jeudi 30 mai 2024

Billet Allons au cimetière, c’est mortel !

par Sabrina Champenois   publié le 24 mai 2024

Alors qu’a lieu, du 24 au 26 mai, le neuvième Printemps des cimetières, éloge d’un lieu propice à cultiver son chagrin mais aussi son jardin.
 

Ce vendredi 24 mai, commence l’édition 2024 du Printemps des cimetières, neuvième du genre. L’événement a été initié en 2016 par Patrimoine Aurhalpin, association régionale pour la valorisation de tous les patrimoines en Auvergne-Rhône-Alpes, avant de prendre une dimension nationale. «Parmi plus de 365 animations en France et en Belgique, il y en a forcément une près de chez vous !» appâte le site de la manifestation.

Les femmes à l’honneur

Chaque édition a un thème (facultatif), celui de cette année est bien dans l’air du temps, féministe, il s’agit de «redécouvrir et de mettre en lumière des personnalités féminines souvent méconnues : artistes, femmes politiques, savantes…» Les organisateurs recommandent opportunément la lecture de l’excellent Mère Lachaise : 100 portraits pour déterrer le matrimoine funéraire de notre collègue Camille Paix, paru en 2022. Sinon, parmi les coups de projecteur, citons un hommage à la poétesse Marie-Denise Marinot à Clairac (Lot-et-Garonne), une visite du cimetière de Loverchy «entièrement dédiée à la découverte de femmes illustrant l’histoire d’Annecy dans divers domaines : la religion, l’industrie, la Résistance…» une lecture musicale intitulée «Françoise, Hélène, Antoinette, Isabelle et Toutes les Autres» à l’ancien cimetière de Vayres (Haute-Vienne).

Pris, ce week-end ? Pas grave. Il existe plein de bonnes raisons pour aller au cimetière.

Bon, la météo compte. Un ciel pleureur, et c’est Baudelaire garanti – celui de Spleen«Quand la pluie étalant ses immenses traînées /D’une vaste prison imite les barreaux /Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées /Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux / […] Et de longs corbillards, sans tambours ni musique /Défilent lentement dans mon âme /L’Espoir, Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique /Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.» Mais hors ondées, loué soit le cimetière.

Emotion, réflexion et imagination

D’aucuns bondiront d’effroi, diront leur phobie des obsèques. Effectivement, la grande marrade n’est pas garantie. Mais on y assiste souvent à des acmés émotionnels poignants, avec mise au jour de configurations (familiales, amicales, amoureuses) révélatrices voire sidérantes, et la cocasserie n’est pas exclue. Et quel moment est plus existentiel que celui où on accompagne un mort ? Surtout, on peut aller (on recommande d’aller) au cimetière hors obsèques.

Se rendre auprès d’un disparu est facteur de mélancolie, oui. Mais pas seulement. C’est maintenir le lien, ça fait du bien. Le côté «dernière demeure» donne, lui, à réfléchir, «ci-gît» interpelle le visiteur – qui lui, ci-vit, mais qu’en fait-il et qu’en fera-t-il avant d’à son tour franchir l’ultime palier ? Visiter un cimetière militaire, en Normandie comme à Arlington (Virginie), avec ces stèles blanches à perte de vue, a de quoi nous mettre Rappelle-toi Barbara de Prévert dans les synapses pendant des jours – «Quelle connerie la guerre.»L’usage veut que le calme y règne, pour le repos des morts ? Par ricochet, il repose les vivants, on n’a personnellement pas encore été affligé par ces sagouins de haut-parlants au cimetière.

La déco, fleurs, plaques à messages, photos, est un spectacle tour à tour émouvant, intrigant, surprenant, rigolo («A Jacquou le roi du cochonnet»). Se retrouver face à la tombe d’Apollinaire ou de Bashung est quelque chose – pour nous, du moins, chacun ses fantômes. Mais les quidams stimulent l’imagination, on aimerait savoir quelles vies ont eues ces étrangers auprès desquels on s’attarde à la faveur d’un détail – pourquoi cette lyre sur la plaque, était-il musicien ? Mort à 15 ans, que s’est-il passé ? Ce nom de jeune fille, russe… Comment est-elle arrivée en France ?

Sans compter l’intérêt architectural et esthétique, de l’ensemble ou de certaines tombes, du minimal à l’ostentatoire, du simple rectangle à l’ode tarabiscotée. Les classements des plus beaux cimetières pullulent et varient. Et ils ont une indéniable dimension historique, patrimoniale, celui du Père-Lachaise, dans le XXe arrondissement de Paris, est le plus visité au monde, avec trois millions de visiteurs annuels, cocorico. «Parce qu’il n’y a pas que la mort dans un cimetière», dit, très justement, le compte Instagram (la_vie_au_cimetière, 90 000 abonnés) de son conservateur Benoît Gallot. Allons kiffer sur les tombes.


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