jeudi 8 février 2024

Solidarités Remboursement intégral du fauteuil roulant : la fausse promesse de Macron et la grande angoisse des personnes handicapées

par Mina Peltier   publié le 4 février 2024

En avril, Emmanuel Macron promettait la prise en charge intégrale des fauteuils manuels et électriques. Mais les nouvelles conditions risquent de contraindre les 150 000 Français concernés à se tourner vers des modèles bas de gamme.

«Dès 2024, les fauteuils roulants manuels et électriques seront intégralement remboursés», annonçait Emmanuel Macron en avril. Comme tous ceux qui assistaient alors au discours du Président en clôture de la Conférence nationale du ­handicap, le député Sébastien Peytavie (EE-LV), lui-même en fauteuil, a halluciné : «Cette belle surprise a tout de suite fait naître des attentes chez ­beaucoup de personnes.» Une promesse reprise telle quelle mardi par le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale, réaffirmant devant les députés que son gouvernement «accompagner [a] nos concitoyens en situation de handicap en toutes circonstances. Nous leur simplifierons la vie. Nous prendrons intégralement en charge le remboursement des fauteuils roulants de ceux qui en ont besoin». Depuis le discours d’Emmanuel Macron, les conditions de prises en charge des fauteuils roulants ont été revues et discutées avec les associations. Puis la nouvelle nomenclature a été envoyée par courrier à certaines personnes handicapées, présentée à d’autres, avant son entrée en vigueur prévue au printemps.

Associations, fabricants et revendeurs déchantent : «Avec cette nouvelle nomenclature, le gouvernement va tout simplement aggraver une situation déjà déplorable.» Distributeur de matériels de santé pour la société Union Healthcare, Tony Fleurisson est dépité. Cette réflexion gouvernementale lui paraît «hors-sol».

Depuis plus de trente ans, le remboursement par la Sécurité sociale est resté le même : jusqu’à 600 euros pour un fauteuil manuel et 3 900 euros pour un fauteuil électrique, peu importe le modèle ou les options additionnelles. La nouvelle nomenclature proposerait un remboursement à 2 600 euros pour les manuels, 18 000 euros pour les électriques. Sur le papier, super. Mais en pratique, si ces tarifs sont dépassés, il n’y aura pas de remboursement, point. Même pas aux seuils. «C’est un plafond de verre terrible : on ne nous rembourserait plus rien», déplore Pascale Ribes, présidente de l’association APF France Handicap, elle-même en fauteuil.

«Seul le bas de gamme sera valorisé»

Pourtant, pour un fauteuil manuel, les prix oscillent aujourd’hui entre 4 000 et 10 000 euros. Pour les électriques, les tarifs peuvent monter jusqu’à 60 000 euros. Même si les remboursements actuels sont moindres, Sébastien Peytavie concède qu’au moins, cela déclenche «des aides des mutuelles et des MDPH [maisons départementales pour les personnes handicapées, ndlr] qui nous permettent de trouver des solutions, malgré des restes à charge de plusieurs milliers d’euros». Lors des questions au gouvernement le 24 janvier, le député alertait les ministres présents de cette situation ubuesque. Succincte, la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, se disait «à [sa] disposition pour discuter». Contacté, le ministère n’était pas en mesure de répondre à Libération avant les délais de publication.

«Sur le papier, la promesse [du Président] est vraie : des fauteuils roulants seront remboursés à 100 %, explique Jean-Louis Garcia, président de la Fédération Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés). Mais on a déjà connu ce genre de problèmes avec d’autres dispositifs médicaux, comme les lunettes ou les appareils auditifs.» La Sécurité sociale rembourse aujourd’hui 100 % des modèles premier prix, bas de gamme, impossibles à personnaliser. Elle ne prend donc pas en charge toutes les options additionnelles qui rendent ces dispositifs adaptés aux besoins de chaque utilisateur. Le président de l’association prédit : «Pour les fauteuils, ce sera la même chose. Seul le bas de gamme sera valorisé. S’il faut des options, ce sera de notre poche. Et en matière de fauteuil roulant, les prix sont vite exorbitants.»

«Le handicap coûte cher»

Pour près de 150 000 personnes en situation de handicap, le fauteuil roulant est le «prolongement» de leur corps. Tous utilisent l’exemple des chaussures. A la mauvaise pointure, elles blessent. Avec les fauteuils, même logique : inadaptés aux besoins de chacun, leurs utilisateurs perdent en autonomie puisqu’ils ne peuvent plus se déplacer librement et se blessent, aggravant leur état de santé. Les associations redoutent que les limites imposées par la nouvelle nomenclature ne poussent nombre de personnes handicapées à se doter de fauteuils de moindre qualité, pesant au moins 15 kilos et dépourvus d’outils nécessaires à une vie quotidienne la plus normale possible… Or, un fauteuil trop lourd empêche les déplacements, limitant donc l’autonomie, ce qui éloigne de l’emploi et condamne certains à une forme de précarité en les obligeant à regarder à la dépense.

«C’est un cercle vicieux, enrage Sylvie Planquelle. Le handicap coûte cher.» «Pour les variations de prix, tout est une question d’options», explique la Nordiste de 55 ans, en fauteuil roulant électrique depuis ses 11 ans. Le sien est doté d’un appuie-tête et de cales aux jambes comme au torse qui la maintiennent bien droite, d’un lift qui le surélève pour ­atteindre les meubles, d’un chauffe-mains pour éviter les engelures, d’un lève-bras pour replacer ses lunettes, d’une commande tierce-personne en cas de pépin, de pistons pour être assise ou couchée selon les soins… Atteinte d’amyotrophie spinale (ATS) de type 3, une maladie héréditaire dégénérative, Sylvie Planquelle ne peut pas se passer de son engin à 66 000 euros. Avec la nouvelle nomenclature, comme elle dépasse (largement) la limite fixée, elle devrait payer tout nouvel appareil entièrement de sa poche. «Les personnes en situation de handicap ne choisissent pas un fauteuil cher pour le plaisir : c’est une nécessité. Si on m’enlève le mien, c’est de ma vie et de ma dignité qu’on me prive.»

Financer, justement

«L’enjeu social est énorme», affirme Malika Boubekeur, conseillère nationale au sein d’APF France Handicap. «Durant nos trois années de négociations avec l’administration [la Direction de la sécurité sociale ou DSS, ndlr], nous avions des revendications simples : rendre accessibles des fauteuils adaptés aux handicaps spécifiques de tout un chacun grâce à une prise en charge véritablement compensatoire, et sans reste à charge.» Quatre ministres au Handicap se sont succédé depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais personne n’a remplacé Fadila Khattabi à ce portefeuille depuis l’arrivée de Gabriel Attal à Matignon, le 9 janvier. APF France Handicap, la Fédération Apajh et d’autres associations estiment avoir fait «tout ce que nous pouvions, avant d’être écartés des [dernières] négociations». Lettre ouverte au président de la République et pétitions ont depuis émergé, autant «pour être entendus» que pour appeler la DSS à réévaluer sa nomenclature de prise en charge.

Les associations spécialisées comme les personnes en situation de handicap n’ont qu’une attente : «un remboursement des fauteuils roulants à 100 %, selon nos besoins», résume Kareen Darnaud, atteinte d’une paralysie cérébrale neurodégénérative qui l’a rendue dépendante au fauteuil dès ses 20 ans. En trente-cinq années, elle a eu besoin de changer quatre fois de fauteuil pour suivre au mieux les évolutions de sa maladie. Le dernier en date lui a été facturé 10 000 euros.

Tonnes de paperasses

L’autre promesse de Gabriel Attal, mardi, était de «débureaucratiser la France, qu’il faut libérer du fardeau des règles et des normes». Ce «parcours du combattant» est aussi le problème des personnes en situation de handicap, régulièrement dénoncé par APF France Handicap. Du premier devis au remboursement, il faut compter des mois d’attente et un paquet de paperasse pour obtenir son fauteuil. Deux ans pour Sylvie Planquelle.

Christophe Baouz, lui, «attend toujours». Paraplégique complet depuis un accident de moto en 2001, il a perdu l’usage du bas du corps à partir du nombril. Il y a un an, il a dû changer de fauteuil, abandonnant son modèle lambda pour passer à un «actif». En aluminium, ce genre d’engin permet de se déplacer seul en voiture, de travailler, d’être autonome. Prix : 7 000 euros. Pour faire ses courses et se déplacer dans les pentes de sa campagne de Seine-et-Marne, une roue électrique à l’arrière est essentielle : 7 000 euros de plus. Depuis sept mois, il tente de faire rembourser les 4 000 euros de reste à charge. La MDPH ne répond pas. Alors il s’endette, et patiente.

Les revendeurs aussi sont inquiets. Cette première version de la nomenclature les oblige à ne proposer que quinze modèles sur l’immense diversité que compte le marché. «Nous ne pourrons plus répondre aux besoins spécifiques des patients», déplore Tony Fleurisson. Les distributeurs comme lui occupent toute la France et l’outre-mer grâce à des centaines d’antennes de revente, «pour être les plus accessibles possible». Certaines vont fermer si la nomenclature est adoptée au printemps. Le professionnel tacle : «Le désert médical va s’étendre et ce seront les patients qui trinqueront.»


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