jeudi 25 avril 2024

«Baby botox» Médecine esthétique : les jeunes de plus en plus dingues de la seringue

par Margaux Gable   publié le 26 avril 2024 

Ces dernières années, les 18-35 ans ont investi les salles d’attentes des cabinets de médecine esthétique. Une «génération selfie», poussée par les réseaux sociaux, qui tente d’effacer dès leur apparition les premiers signes de l’âge, notamment avec le Botox.

Et à 21 ans, c’est le drame. Là, pile entre les deux sourcils. Imane a beau s’éloigner du miroir, elle ne voit qu’eux. Deux (micro) sillons verticaux se sont invités sur son visage. La fameuse ride du lion, légèrement en avance. Le temps passe, c’est inexorable, mais la jeune femme n’était «pas prête» à voir chaque jour la preuve au beau milieu de la face. Sérums, crèmes, alimentation… Grande amatrice de contenu skincare sur les réseaux sociaux, la jeune femme, qui a grandi sous le règne tyrannique d’Instagram, fait pourtant tout ce qu’elle peut pour conserver une peau «glowy» et rebondie. Il y a quelques mois, elle a même succombé à la tendance de se scotcher le visage pendant la nuit pour figer momentanément les muscles et diminuer les rides au réveil. Trois ans plus tard, fini de tergiverser. Rendez-vous est pris dans un cabinet de médecine esthétique à Figueres, en Espagne.

Pour 250 euros, la jeune femme va réaliser un «baby botox», une injection microdosée de toxine botulique pour figer les muscles et prévenir l’apparition de ridules. Resté longtemps l’apanage des femmes plus âgées, le botox séduit désormais les peaux jeunes, appâtées à grands coups de slogans marketing. Botox, injections d’acide hyaluroniqueépilation laser, soins du visage… Les 18-35 ans sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la médecine esthétique : en 2023, ils représentaient près de 50 % de la patientèle de la clinique privée des Champs-Elysées – leader en France, qui revendique près de 25 % des parts de marché –, contre seulement 8 % en 2010.

Aux yeux de sa cofondatrice Tracy Cohen Sayag, un tel boom s’explique avant tout par l’explosion du nombre d’actes à leur disposition. «En 2010, la médecine esthétique était limitée aux injections. Aujourd’hui, de nouveaux traitements corrigent des problèmes longtemps occultés : l’acné, l’hydratation de la peau, les signes de l’âge…» liste-t-elle. Preuve toutefois que la communication joue un rôle clé : «Il vaut mieux prévenir que guérir et faire un petit baby botox à 20-25 ans plutôt que de ne rien faire, laisser les rides s’installer et devoir faire un vrai botox à 40 ans, qui sera moins naturel», récite Imane. Une idée que l’on retrouve noir sur blanc, dans des mêmes termes quasi similaires, sur le site internet de la Clinique des Champs-Elysées.

Volonté de «rester beaux»

Son amie Sarah, 23 ans, est elle aussi une habituée des centres de médecine esthétique. Après trois injections d’acide hyaluronique pour repulper ses lèvres (dont les premières remontent à ses 19 ans), deux soins du visage (micropeeling et hydrafacial) et d’autres actes plus lourds de chirurgie esthétique, la jeune femme s’est également laissée tenter par le baby botox. Son but : «Ralentir le vieillissement de ma peau, mais que sur certaines zones.» Pour le moment, pas question de toucher aux ridules au coin des yeux.

Dans le viseur : les premiers signes de l’âge. Une peau qui perd en élasticité, des rides qui se creusent, un teint qui se ternit… Pour le sociologue Jean-François Amadieu, spécialiste de la question de la beauté et des jeunes, aucun doute, la tendance des piqûres et des seringues témoigne avant tout d’une volonté de fer de «rester beaux». Comprendre : rester jeunes. Dans son cabinet parisien, le docteur Oren Marco voit défiler nombre de jeunes femmes «paniquées» à l’idée de «ne plus paraître en forme» ou d’être «moins compétitives» sur le marché du travail.

Pour une génération biberonnée aux selfies, l’obsession de soi n’a rien d’étonnant. «On estime qu’un jeune aujourd’hui a la même exposition visuelle que les grandes actrices il y a des dizaines années», commente le sociologue Jean-François Amadieu. Résultat : ces derniers, qui se connaissent «sous tous les angles», sont obnubilés par leur apparence et «de plus en plus individualistes et narcissiques».

Insatiable quête

Parmi les actes de médecine esthétique chouchous des 18-35 ans, les soins du visage font partie des indétrônables. Hydrafacial, skin booster, mésothérapie… Dans les méga-cabinets du groupe de la Clinique des Champs-Elysées, ils représentaient près de 1 300 rendez-vous en 2023, en deuxième position derrière les épilations laser. Là encore, merci Instagram, Snapchat et Tiktok. Les filtres (en plus d’affiner le nez et d’étirer le regard) lissent la peau, parfois à l’extrême. «Beaucoup de jeunes s’aiment comme ça. Quand ils retirent le filtre, ils détestent ce qu’ils voient», relève Tracy Cohen Sayag. Commence alors l’insatiable quête de la peau parfaite. «Mais c’est normal : les problèmes de peau vont profondément modifier la perception que les autres ont. Ils seront considérés comme moins intelligents, moins sympas, moins attirants», analyse Jean-François Amadieu.

Alia (1) pousse pour la première fois la porte de son centre de médecine esthétique, dans le IIIe arrondissement de Paris, à 19 ans, «à force de voir des jolies filles sur Instagram». Depuis ses premières injections d’acide hyaluronique dans les lèvres, la jeune femme a renouvelé l’opération deux fois. A nouveau, les réseaux sociaux figurent sur le banc des accusés. «Ils induisent un effet de comparaison et c’est le mal-être de l’insatisfaction qui s’installe», réagit Jean-François Amadieu. Les slogans «body positive» n’y changent rien. «Chez les plus jeunes, les filles veulent toujours se féminiser et les hommes se masculiniser», constate le médecin esthétique parisien Antoni Calmon. Pour ça, la seringue d’acide hyaluronique est perçue comme LA solution : en plus de combler les rides et de gonfler les lèvres, elle permet de retracer une jawline (mâchoire) jugée trop timide, accentuer ou diminuer la pointe du menton, combler un creux et réduire une bosse sur le nez…

Face à l’éventail de possibilités et l’explosion des demandes, les médecins interrogés par Libération sont unanimes. Il est important de «ne pas dire oui à tout»Priorité : dissocier les vrais complexes des effets de mode. «Une grosse partie des actes rapides, non invasifs, sont des demandes d’amélioration physiques dues aux réseaux sociaux», précise le Dr Marco, qui dit refuser, chaque mois, «beaucoup» de sollicitations de patients. Même son de cloche à la Clinique des Champs-Elysées, où seul un rendez-vous sur trois débouche sur un acte de médecine esthétique, à en croire Tracy Cohen Sayag. A les écouter, aucun n’accepterait de pratiquer un baby botox sur une personne de moins de 30 ans. Pourtant, après une simple recherche Google, on s’aperçoit que nombreux sont les centres à en vanter les mérites – bien que cela soit interdit, tant pour les médecins que pour les influenceurs.

«Fake injectors»

Pour les plus vulnérables, le risque de se faire aspirer par la spirale infernale des seringues existe. Voire de sombrer dans celle, plus lourde, du bistouri et des tables d’opération. Il y a deux ans, Amy (1), alors matrixée par les photos de bimbos sulfureuses sur Instagramen a fait l’expérience. Après des injections dans les lèvres à 19 ans, elle a réitéré pour cacher sa bosse sur le nez, injecté sa jawline pour la rendre plus saillante, fait la chasse aux poils en se tournant vers le laser. Côté chirurgie, la jeune femme reconnait avoir refait ses seins et réalisé une abdominoplastie. «Je me suis laissée emporter, mais tout ça est derrière moi», partage la jeune femme qui a arrêté toute injection depuis un an et va troquer ses prothèses mammaires contre des plus petites. Selon les docteurs Antoni Calmon et Oren Marco, la mode déviant vers le naturel, ces profils seraient aujourd’hui «minoritaires». Rien à voir, selon eux, avec la pratique déraisonnable du Brésil ou des Etats-Unis.

En France, l’explosion de la demande attire son lot de charlatans. Charmées par des prix mini et une communication bien rodée, de nombreuses femmes confient être tombées dans les filets de «fake injectors» – ces personnes qui réalisent des injections sans être autorisées à le faire. Le danger : s’exposer à de graves complications. En juillet 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament confiait avoir reçu, en six mois, une quarantaine de déclarations d’effets indésirables à la suite de telles pratiques. Problème, à l’heure actuelle, les seringues d’acide hyaluronique sont accessibles sans ordonnance en pharmacie ou sur Internet. Alors pour ou contre la médecine esthétique, ce n’est plus la question, alertent les professionnels du secteur, qui insistent sur la nécessité de la réglementer.

(1) Les prénom ont été modifiés.


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