dimanche 4 février 2024

Famille Le mal de belle-mère : ces femmes qui se retrouvent à vivre avec les enfants de leur compagnon

par Marie-Eve Lacasse et collage Camille Lévêque  publié le 2 février 2024

Elles ont entre 30 et 40 ans et témoignent d’un sentiment d’errance en belle-parentalité, sans statut ni ressources pour se sentir pleinement légitimes.

«Dans l’image de la belle-mère, tu as deux extrêmes : celle des contes, qui est le mauvais rôle, une image très négative et terrorisante, et l’autre : la famille recomposée géniale, idéale. C’est une autre injonction, celle au bonheur et à la perfection. Comme si l’entre-deux, humain, naturel, n’existait pas.» Ainsi parle Aurélie Soubiran, 35 ans, professionnelle du milieu du vin, devenue belle-mère en 2018. Elle avait 28 ans, lui 47, avec deux enfants en garde alternée, de 9 et 12 ans. «On a mis un an et demi avant que je me présente aux enfants. Puis au bout de deux ans, quand on a emménagé ensemble, naturellement, je suis allée chez eux, ce qui est une erreur car ce n’était pas un “chez-nous” mais l’appart où ils avaient grandi avec la mère. Il y avait l’empreinte du foyer précédent, donc je me suis glissée dans leur quotidien. On a pris trop de pincettes… Première erreur.» Mais comment savoir ce qu’il faut faire ? Et comment s’y prendre ?

Alors qu’il existe des milliards de livres et de ressources pour apprendre à devenir parents, le guide de la belle-parentalité semble absent des rayons, des conversations. Dans ce désert, Fiona Schmidt, 42 ans, autrice de nombreux essais féministes, a publié en 2021 chez Hachette un salutaire Comment ne pas devenir une marâtre pour venir en aide aux nombreuses femmes aux prises avec leur solitude de belle-mère. Un vide éditorial étonnant, d’autant plus que les chiffres de la belle-maternité sont loin d’être anecdotiques : 760 000 beaux-parents habitent avec les enfants de leur conjoint, un adulte en couple sur dix vit avec des enfants qui ne sont pas les siens, et 70 % des enfants qui vivent avec un beau-parent ne résident pas régulièrement chez l’autre parent – comprenez : en garde exclusive chez la mère dans 71 % des cas, 12 % chez leur père et 17 % en garde alternée (1). Cela fait beaucoup de gens qui vivent sous le même toit sans avoir de lien de sang, et sans avoir non plus de lien juridique officiel.

Incertitude juridique

En France, les deux parents, sauf en cas de décision du juge aux affaires familiales, sont seuls à détenir l’autorité parentale. Le beau-parent, même s’il a un rôle actif dans l’éducation des enfants et assure leur sécurité affective et matérielle, n’a aucun droit ni aucun devoir vis-à-vis d’eux. Cette réalité n’est pas la même partout : en Angleterre, en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, le beau-parent peut disposer, sur demande, d’une forme d’autorité parentale ou d’autorité dite «commune» avec le parent biologique.

Cette incertitude juridique joue certainement un rôle dans le sentiment, très largement partagé parmi les témoignages que nous avons recueillis, d’un flottement dans la place que doit prendre ou non la belle-mère au sein de sa famille recomposée. «A 29 ans, tandis que mes copines sortaient et faisaient la grasse mat’, moi j’ai tout de suite filé un coup de main, étendu des machines de petites culottes, fait des courses, fait à manger, explique Aurélie Soubiran. Je me suis souciée de leur éducation, mais sans avoir l’affection en retour. Je n’ai pas eu tout de suite des câlins, des embrassades. C’est ça le plus dur. Ça prend beaucoup plus de temps qu’avec ses propres enfants.»

Même écho de la part d’Eveline (2), agricultrice dans l’Allier, devenue belle-mère à 34 ans : «Quand je suis arrivée dans leur famille, les enfants avaient 9 et 13 ans, en garde alternée. Ils ont été plutôt accueillants, mais il n’y a pas vraiment eu de présentation officielle : quand on rencontre l’amoureuse de son père, on ne sait pas si elle sera là pour toujours ! Le statut s’est construit petit à petit, mais j’ai gardé une certaine distance avec eux car je voulais les laisser venir, ne pas être invasive. Or, avec du recul, et beaucoup de thérapie familiale, j’ai compris qu’ils attendaient que je vienne vers eux.» Dans la plupart des cas, les situations familiales semblent se consolider lorsque le couple donne naissance à un enfant, légitimant de fait la belle-mère qui, soudain, prend le rôle officiel (et& socialement respecté) de «mère».

«Conflit de loyauté»

Belle-mère sous-entend, la plupart du temps, qu’il y a déjà une mère. Bien qu’absente, sa présence est constante : dans les conversations des enfants, sur les photos épinglées dans leur chambre, dans les rituels, les souvenirs. Lorsque la garde est alternée, l’organisation du quotidien se fait en permanence en fonction des impératifs préétablis par le couple d’origine. Comme le dit Eveline, «à la maison, ils parlaient de leur mère. Il y avait une vie de famille qui n’était pas la nôtre et qui arrivait dans la nôtre». La relation peut être d’emblée cordiale, comme dans le très beau film les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski (2022), au point de former une sorte de coparentalité entre mère et belle-mère – car statistiquement, rappelons-le, elles ont de fortes chances de s’occuper davantage des enfants que le père biologique. Et toutes les femmes ne sont pas en rivalité, contrairement à ce que montre de façon assez caricaturale le film Ma Meilleure Ennemie de Chris Columbus (1998) où Jackie Harrison (Susan Sarandon), la mère, et Isabel Kelly (Julia Roberts), la nouvelle, rivalisent méchamment jusqu’à finir par s’entraider. «Je m’entends très bien avec la mère des filles, affirme Fiona Schmidt. Tout dépend du contexte de la rupture. Quand on s’est rencontrés, mon compagnon et son ex étaient séparés depuis presque un an, et ça n’a pas été une rupture violente, plutôt des adieux respectueux. Ça arrive aussi. C’est important de le dire. Ils sont restés mariés vingt ans et c’est déjà une réussite en soi.»

Mais que se passe-t-il lorsque la mère biologique est décédée ? Cette situation, douloureuse, est celle à laquelle se confronte quotidiennement Brune Bottero, médiatrice culturelle de 36 ans et autrice d’un podcast sur le sujet (la deuxième saison de Entre, produit par Louie Média), qui vit aujourd’hui en Provence après une vie parisienne. «J’ai rencontré mon mari il y a huit ans, bientôt neuf. On travaillait dans le même milieu professionnel. Je savais déjà qu’il avait des enfants de 4 et 7 ans. Je savais aussi que la mère de ses enfants était décédée. De mon côté, j’ai grandi avec une grande sœur qui n’était pas ma grande sœur : quand j’étais bébé, mes parents sont devenus les tuteurs de leur nièce qui avait dix ans de plus que moi. Donc quand j’avais 1 an et elle 11, elle est venue vivre chez moi et mes parents l’ont élevée car chez ses parents, ça n’allait pas, se souvient-elle. Quand j’ai rencontré mon compagnon, je n’avais pas tellement d’idée sur ce qu’était une famille recomposée ; par contre, j’avais en tête l’idée de l’adoption du point de vue de l’enfant, pas des parents. Je crois que ce contexte m’a préparée. Le fait d’avoir cette sœur, c’était une façon de prendre part à la vie de ces enfants : en étant avec eux, je faisais le serment de les aimer pour toujours. Par ailleurs, je suis très empathique mais je n’ai jamais vu nos enfants comme des victimes. J’ai toujours été distante par rapport à leur deuil.»

Brune Bottero a des mots très délicats lorsqu’elle évoque la mère absente avec qui, de facto, aucune relation n’est possible. «Il y avait une place entière à prendre. Je suis devenue leur belle-mère à temps plein très vite, parce que le deuil nous a autorisés à nous rencontrer pleinement. Mais c’est très dur de rivaliser avec un mort ! Il y a forcément une forme de comparaison. Les enfants ont très vite exprimé qu’ils avaient un conflit de loyauté s’ils m’aimaient trop. C’était flagrant dans leur comportement avec moi.» L’arrivée de Brune Bottero a toutefois été vécue de façon positive par les enfants, inquiets de voir leur père souffrir depuis longtemps : «Quand j’ai rencontré Thibault, il ne s’alimentait plus trop, il était épuisé. Je pense que les enfants ont été soulagés par mon arrivée. La plus jeune a été rassurée de savoir que son papa avait une amoureuse. Néanmoins, il y a toujours ce grand vide, et les gens morts sont intouchables. Je ne peux pas me dire que la mère a mal géré, par exemple !»

«C’est nettement plus facile d’être beau-père»

Si la situation est toujours difficile pour les belles-mères, qu’en est-il pour les beaux-pères ? «Tandis qu’une marâtre est perçue comme une briseuse de ménage, un beau-père est considéré comme un “sauveur” de maman, qui souffre nécessairement de solitude», écrit Fiona Schmidt, qui reste sur cette lancée lorsque nous l’interviewons. «C’est nettement plus facile d’être beau-père. Il n’y a pas d’attente et la pression n’est pas comparable. La charge mentale n’est pas la même. Les attentes sociales ne sont pas les mêmes. Le niveau d’exigence est nettement moins élevé pour les hommes que pour les femmes en matière de parentalité. Tout ça est étayé par des statistiques, partout et tout le temps : les belles-mères s’investissent énormément et beaucoup plus que les beaux-pères.» Injustice suprême : malgré leur moindre implication, 50 % des enfants se sentent proches de leur beau-père et seulement 20 % de leur belle-mère (1) ! Jocelyn (2), architecte de 37 ans, l’affirme sans détour : «J’avais 32 ans quand j’ai rencontré ma femme. Elle avait deux filles âgées de 2 et 3 ans en garde exclusive, et on s’est installés quand j’avais 34 ans. Dès le début, elle m’a dit : “Tu as carte blanche, n’hésite pas à participer à l’éducation ou à les reprendre s’il le faut.” Or dans les faits, c’était un peu plus compliqué. Elle les protégeait beaucoup et surtolérait leurs bêtises. Finalement, avec le temps, on s’est un peu huilés, mais elle fait beaucoup plus que moi en termes de charge mentale et tâches ménagères.» CQFD. Pour survivre en «marâtrie», rien de mieux que des alliées féministes… et, surtout, une ou un conjoint ouvert au dialogue.

(1) Chiffres issus de l’ouvrage de Fiona Schmidt, Comment ne pas devenir une marâtre. Guide féministe de la famille recomposée, Paris, Hachette, 2021.

(2) Les prénoms ont été modifiés.


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