lundi 29 janvier 2024

Sophie Marinopoulos, psychanalyste : « Parce qu’on est psy, nos enfants devraient être plus intelligents et plus beaux ? »

Propos recueillis par   Publié le 21 janvier 2024 

« Vie de parents ». Une personnalité évoque les joies et les épreuves de son quotidien avec des enfants. La psychanalyste, désormais grand-mère, a élevé quatre enfants « dans la joie », et mesure les diktats qui pèsent aujourd’hui sur la maternité.

Sophie Marinopoulos, à Nantes, en 2019. 

Se demander si la psy a des enfants sages, c’est un peu comme jeter un coup d’œil aux mollets de l’esthéticienne pour voir si elle a du poil aux pattes : ça ne prouve rien, mais on ne peut pas s’en empêcher. Que les psychologues spécialistes de l’enfance soient tenus d’être des parents exemplaires a toujours agacé Sophie Marinopoulos, 66 ans, en particulier quand elle élevait la voix sur sa progéniture et qu’elle entendait ses amis persifler : « Et tu es psy ! » « Parce qu’on est psy, nos enfants devraient être plus intelligents et plus beaux ? On a le droit de pleurer et de s’engueuler, comme dans toutes les familles », plaide-t-elle. Quand ses patients lui demandaient si elle avait des enfants, elle retournait la question : « Pourquoi ? C’est important pour vous que j’en aie ? » Elle leur disait qu’elle avait des collègues sans enfants qui étaient d’excellents professionnels. « Et cette caricature du psy qui ne parle que doucement… Je reste méditerranéenne ! » Et mère de quatre enfants, qui ont aujourd’hui entre 30 et 40 ans, et grand-mère de quatre petits-fils. On croise d’ailleurs l’un d’eux dans son dernier livre, Ce que les enfants nous enseignent, publié par la maison d’édition Les Liens qui libèrent, qu’elle a cofondée (224 pages).

Sophie Marinopoulos n’exerce plus en cabinet depuis qu’elle vit à Uzès, dans le Gard, mais elle s’occupe toujours des Pâtes au beurre, une association d’écoute des parents présente dans dix-sept villes en France, qui propose aussi un service de soutien par téléphone accessible à tous, deux fois par semaine.

La première fois que vous vous êtes sentie mère…

Quand j’ai attendu mon premier enfant, c’est aussi simple que ça. J’avais la vingtaine, je faisais mes études et j’ai vécu en même temps la découverte des études supérieures et celle de la joie d’être mère. Je dis « joie » parce qu’il me semble qu’à l’époque, il y avait moins d’exigence et de diktats autour de la maternité. Les manifestations de l’enfance, ses bruits, ses mouvements, ses exigences, étaient mieux acceptées. Alors qu’aujourd’hui, on a envie d’avoir des enfants mais on n’aime pas l’enfance des enfants, qui prend trop de temps, on a le sentiment que ça vient se surajouter à des vies difficiles…

Avez-vous déjà pleuré devant vos enfants ?

Il n’y a pas si longtemps puisque j’ai perdu maman, qui avait presque 102 ans. Un de mes petits-fils, qui a 6 ans, est venu et m’a dit : « Toi, tu as pleuré. » Il découvrait que la douleur et la tristesse, ça appartient aussi à l’âme, qu’on ne pleure pas uniquement lorsqu’on se fait mal en tombant.

La pire chose que vous ayez dite à vos enfants ?

J’avais 30 ans. J’étais en voiture avec mes enfants et je vois passer une petite décapotable, et je dis : « Quand je n’aurai plus d’enfants, j’aurai une voiture comme ça… » Et j’entends une petite voix derrière, qui dit : « Tu n’auras jamais plus d’enfants. »

La pire chose que vos enfants vous aient dite ?

« Je te déteste. Tu es nulle. Tu ne comprends rien. Tu n’as rien compris… »

La manie qui vous agaçait chez vos parents et que vous reproduisez quand même ?

Les exigences à table. Avec mon père, on ne s’asseyait pas n’importe comment, on ne mangeait pas n’importe comment, on ne parlait pas n’importe comment. Je suis restée un peu comme ça. On attend d’être invité à s’asseoir, on ne vient pas en maillot de bain à table… Mais par rapport à lui, je me suis assouplie sur la parole !

L’histoire que vous avez préféré leur lire ?

Ce n’est pas un grand livre, c’est De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête. Ça les faisait beaucoup rire et mes enfants l’ont acheté à leurs enfants.

Le rapport aux écrans était-il déjà un souci ?

Ça fait aussi partie des choses dont j’ai été épargnée. On avait la télévision, mais pas dans les chambres, et, bien sûr, pas de portable. A l’époque, mes enfants critiquaient beaucoup le fait qu’il y avait peu d’autorisations : on ne regardait pas la télé en semaine s’il y avait école le lendemain, jamais à table… L’écran fait aujourd’hui tellement partie de la vie que c’est plus difficile de poser des règles. Ce que je trouve dur pour les parents aujourd’hui, c’est qu’on les abreuve d’infos sur la dimension néfaste des écrans, mais ils ne savent pas quoi en faire.

On vous a entendue plaisanter à la radio sur la disparition des couvertures au profit de la couette, qui peut être vue comme un signe de destruction de l’autorité parentale. Avez-vous bordé vos enfants ?

Mes enfants sont de la génération couette. Mais il n’y a pas eu un soir sans que je les borde, dans tous les sens du terme. Le geste est une intention et ce geste de border s’est un peu perdu en passant des couvertures aux couettes. Border, c’est rappeler aux enfants qu’on ne se laissera pas déborder par leurs débordements.

Votre meilleure qualité de parent ?

Il y a de la fiabilité quand je dis quelque chose. Quand j’ai dit à mon petit-fils qu’il n’était pas autorisé à venir à table en maillot de bain, je n’aurais pas lâché même s’il n’avait pas déjeuné. Avec mes enfants, j’étais assez sévère. La grande modernité, à l’époque, c’était d’appeler ses parents par leur prénom ; pour moi, c’était hors de question. Je sentais que si je devenais une copine, c’était fini.

Votre pire défaut ?

Mes exigences. Il faut être honnête, j’en demande trop. Et j’ai un côté « quand on dit quelque chose, on le fait ». Je ne supporte pas qu’on dise « je vais le faire » et qu’on fasse autre chose. Là-dessus, je dois être très pénible.

Qu’est-ce qui vous agace chez vos enfants ?

Ils sont quatre, donc je ne peux pas généraliser, mais certains ne sont pas ponctuels.

Et qu’est-ce qui vous émerveille ?

Je suis tellement admirative de les avoir vus grandir et devenir adultes ! Les vies ne sont pas faciles et ils y vont, ils s’acharnent, ils s’accrochent.

Un bon conseil que vous suivez ?

Cette fiabilité et cette solidité, c’est un modèle que mes parents m’ont transmis. Je savais que je pouvais compter sur eux. Dans notre jargon de psy, aujourd’hui, on dirait « sécures ». Nos enfants ont le droit de nous trouver cons, mais il faut qu’on soit fiables, qu’ils sachent qu’on est là, que s’ils se retournent, il y aura toujours de la lumière et qu’ils ne seront pas tout seuls. Mes parents avaient cette présence discrète que leur absence met encore plus en évidence.

De quoi vous sentez-vous coupable vis-à-vis de vos enfants ?

D’avoir beaucoup travaillé. Le travail fait vraiment partie de ma vie et j’aime ça. Mais c’était exigeant, avec des longues journées, des absences. Je ne sais pas si je le referais comme ça.

Votre dernière réussite en tant que parent ?

Je veille. S’il y a besoin d’être là, de faire un aller-retour, s’il y a une baisse de moral… Je suis là.

La dernière fois que vous vous êtes sentie démunie ?

Quand ils sont malheureux et que je ne peux pas faire grand-chose, à part être là.

Ce qui vous fait le plus peur pour eux ?

Qu’ils vivent un drame, les choses soudaines qui peuvent surgir.


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