dimanche 24 mars 2024

Festival «Le Printemps des Humanités», trois jours pour redoubler de soin

par Benjamin Leclercq   publié le 20 mars 2024

Organisé par le Campus Condorcet à Aubervilliers, le festival «le Printemps des Humanités» propose d’utiliser les sciences humaines et sociales pour repenser, ensemble, les formes du «prendre soin».
Scandales sanitaires, crises climatiques, politiques de santé… Le Campus Condorcet organise le 21, 22 et 23 mars 2024 trois jours de débats et de rencontres sur le thème du «prendre soin». En attendant l’événement, dont «Libération» est partenaire, nous publierons sur ce site interviews, reportages et enquêtes sur les thématiques du forum. A suivre le 23 mars la conférence «le chant du chardonneret : quand la passion conduit à la menace d’extinction».

C’est une question ample et vitale, tout à la fois individuelle et collective, sociale et politique, qu’a retenue pour sa première édition le Printemps des Humanités : comment une société, la nôtre, peut et doit s’organiser pour bien soigner ses membres. «Politiques publiques, inégalités de genre, santé des femmes, vulnérabilités psychosociales, âges de la vie, vieillesse et mort…, la thématique du prendre soin rencontre une actualité extrêmement vive car elle est à l’agenda de multiples réflexions en France, à un moment où la santé est un secteur en plein trouble», témoigne le sociologue Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet, pôle de recherche dédié aux sciences humaines et sociales, à l’origine de l’événement.

Pour y répondre, un premier passage obligé : l’hôpital, ce temple moderne du soin, lui-même en grande souffrance. «La crise de l’hôpital public est liée à une défaillance de la médecine de ville (manque de médecins, déserts médicaux, tarifications à honoraires libres, etc.) mais aussi à un choix politique, une certaine idéologie du soin», rappelle Fabienne Orsi, économiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et cofondatrice des Ateliers pour la refondation du service public hospitalier, initiés en 2020. En cause, selon la chercheuse (qui participera à une rencontre sur la santé dans le 93)«des politiques publiques qui ont introduit des logiques gestionnaires de rationnement des coûts et de diminution des dépenses, ainsi que des formes de gouvernance de nature managériale et de contrôle déconnectées des métiers du soin».

Résultat, ces derniers sont à bout de souffle, éreintés par une attractivité en berne. Une affection qui touche un autre cœur battant du soin en France, les EHPA (établissements d’hébergement pour personnes âgées) où quelque 500 000 travailleurs, dont 87 % de femmes, s’activent auprès de 730 000 résidents (chiffres DREES, 2 019). «Soigner ceux qui soignent est un enjeu majeur», alarme d’ailleurs Daniel Benamouzig, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la Chaire Santé de Sciences Po. «Ce sont des métiers à forte charge émotionnelle et mentale, où l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle est précaire. Les études montrent que les soignants sont, en matière de santé, moins bien lotis que la moyenne des Français», souligne le sociologue, qui animera, aux côtés du directeur de l’APHP, Nicolas Revel, la discussion inaugurale du festival.

Réparer les liens

Prendre soin implique toutefois de penser ample ; c’est-à-dire au-delà des frontières des seules institutions de santé. «Le bien soigner ne se limite pas au nombre de soignants, ni à un traitement, souligne Fabienne Orsi. Il est infiniment plus large : il faut parler de logement, d’alimentation, de qualité de l’air, etc.» Parler, encore, de liens : «Le soin est aussi et surtout la relation à l’autre, et c’est cette relation qui se désagrège actuellement dans notre société», note l’économiste. Parmi les vigilances : «L’usage de la technologie quand elle remplace le lien humain, et déshumanise la relation de soin.»

Réparer ces liens exige, notamment, un partage du pouvoir de soigner. «La démocratie sanitaire est un levier essentiel», plaide Daniel Benamouzig, pour qui la pandémie de Covid a légué un héritage précieux : «L’idée que la santé est l’affaire de tous, et qu’elle appelle des choix politiques et non une réponse purement administrative. Cette reconfiguration, en cours, est loin d’être anodine.» Car le patient a, lui aussi, beaucoup à donner. «On considère trop souvent le médecin comme le seul qui sait ; or le patient aussi détient un savoir, utile et partageable, poursuit Fabienne Orsi. On l’a beaucoup oublié alors même que la lutte contre la pandémie du VIH /Sida avait montré le chemin à bien des endroits.»

Reste à articuler ces nécessités, à amplifier cette reconfiguration. «Le système français est très centralisé, et très binaire : l’hôpital d’un côté, la médecine de ville, historiquement très individualisée, de l’autre. C’est en train de changer, positivement, avec la montée en charge d’un niveau intermédiaire de coordination, à l’image des maisons de santé pluriprofessionnelles, ou des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles donnent des pratiques plus collectives et de la cohérence aux parcours de soins, ce qui est décisif notamment pour les maladies chroniques», note Daniel Benamouzig, qui salue l’implication croissante des élus locaux depuis le Covid : «Le soin permet alors, aussi, de revivifier notre rapport à la démocratie locale et au territoire.» «Certaines expériences indiquent une autre direction, confirme Fabienne Orsi, à l’image des centres de santé communautaires, où les soignants s’organisent différemment, avec un accent mis sur l’accueil, la prise en compte du patient dans son milieu social et culturel, et l’inclusion des usagers ; ou de réflexions telles que la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA).»

Dépasser le repli académique

Et les sciences humaines et sociales dans tout ça ? Elles se veulent des alliées. «Les SHS sont très actives en France, et suscitent beaucoup d’intérêt, se félicite le sociologue Pierre-Paul Zalio. Elles répondent en effet, de la part des citoyens et des acteurs du monde social, à une double demande : de connaissances scientifiques, et de reconnaissance des identités et discriminations spécifiques. L’enjeu est ici de les mobiliser pour aider à penser cette grande question du soin comme bien commun».

Restait à créer l’espace pour. «C’est le but du festival. Dépasser le repli académique et la fragmentation des revendications, sortir de la salle de séminaire, pour proposer des formats variés où se mêlent propositions scientifiques et culturelles, et au cours desquelles chercheurs et citoyens se côtoient». L’occasion, aussi, d’un coup de projecteur sur le jeune – il a ouvert en 2020- Campus Condorcet, encore méconnu du grand public. «Le Campus Condorcet, décrit Pierre-Paul Zalio, c’est une grande fabrique des savoirs en sciences humaines et sociales, forte de 12 000 membres (chercheurs, professeurs, doctorants, étudiants, etc.), ouverte au public et au territoire». Un lieu de recherche singulier dont les onze membres fondateurs (CNRS, EHESS, INED, universités Paris 1, Paris 3, Paris 8 et Paris 13, etc.) se partagent l’infrastructure, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et Paris.


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