mardi 5 mars 2024

« Le recul de l’excision est menacé par la progression de sa “médicalisation” »

Publié le 27 février 2024

Le recours de plus en plus fréquent à des professionnels de santé pour pratiquer cette mutilation génitale des femmes, dans les pays d’Afrique et d’Asie où elle est légale, est inacceptable sur le plan éthique, s’alarme un collectif d’une centaine de responsables d’associations, dans une tribune au « Monde ».

L’excision, pratiquée dans une trentaine de pays en Afrique et en Asie, touche actuellement plus de 200 millions de filles et de femmes dans le monde. Pratiquée depuis plusieurs millénaires, elle est, depuis un siècle, de plus en plus dénoncée et combattue en raison de son impact sur la santé physique, psychologique et sexuelle des femmes, et du schéma patriarcal dans lequel elle s’intègre. Depuis 1990, le risque pour une fille de subir des mutilations sexuelles a été divisé par trois, selon les Nations unies, qui se félicitent des succès des campagnes de prévention. C’est une bonne nouvelle.

Hélas, le recul de cette pratique est menacé par la progression de sa « médicalisation », c’est-à-dire un recours aux professionnels de santé plutôt qu’aux praticiens « traditionnels », au nom de l’asepsie, de l’hygiène et de la suppression de la douleur.

Si les populations concernées voient cette implication de médecins comme un progrès et une meilleure maîtrise des risques, de nombreuses organisations militantes la jugent alarmante. Car les arguments sanitaires, qui ont été essentiels pour persuader des communautés de renoncer à cette pratique, perdent de leur puissance. Ainsi, en Egypte et en Indonésie, plus de 80 % des mutilations sexuelles féminines sont « médicalisées », mais le nombre de victimes reste stable depuis des décennies – autour de 90 % des femmes de ces pays.

La médicalisation est une forme d’excision qui se veut masquée ou réduite, alors que les séquelles, comme le traumatisme et les difficultés sexuelles des victimes, persistent. En outre, ces dernières, n’ayant pas de cicatrice, risquent de ne pas être crues et déclarées à tort comme non excisées. Enfin, sur le plan éthique, utiliser des compétences et un statut de professionnel de la santé pour perpétuer une pratique considérée comme une violation des droits humains est inacceptable.

Evolution rapide des mentalités

Si les mutilations sexuelles féminines ne sont pas pratiquées en France, cela ne signifie pas que nous ne sommes pas concernés. De nombreuses fillettes originaires de pays où ces pratiques sont répandues risquent d’y être confrontées lorsqu’elles y sont ramenées par leurs parents à l’occasion de vacances. Cela démontre la nécessité d’une lutte au niveau mondial, et pas seulement dans les pays concernés.

En France, environ 125 000 femmes résidentes ont subi des mutilations sexuelles. Il est par conséquent crucial de renforcer les mesures de protection maternelle et infantile envers les filles originaires des pays concernés risquant de subir ces pratiques dans leur pays.

La perpétuation des mutilations sexuelles féminines s’explique par leur perception en tant que norme sociale dont l’effet est prescriptif, voire contraignant, sur les individus. Leur abandon passe donc par des campagnes de communication et de sensibilisation ambitieuses visant à provoquer des changements d’opinion. Il n’y a pas de fatalité, et des tendances encourageantes ont été observées, même pour une pratique aussi ancienne et répandue. Par exemple, au Burkina Faso, où près des trois quarts des femmes ont subi des mutilations sexuelles, moins de 10 % de la population s’y déclare encore favorable, selon l’Unicef. Un tel décalage entre l’ampleur de ces pratiques dans un pays et leur rejet par la population de ce même pays indique une évolution rapide des mentalités.

Mais le chemin vers leur éradication complète dans le monde est encore long et se heurte à des résistances locales justifiées par des raisons traditionnelles, religieuses, et même morales. Car les mutilations sexuelles féminines sont parfois défendues comme une mesure de préservation de la virginité et de la chasteté. Alors que la médicalisation est encore trop souvent considérée comme une alternative à l’abandon de ces pratiques, il est plus que jamais essentiel de rester mobilisés.

Premiers signataires : Sarah Abramowicz, fondatrice de Réparons l’excision ; Diaryatou Bah, fondatrice d’Espoirs et combats de femmes ; Pierre Foldes, président de Corps et âmes ; Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis ; Ahmed Laouedj, sénateur (PRG) de Seine-Saint-Denis ; Inna Modja, chanteuse ; Alissata Ndiaye, présidente de la Fédération GAMS ; Eric Pliez, maire (Paris en commun) du 20ᵉ arrondissement de Paris ; Sandrine Rousseau, députée (EELV) de Paris ; Marlène Schiappa, ancienne ministre de l’égalité femmes-hommes. Retrouvez la liste complète des signataires ici.


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