vendredi 15 mars 2024

Fin de vie. L’aide à mourir, un projet à l’épreuve du concret

par Nathalie Raulin   publié le 11 mars 2024

Si l’intention de la mesure annoncée dimanche par Emmanuel Macron semble louable aux médecins que «Libé» a interrogés, l’application concrète de l’aide à mourir les incite à la réserve. Ils mettent notamment en avant son intégration dans une logique thérapeutique, et le progrès constant des soins médicaux.

Que pensent les soignants de la volonté d’Emmanuel Macron de légaliser l’aide à mourir ? Le docteur Michel Denis, chef de l’unité des douleurs chroniques et de soins palliatifs de l’hôpital d’Argenteuil, marque un silence avant de répondre. Pour lui, le Président n’est plus tout à fait un inconnu depuis ce jour de février où, sur les conseils de l’ARS Ile-de-France, il s’est présenté dans son service. «C’était une visite sans presse, se souvient-il. Le Président a pris son temps, cherché à entendre les soignants et les familles.» Un échange suffisamment intense pour qu’en marge de son entretien à Libération et la Croix, le chef de l’Etat confie avoir été «impressionné» par son «humanité». Surtout, Macron en était sorti convaincu que la légalisation de l’aide à mourir strictement encadrée relevait d’un progrès sociétal, auquel les praticiens étaient plus sensibles que ne laissait penser le lobby des soins palliatifs.

Pourtant, c’est avec réserve que le Dr Denis accueille les intentions élyséennes. La «passion» que suscite le sujet entraîne «beaucoup de postures raides», admet-il. Pour cause, la Société française des soins palliatifs (Sfap), qui fait campagne contre la légalisation de l’aide à mourir, n’a pas été longue à faire part de la «colère et de la consternation des soignants» face au «mépris» affiché pour leur travail, et aux moyens «dérisoires» annoncés pour renforcer l’offre de soin palliatif, insuffisante en France. «Supprimer les malades pour supprimer le problème à moindre coût, voilà ce qu’en somme on nous propose», s’enflamme la Sfap.

«Cocktail euthanasique»

Mais c’est une autre complexité qui inquiète Michel Denis : «Ce qui m’importe, c’est le ressenti de mes équipes soignantes. Je n’ai pas le sentiment qu’elles soient contre une modification de la loi. L’aide à mourir, beaucoup de soignants la souhaitent pour eux-mêmes. Le problème, c’est qu’ils ne voient pas du tout comment sa mise en œuvre pourrait être compatible avec leur travail d’accompagnement des patients.» Selon lui, cette déconnexion entre opinion citoyenne et position professionnelle se nourrit de questions pratico-pratiques. Car, si le projet de loi autorise les soignants à rester à l’écart du processus d’aide à mourir, beaucoup redoutent une réalité plus contraignante. «Quand un patient hospitalisé en soins palliatifs demande à mourir, qui va préparer et donner le cocktail euthanasique ? interroge le médecin d’Argenteuil. Voilà le type de question qui hante mes équipes. Elles me disent qu’elles ne se voient pas travailler dans un service où on peut donner la mort. Je dois en tenir compte, c’est une question de cohésion.»

Pour le praticien, plusieurs autres points du projet de loi méritent des réflexions plus abouties : «Parler de pronostic vital engagé «à court ou moyen terme», ça n’a pas de sens.» Un avis partagé par beaucoup de ses confrères, y compris de fervents partisans de l’aide à mourir, comme le Dr Denis Labayle : bien que satisfait de la «porte ouverte par Macron», le président d’honneur de l’association Le Choix, qui milite de longue date pour la légalisation de l’aide à mourir, estime lui aussi ce point du projet litigieux. «Jamais de toute ma carrière je n’ai donné un délai de vie à un patient, même atteint d’une pathologie incurable. Souvenez-vous du cancer de la prostate de François Mitterrand : en 1981, son médecin lui a dit qu’il lui restait entre trois mois et trois ans à vivre. Treize ans plus tard, il était toujours à l’Elysée !» Pour les deux médecins, il est impératif de sortir d’un flou susceptible de «mettre les praticiens dans l’embarras».

«Progrès médicaux»

Le Dr Denis a un autre sujet d’inquiétude : «Au terme du projet, il peut s’écouler trois mois entre le moment où un patient réclame l’aide à mourir et est examiné par un collège de médecins, et l’acte létal. On ne peut en rester là. Il me semble indispensable de pouvoir vérifier qu’au terme de ces trois mois le patient peut encore prétendre au suicide assisté.» Et de s’expliquer : «Avant 1991, on savait que les patients atteints par le virus du sida étaient condamnés à brève échéance. Et puis les trithérapies anti-VIH sont arrivées : d’un coup des patients qu’on croyait condamnés ont gagné plusieurs années d’espérance de vie ! Les progrès médicaux sont tellement rapides, notamment en oncologie, qu’un patient éligible à l’aide à mourir à l’instant T peut ne plus l’être trois mois plus tard. Or, la personne pourrait ne pas renoncer à mourir, seulement parce qu’elle estime que sa qualité de vie sera trop dégradée.»

Pour le Dr Denis, le texte mérite donc débat et précision. Pour autant, il ne regrette pas son existence : «A titre personnel, je ne suis pas opposé à l’aide à mourir, ou plutôt au suicide assisté puisque c’est ce que le Président pousse en première intention. Je me souviens notamment de deux patients, l’un souffrant d’une maladie de Charcot, l’autre d’un cancer en phase terminale, qui ont demandé à être euthanasiés. Vu leur état de souffrance, je n’aurais pas eu de difficultés à les aider à en finir plus vite si cela avait été possible. Même si on les a accompagnés, il est évident que ces personnes n’ont pas eu la fin de vie qu’elles souhaitaient.»


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