l’effondrement de ce lieu essentiel est un signal d’alarme que nous ne pouvons ignorer. La psychiatrie doit pouvoir s’appuyer sur un hôpital garant de la qualité des soins et d’une ambition collective de progrès social et humain, au sein même d’un lieu d’accueil de personnes qui, pour beaucoup, n’ont pas souhaité y venir.

Le contexte des Jeux olympiques nous incite aussi, en tant que services de Paris et d’Ile-de-France, à alerter sur le risque que, comme chaque été, nous ne puissions accueillir des patients restant aux urgences plusieurs jours : celles-ci ont de grandes chances d’être submergées de demandes liées à l’événement mondial que nos politiques à Paris ont décidé d’accueillir. Nous faisons donc ici état d’une situation déjà tendue mais devenue invivable depuis la crise sanitaire de 2020.

La psychiatrie publique a les compétences nécessaires pour prendre en charge et accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques et en atténuer les effets ; à la condition d’en avoir les moyens humains.

Premiers signataires : Marie-Christine Beaucousin, cheffe de pôle Hôpital Ville-Evrard (Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) ; Xavier Bonnemaison, directeur général de l’Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris, coauteur de cette tribune ; Ahmed Bouhlal, chef de pôle Etablissement public de santé (EPS) ; Barthélémy Durand,psychiatre (Sainte-Geneviève-des-Bois, Essonne) ; Hugues Bourat, chef de pôle Les Murets (La Queue-en-Brie, Val-de-Marne) ; Richard Buferne, chef de pôle et président de commission médicale d’établissement (CME), Fondation Vallée (Gentilly, Val-de-Marne) ; David Cohen, professeur des universités-praticien hospitalier (PUPH), groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris) ; Caroline Dubertret, PUPH, hôpital Louis-Mourier (Colombes, Hauts-de-Seine) ; Philippe Fossati, PUPH, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris) ; Marie-Liesse de Lanversin, cheffe de pôle au sein du groupement hospitalier Paris Est-Val-de-Marne, coautrice de cette tribune ; Jean-Paul Metton, chef de pôle et président de CME de l’hôpital Erasme (Antony, Hauts-de-Seine) ; Marie-Rose Moro, PUPH, cheffe de service, Maison de Solenne (Paris) ; Antoine Pelissolo, PUPH, chef de service, Albert Chenevier-Henri Mondor (Créteil, Val-de-Marne) ; David Touitou, président de CME, chef de pôle, hôpital Paul-Guiraud (Villejuif, Val-de-Marne) ; Marie-Noëlle Vacheron, cheffe de pôle Groupe hospitalier universitaire (GHU), Paris psychiatrie & neurosciences (Paris).


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