lundi 8 avril 2024

Pourquoi ça marche «Depuis toujours nous aimons les dimanches», liberté de la paresse

par Claire Devarrieux   publié le 31 mars 2024

Une invitation à ne rien faire par Lydie Salvayre.
publié le 31 mars 2024 à 9h22

N’y a-t-il pas quelque contradiction à célébrer la paresse, à en égrener les vertus, à prouver qu’elle est «bonne conseillère», dans un petit livre qui montre qu’on a retroussé ses manches pour l’écrire ? Lydie Salvayre est-elle si paresseuse, qui a derrière elle une bibliographie longue de vingt-cinq titres, vingt-six en comptant celui-ci, Depuis toujours nous aimons les dimanches ? Réponse de l’intéressée elle-même, vers la fin de ce nouveau traité qui succède à Irréfutable essai de successologie : il ne faut pas confondre œuvre et travail. «Peut-on dire de Faulkner, de Woolf, de Modigliani, de Colette, d’un artisan amoureux de son métier, ou d’untel s’adonnant éperdument, impérieusement, irrésistiblement et sans relâche à la passion qui le porte, peut-on dire qu’ils travaillent, avec ce que ce mot trimballe de négativité ?»

Travaillons mieux, c’est-à-dire travaillons moins pour gagner plus, plus de liberté et d’intériorité, propose Lydie Salvayre. Mais commençons par ne rien faire. «Depuis toujours nous aimons lanterner, buller, extravaguer dans un parfait insouci du temps.» Cette inertie vitale est évidemment mal vue. Elle est subversive. Le marché est contre. Sont contre les tenants du travail comme valeur, ici nommés «les apologistes-du-travail-des-autres».

Qui parle ?

Le «nous» qui s’exprime n’est pas de majesté. Il s’agit du chœur des travailleuses, travailleurs, qui font le ménage dans les chambres d’hôtel, qui s’éreintent sur les chantiers ou à l’usine. L’autrice n’a pas le mauvais goût de s’inclure dans la masse des exploités. Elle se campe en camarade goguenarde, un peu écrivaine publique solidaire, pourvoyeuse de jeux de mots comme d’arguments politiques. Un exemple d’intervention : «Nous, mille regrets, nous préférons ne pas. (L’amie Salvayre qui semble avoir des lettres, ce que ne laissent guère soupçonner la grossièreté de son vocabulaire et ses formules à l’emporte-pièce, nous signale qu’il s’agit là d’une citation célèbre et reprise souventes fois.)»

Quel est le programme ?

Entre autres avantages la paresse «adoucit nos mœurs», écrit Lydie Salvayre, avant de résumer les propositions de grands esprits, Charles Fourier, Auguste Blanqui, Paul Lafargue évidemment, l’auteur du Droit à la paresse, Nietzsche, Bertrand Russell, Keynes enfin qui «estime qu’il n’est plus du tout indispensable de se rompre les os pour pourvoir à notre subsistance et juge que trois heures par jour équitablement réparties seraient amplement suffisantes, démonstrations à l’appui.» Organisation du travail et surproduction sont liées, on sait à quoi ça mène en termes de dévastation écologique planétaire, de casse sociale, et de création mortifère de désirs que nous ignorions avoir. Tandis que la part chômée du dimanche, en augmentant, ferait «décroître la pollution de l’air» et serait tout bénéfice côté santé.

Est-ce du vent ?

A des lecteurs paresseux, la faconde de Lydie Salvayre, la surenchère de mots donne le tournis ou au contraire apaise. Reste qu’il suffit de regarder les publicités à la télévision pour mesurer à quel point son prêche est pertinent. Telle enseigne d’hypermarchés explique que quand on travaille chez elle ce n’est pas du travail. «Plus qu’un travail une équipe» vante de son côté un leader du fast-fooding. C’est vraiment se moquer de nous.

Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, Seuil, 136 pp.


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