mardi 23 janvier 2024

Un nouveau rapport dénonce la désinformation liée à l’avortement sur les réseaux sociaux

Par   Publié le 17 janvier 2024 

Une étude de la Fondation des femmes détaille les tactiques utilisées sur YouTube, Facebook ou Instagram pour dissuader les plus jeunes d’avorter.


Des manifestants contre le droit à l’avortement à Paris le 21 janvier 2018 lors d’une manifestation « Marche pour la vie » contre l’avortement et la procréation médicalement assistée. 

Quarante-neuf ans après la dépénalisation de l’avortement en France par la loi Veil, et huit ans après la loi pénalisant la « désinformation » sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la Fondation des femmes publie, mercredi 17 janvier, un rapport dressant une cartographie des mouvements antiavortement et leurs argumentaires sur les réseaux sociaux. Réalisée par l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), un think tank spécialisé dans la désinformation et les mouvements extrémistes, l’étude s’est penchée sur la manière dont différents arguments contre l’IVG circulent sur certaines des principales plates-formes en ligne : YouTube, Facebook, Instagram et X.

« La mobilisation antiavortement [en ligne] se présente essentiellement sous la forme de fausses informations, d’affirmations trompeuses sur l’avortement et de contenus choquants et dissuasifs », note l’ISD, en donnant en exemple des messages contenant « des affirmations trompeuses sur la souffrance présumée du fœtus avorté, sur les effets secondaires de l’IVG, et des descriptions erronées de la procédure d’IVG ».

Des règles peu claires

Exemples de messages de désinformation tirés du rapport de la Fondation des femmes. 

Historiquement, les militants antiavortement concentraient leurs efforts sur Google. Durant plusieurs années, des sites trompeurs, très présents dans les résultats du moteur de recherche grâce à des publicités et un important travail de référencement Web, redirigeaient les femmes en quête de renseignement sur l’IVG vers des centres d’appels présentés comme « neutres » mais visant à les dissuader d’avorter. Toutefois, depuis le durcissement, en 2017, du délit d’entrave à l’IVG en ligne, la pratique a largement diminué.

« On voit qu’il y a eu un déplacement très fort des anti-IVG, qui investissent désormais les réseaux sociaux de manière massive, note Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes. A la fois parce que les pouvoirs publics en France ont fait un travail sur Google depuis 2017, mais aussi parce que les réseaux sociaux correspondent à la consommation d’Internet de plus jeunes, qui y font bien souvent leurs recherches avant Google. »

Les éléments collectés par l’ISD montrent que certaines organisations antiavortement financent des publicités visant les jeunes femmes, à partir de 13 ans, pour des sommes parfois importantes – jusqu’à 40 000 euros par an. « Depuis La Manif pour tous, il y a eu un renforcement des mouvements antigenres, antiféministes dans toute l’Europe, et la France fait partie des pays où les extrémistes religieux investissent le plus d’argent, y compris pour financer la création d’associations pour les jeunes », note Mme Mailfert, qui y voit un travail de sape à long terme pour tenter de changer l’opinion majoritaire « dans un pays où 90 % des femmes et des hommes soutiennent ce droit ».

Le rapport note que la diffusion de fausses informations sur l’IVG est facilitée par plusieurs éléments, dont l’absence de normes transparentes et communes à toutes les grandes plates-formes. « Seul YouTube dispose de règles claires pour lutter contre certains types de fausses informations sur l’avortement », note l’ISD, tout en regrettant que celles-ci soient parfois mal appliquées, et recommande que l’ensemble des réseaux sociaux en adoptent des similaires.

La mouvance « tradwife »

Exemples de messages de désinformations tirés du rapport de la Fondation des femmes. 

Sur Instagram, où les chercheurs de l’ISD ont réalisé des tests en créant de nouveaux comptes d’utilisatrices et en signalant leur intérêt pour la thématique de l’avortement, elles ont constaté que « les algorithmes (…) recommandaient des “reels” [de courtes vidéos] comportant des informations erronées sur l’avortement à des utilisateurs n’ayant visionné aucun contenu antiavortement. Un cinquième des reels les plus recommandés à propos de l’avortement contenait des informations trompeuses sur la procédure », écrit l’ISD.

Point notable : les contenus trompeurs les plus viraux « étaient liés à la mouvance “tradwife” », ce mouvement informel né aux Etats-Unis promouvant un rôle « traditionnel » et largement domestique pour les femmes. « Parmi les comptes trompeurs les plus recommandés, on trouve des influenceuses françaises mais aussi américaines, issues de cette mouvance, quand bien même les comptes créés pour notre étude étaient géolocalisés en France et utilisaient des cartes SIM françaises », note Cécile Simmons, coautrice du rapport.

Aperçu de la « galaxie » des comptes diffusant les messages de désinformation sur l’avortement, issue du rapport de la Fondation des femmes. 

La cartographie des principaux diffuseurs de ces messages fait apparaître, sans surprise, une forte présence de sites et personnalités catholiques conservatrices et issues de l’extrême droite, notamment des militants du parti Reconquête ! et des soutiens d’Eric Zemmour, très actifs en ligne. Sur toutes les plates-formes, les messages trompeurs les plus diffusés émanaient d’un nombre restreint de comptes très militants, dont les publications sont ensuite repartagées ou copiées par d’autres profils.

« Ces tactiques trompeuses, associées à leur amplification algorithmique, empêchent les utilisateurs des réseaux sociaux de disposer d’informations fiables et sûres en matière de santé reproductive », note le rapport de l’ISD. « Il faut assumer jusqu’au bout la constitutionnalisation de l’IVG, conclut Anne-Cécile Mailfert. Pour soutenir le droit et la liberté d’avorter, il faut contrer cette diffusion de fausses informations à grande échelle. »


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