lundi 22 janvier 2024

Mercredi pages jeunes Le deuil raconté aux enfants : «La grand-mère est le lien entre tous»


 


par Charline Guerton-Delieuvin   publié le 17 janvier 2024

Chaque semaine «Libération» passe en revue l’actualité du livre jeunesse. Aujourd’hui, rencontre avec Niels Thorez et Odile Santi qui content, à l’aide d’illustrations réalistes, l’absence aux enfants.

Depuis le décès de la grand-mère, la mère de la narratrice «a vraiment la tête ailleurs». Elle s’enfonce «dans les bois», vagabonde «sur les sentiers» et s’assoit «longuement sur la plage». La fillette voudrait l’aborder mais renonce car il y a là quelque chose de plus grand qu’elle : le deuil. Niels Thorez raconte avec Odile Santi, l’illustratrice, cet apprentissage dans la Maison sur la dune. Entretien.

Quel est le point de départ ?

Niels Thorez : Mes souvenirs. Cette histoire n’est pas la mienne mais elle est nourrie par mes étés passés sur la Côte d’Opale. Je me souviens de cette maison aux volets mauves et verts, de ces jeux de billes dans le sable et de ces réunions familiales dans cette villa. Et le sable, il y a peu, a appelé mon écriture sur le thème de la disparition. Puis Odile s’est approprié cette matière personnelle.

Comment avez-vous travaillé ?

Odile Santi : C’est parti d’un appel de Jean Poderos, l’éditeur : «Je vois vos images sur ce texte.» Il y a donc une projection, celle de mes paysages contemplatifs sur cette histoire de filiation. Et puis le schéma habituel : on me soumet un découpage, je propose des crayonnés réalistes.

N.T. : Tu as su imaginer cette maison, cette dune et ces bois.

O.S. : Tout à fait. Pour y arriver, je suis allée faire des croquis au bord de la mer du Nord pour m’imprégner de l’ambiance et des détails. Et pour la double planche où des photos sont étalées sur le plancher du grenier, je me suis mis dans la tête de la petite fille. J’ai posé ici et là des coquillages, des pommes de pin ou certaines images issues de mon album de famille. Il y a une part autobiographique.

N.T. : Les photographies ont permis à la jeune fille de comprendre les liens de filiation ignorés jusqu’ici.

Votre album parle de l’absence suite à un décès. Comment aborde-t-on ce thème avec des enfants ?

N.T. : Difficilement. Mon projet n’est pas de leur expliquer le deuil mais de l’évoquer en faisant un pas de côté par rapport aux autres ouvrages. Le lecteur est placé aux côtés de la fillette et va prêter l’oreille à la souffrance de sa mère. Je ne donne pas les outils pour affronter le processus du deuil, je mets en mots une expérience.

La tristesse est sous-entendue. Les larmes absentes. Comment les illustrations expriment-elles les silences du texte ?

O.S. : Il n’y a pas de gros plans sur les visages, le chagrin passe par la couleur du ciel ou de la mer brune. La mère jette sa peine à l’eau, espérant qu’une vague l’emporte. Il passe également par la posture des personnages. La position d’un bras, d’une main ou des silhouettes vues au loin peut raconter bien plus que des larmes. Et subtilement.

Dans de nombreuses planches, plusieurs de vos personnages sont de profil. Est-ce pour cette raison ?

O.S. : Peut-être. A la fin, assises sur le perron de la maison, elles se regardent enfin. La douleur s’éloigne petit à petit.

N.T. : Ou encore quand elles se retrouvent sous le portrait de la grand-mère accroché dans la maison. La mère est prête à quitter les dunes pour réintégrer cette maison, son point d’ancrage. Tout au long de l’œuvre, elle s’arrache à sa famille, un peu fuyante et fantomatique, elle ne fait pas face.

Y a-t-il une conciliation entre le monde des vivants et celui des morts ?

N.T. : C’est tout à fait plausible grâce à la maison. Elle reste quand les vivants s’en vont. Elle accueille ceux qui arrivent, prêts à investir les souvenirs. C’est un personnage complémentaire ayant pour but d’être le réceptacle de cette histoire commune et d’être le lien entre la mémoire des vivants et celle des morts.

O.S. : Il y a aussi la mémoire de la grand-mère. Elle est le lien entre tous.

Vous écrivez sur l’empathie d’un enfant. Pourquoi apportez-vous cet éclairage ?

N.T. : Une intuition. La narratrice n’évoque pas directement ses sentiments, elle observe la souffrance de l’autre. Et se demande quelle doit être sa posture. Comme le sont les jeunes enfants. Ils ne sont pas confrontés au deuil mais à la peine de leurs parents, ils font l’apprentissage de cette perte à travers eux. Car la mort est un concept encore abstrait pour eux.

O.S. : J’ai essayé de raconter cette douleur par le traitement de la couleur. Au début, la maison est fermée, un crépuscule rosâtre tombe, des photos en noir et blanc pour évoquer le passé de la grand-mère. Peu à peu, il y a du répit. Ma gamme devient plus vive. La fillette rejoint sa mère contempler «la mer brune», la joie est revenue. Le ciel bleu aussi.

D’où ce choix de l’aquarelle ?

O.S. : Il y a un aspect évanescent et transparent de l’aquarelle qui renvoie à celle de l’eau et, à nos souvenirs familiaux transmis par chaque membre. Et jusqu’à présent, je travaillais à l’acrylique. Mes albums étaient denses et visuellement lourds, loin de la légèreté recherchée dans cet album.

Il y a plusieurs planches silencieuses. Pourquoi ?

O.S. : Pour se recueillir, accueillir le chagrin de la mère ou encore pour s’arrêter.

N.T. : Il y a trois silences dans l’album : la mère sur le sable, la mer, les retrouvailles de trois générations où la mère câline sa fille sous la photographie de la grand-mère. Ces moments scandent la narration et en disent beaucoup sans mots. C’est au lecteur d’investir les non-dits.

La nature est un lieu de recueillement et de solitude. Pourquoi lui donne-t-on une telle importance ?

N.T. : La nature est un détour pour revenir à la maison et une échappée pour les personnages. Elle apporte poésie et magie venant soulager ce récit.

O.S. : Marcher sur la plage, nous procure un bien-être. Marcher nous soulage. La nature est une aide.

Pourquoi travailler autour de cette métaphore de cette dune grandissante ?

N.T. : C’est parti d’un geste, celui de claquer ses bottes avant de rentrer dans la maison pour les vider du sable. Ce monticule devant la porte me faisait penser à un sablier car dans ce tas, il y a les grains d’hier, d’aujourd’hui et bientôt ceux de demain. Il y a une certaine continuité : la dune va demeurer.

O.S. : On est sur quelque chose de très réaliste jusqu’au moment où la dune est exagérément haute. L’image est presque onirique, l’univers lui irréel.

N.T. : Il y a de la magie dans une réalité – la nôtre, la mort.

Niels Thorez, la Maison sur la dune, illustré par Odile Santi, éditions Courtes et Longues, 40 pp.

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