mardi 5 mars 2024

Réforme de la loi SRU : « La politique du logement, reflet presque parfait de notre choix de société »

Publié le 26 février 2024

En intégrant les logements intermédiaires dans le taux minimal de logements sociaux, « le gouvernement confirme sa volonté d’affaiblir une mixité sociale déjà anémique », affirme le maire (PS) de Sarcelles (Val-d’Oise), qui propose une autre voie pour renforcer la loi SRU.

« Ce ne sont pas les cités qui posent problème ; le problème, c’est que la France a consciemment ou inconsciemment parqué ses problèmes. Elle a territorialisé les exclus, elle les a concentrés dans certains endroits. » Ainsi s’exprimait, en 2008, dans Deux Maires courage. Dialogue sur la crise des banlieues (Autrement), le très respecté et trop tôt disparu Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Seize ans plus tard, son constat reste d’une acuité totale. Pire : à bien des égards, la situation s’est aggravée. Malgré l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, les zones franches, les contrats de ville et les réseaux d’éducation prioritaire ? Oui. Parce que ces dispositifs ne fonctionneraient pas ? Non, ils produisent leurs effets, mais restent insuffisants pour résorber des inégalités qui ne font que croître.

Le taux de pauvreté dans les quartiers prioritaires est trois fois supérieur à la moyenne nationale et touche désormais près d’un habitant sur deux. Un double phénomène explique cela. Le logement social abrite des gens toujours plus en difficulté, essentiellement des travailleurs précarisés par un système économique fortement générateur d’inégalités. Et la répartition des logements sociaux entre les villes est profondément inéquitable. Rappelons que, selon l’Institut Paris Région, en Ile-de-France, 5 % des communes abritent 50 % du parc social.

Alors que la perte de mixité apparaît dès les années 1980, les politiques publiques visant à en recréer tardent à se mettre en place. Il faut attendre l’an 2000 et le gouvernement Jospin pour que la loi SRU voie le jour dans sa première version, obligeant les communes d’une certaine taille à disposer d’au moins 20 % de logements sociaux, et treize années supplémentaires, sous un gouvernement socialiste toujours, pour que ce taux soit porté à 25 %. Dans la foulée, un deuxième outil juridique visant à favoriser la mixité est élaboré : le nouveau programme de renouvellement urbain interdit les reconstructions sur site des démolitions de logements sociaux et impose leur reconstitution à l’échelle intercommunale dans les villes carencées.

Hostilité politique

Tardifs et insuffisamment opérants – au 1er janvier 2022, 1 163 communes sur les 2 157 concernées, soit 54 %, ne respectaient pas la loi SRU –, ces dispositifs se heurtent parfois à des difficultés techniques, mais le plus souvent à une hostilité politique : les villes qui accueillent déjà beaucoup de précaires expliquent, à juste raison, qu’elles ne peuvent pas en abriter davantage, tandis que les villes qui en logent peu font tout pour éviter d’accueillir leur part de pauvreté. Une sécession qui vise sciemment, au mépris de la loi, à maintenir un entre-soi de classes moyennes et supérieures, empêchant ainsi de lutter contre la ghettoïsation sociale et ethnique d’autres quartiers.

Alors que l’urgence est à la résorption de ces fractures territoriales, le gouvernement, non content d’avoir présenté, lors du dernier Comité interministériel des villes (CIV), un interminable catalogue d’annonces aux trois quarts vide de sens, de contenu et de moyens, confirme sa volonté d’affaiblir une mixité sociale déjà anémique. La seule déclaration intéressante d’Elisabeth Borne lors de ce CIV, arrêter de loger les ménages les plus fragiles dans les quartiers les plus pauvres, semble avoir fait long feu. Si le logement locatif intermédiaire est légitime pour équilibrer les villes disposant d’un grand parc social, il ne l’est pas pour contourner les obligations de la loi SRU, qui n’est rien de plus que la traduction réglementaire de ce que devrait être la solidarité territoriale républicaine élémentaire. La nomination d’un ministre délégué au logement, dont le seul fait d’armes est d’avoir voulu imposer, par voie législative, des peines de prison aux locataires accumulant les impayés de loyer parachève l’orientation gouvernementale antisociale.

Pourtant, une autre voie existe. Elle consisterait non à défaire, mais à renforcer la loi SRU : en conditionnant toutes les dotations publiques aux communes au respect de cette loi, en intégrant le pourcentage de logements sociaux comme critère de majoration de ces dotations, en renforçant le pouvoir de sanction et de substitution des préfets, et en supprimant les droits d’attribution de logements aux maires hors-la-loi. Un plafond de 50 % de logements sociaux pourrait venir compléter le plancher de 25 %, limitant ainsi les écarts de mixité d’une commune à l’autre.

Aucune mesure concrète

Mais toutes ces mesures ne pourront jouer à plein dans le contexte actuel de pénurie de logements. L’appel de l’abbé Pierre, le 1er février 1954, dont nous venons de fêter les 70 ans, avait entraîné, à peine quatre mois plus tard, la création par volonté ministérielle d’une société civile immobilière, la SCIC, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. La politique des grands ensembles naissait alors, à Sarcelles (Val-d’Oise), Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), Créteil, Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Gagny (Seine-Saint-Denis) ou ailleurs, des dizaines de chantiers étaient entrepris, non pour parquer des exclus, mais pour bâtir des quasi-villes et loger dignement les travailleurs de la France des « trente glorieuses ».

De ces périodes, il faut surtout retenir l’état d’esprit et la capacité de la puissance publique à agir, loin de la formule creuse du « choc d’offre » employée par le premier ministre, appuyée par aucune mesure concrète à ce jour, alors que le volume de logements mis en chantier est en chute libre depuis 2017 et le nombre de mal-logés estimé à 4,1 millions par la Fondation Abbé-Pierre. La politique du logement n’est pas que la prérogative d’un ministère délégué parmi d’autres, elle est le reflet presque parfait de notre choix de société. Celui du séparatisme, des égoïsmes locaux et du mépris de classe ou celui de la construction de la France de demain, digne, solidaire et ambitieuse.

Patrick Haddad est maire (PS) de Sarcelles (Val-d’Oise) et conseiller départemental du Val-d’Oise. Il a écrit « Nos racines fraternelles » (Philippe Rey, 2023).


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