lundi 26 février 2024

« L’Acte psychanalytique » : Jacques Lacan surpris par Mai 68

Par  (Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)  Publié le 12 février 2024

Jacques-Alain Miller livre son édition du Livre XV du séminaire du psychanalyste, qui traite de la relation entre maître et disciple – à point pour les événements de mai 1968.

Consacré à « l’acte psychanalytique », ce séminaire, délivré à l’Ecole normale supérieure entre novembre 1967 et juin 1968, occupe une place singulière dans l’œuvre orale de Jacques Lacan (1901-1981). Celui-ci affronte, cette année-là, une crise interne au sein de l’Ecole freudienne de Paris, qu’il a fondée en 1964. Il veut en effet introduire une nouvelle procédure de nomination des psychanalystes (la « passe »), peu appréciée de ses compagnons de route. Quant à la révolte ­étudiante, elle vient perturber son enseignement dès avril 1968.

La situation est d’autant plus paradoxale que Lacan expose devant son auditoire une réflexion sur la relation entre un maître et ses disciples alors même que, dans la rue, les insurgés contestent une autorité mandarinale dont il est un pur représentant. Aussi bien est-il confronté à une réalité qui le prend au dépourvu.

L’acte analytique tel qu’il le conçoit se définit comme un travail de l’inconscient au cours duquel un élève (analysant) peut devenir psychanalyste grâce à un analyste occupant la place d’un maître, appelé « sujet-supposé-savoir ». A la fin de la cure, celui-ci « s’évanouit » fantasmatiquement, tandis que l’analysant devient psychanalyste et doit assumer à son tour une transmission du savoir clinique et théorique.

Tout en citant élogieusement un article du philosophe et historien libéral Raymond Aron, son « ami », Lacan fait état, avec fierté, de sa rencontre avec Daniel Cohn-Bendit. Et il en profite pour réprimander ses disciples qui, au lieu d’aider les étudiants à « lancer des pavés », leur ­demandent ce qu’ils « attendent d’eux ».

Noms effacés

Il est regrettable que l’éditeur du texte, Jacques-Alain Miller, ait cru bon de supprimer deux séances de ce séminaire : celle du 31 janvier 1968, au cours de laquelle, en l’absence de Lacan, ses principaux disciples discutent du contenu de son enseignement, et celle, très courte, du 8 mai, où il se dit solidaire de l’ordre de grève lancé par le Syndicat national de l’enseignement supérieur. Ont disparu ainsi la plupart des interventions qui prouvent à quel point Lacan élaborait sa conceptualité dans une confrontation permanente avec ses partisans. En tout, les noms d’une vingtaine d’entre eux ont été effacés, dont ceux de Xavier Audouard, François Tosquelles, Félix Guattari, Jean Oury ou Jean Ayme.

Ce séminaire n’en marque pas moins un tournant dans l’enseignement de ­Lacan. Par la suite, face à un auditoire élargi, il ne cessera d’affirmer que la ­révolution est une impasse conduisant à remplacer un maître par un autre, et que seule la psychanalyse permet de ­sortir de ce cercle vicieux.


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