vendredi 12 janvier 2024

Florence Schechter, créatrice du musée du Vagin : point de vulve et images


Mêlant science et culture, la jeune Anglaise a fondé ce lieu à Londres après avoir tourné une vidéo de pénis d’animaux et constaté qu’elle ne pouvait faire l’équivalent féminin.

par Juliette Démas, correspondante à Londres

publié le 11 janvier 2024 à 16h55

«Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les… vagins.» Si Florence Schechter était née en France, elle aurait probablement écrit des reprises féministes de Pierre Perret, ou chanté «à la pêche aux moules-moules-moules» chaque été sur le chemin de la plage. Mais elle est anglaise, et c’est au fond assez logique : pour fonder un musée du vagin – le seul au monde – il fallait forcément être à Londres.

Elle arrive en fin de matinée dans la galerie, un de ces espaces serrés sous les arches ferroviaires comme on en trouve un peu partout dans la capitale britannique. A intervalles réguliers, l’air tremble au passage d’un train. Habitués, les visiteurs ne lèvent même pas les yeux de l’exposition, qui leur délivre un concentré bien senti d’histoire de l’endométriose. Un peu en retard, un peu pressée, la trentenaire Florence Schechter installe son chien côté café, au calme, et salue la pâtissière qui aligne des meringues en forme de tampons dans la vitrine.

Avant de devenir la «madame Vagin» du Royaume-Uni, Florence Schechter a grandi dans une famille juive, en banlieue de Londres. Fille d’un musicien qui a fui l’URSS et d’une pharmacienne anglaise, c’est une élève douée qu’on pousse rapidement vers les études scientifiques. Elle rêve à l’époque d’être médecin. Une difficulté d’inscription lui donne l’occasion de prendre une année sabbatique, et elle découvre le monde hospitalier en tant qu’assistante médicale. Vite convaincue que ce n’est pas son milieu, elle se réinscrit en biologie. C’est finalement sa sœur qui étudiera la médecine, après avoir travaillé dans le théâtre. Etre touche-à-tout, c’est dans leurs gènes.

De la fac, à Birmingham, elle garde «le souvenir d’avoir passé son temps à faire plein d’autres choses que de la biologie : le club de théâtre, le club de musique, le club de stand-up…» L’expérience la conforte dans son envie de mêler sciences et communication, mais un problème se pose vite : à la juxtaposition des deux, les postes sont rares. «J’ai rapidement appris que si je voulais que quelque chose arrive, il fallait que je le fasse moi-même», explique Florence Schechter, qui décide alors de cumuler travail alimentaire et missions en freelance, tout en créant une chaîne YouTube.

C’est au détour d’une vidéo que l’idée germe. «J’ai tourné un top 10 des pénis d’animaux intéressants, qui a très bien marché. L’idée me faisait rire. Mais, au moment de faire un équivalent féminin, je n’ai réussi à trouver que quatre vagins étonnants. Quatre contre dix, pour une soi-disant féministe, ce n’était pas terrible !» Une amie qui vient de visiter le musée du Phallus d’Islande lui conseille de s’adresser à des commissaires d’exposition. C’est là que Florence Schechter met le doigt sur le problème : à part une exposition anatomique dans un musée de l’Obstétrique, il n’existe pas grand-chose. Fidèle à ses principes, elle décide de s’attaquer sans plus tarder à la création d’un musée du Vagin.

Une fois que l’idée est lancée, impossible de l’arrêter. Le projet est reçu avec un enthousiasme débordant. Florence Schechter fait marcher son carnet de contacts fourni, et commence par des soirées comédie et des expositions itinérantes. «On a vite reçu énormément de soutien. Au bout d’un moment, j’ai vu que pour grandir, il nous faudrait trouver un endroit.» Coup du sort, elle déniche un local dans le marché de Camden, où elle a passé son adolescence à zoner avec ses amis, entre les punks et les touristes, alors convaincue que c’était «l’endroit le plus cool du monde». «A vrai dire, quand on s’est installés en 2019, ce n’était déjà plus vraiment cool», remarque-t-elle. Le marché a été privatisé. D’épicentre des contre-cultures, il est devenu machine à fric. Au bout de deux ans, malgré le succès du musée, les propriétaires leur demandent de partir.

Il faudra alors de longs mois, une levée de fonds et beaucoup de négociations avant de trouver ce petit espace sous les rails, encore en cours d’aménagement. L’ascenseur vient d’être installé et l’étage n’est pas ouvert au public. «Pour être honnête, je me sens poussée hors de Londres», admet Florence Schechter. Les treize dernières années d’austérité ont limité la marge de manœuvre pour les projets comme le sien. «Les artistes et créatifs quittent la capitale. Beaucoup de mes amis sont partis. Le gouvernement diabolise activement les personnes transgenres et non binaires, et ne soutient pas les communautés queers. Ils forment une sorte de brigade antiwoke qui complique notre travail. Du coup, ça nous force à être plus tranchés dans nos positions.»

Le fait de fonder le premier musée du Vagin a évidemment attiré l’attention, et pas seulement positive. «Il a fallu prendre une décision très vite sur les droits des personnes trans, et nous avons évidemment choisi d’être inclusifs. On utilise aussi notre plateforme pour parler de la décriminalisation du travail du sexe. Quand j’ai lancé le musée, je pensais que ça serait plus léger. Je me disais que j’allais parler de vagins toute la journée, et que ça serait drôle. Dans la pratique, il faut sans cesse parler de racisme ou de politique. Rien n’est neutre.» Elle s’interrompt un instant pour démêler son chien qui s’est coincé entre les pieds de sa chaise. «Si on veut régler des problèmes tels que les inégalités d’accès à la santé ou à la justice reproductive, et éviter les violences faites aux femmes et aux minorités de genre, il faut d’abord qu’on puisse être capable de parler de vagins sans tabou.»

Quand ses amis et anciens camarades de classe voient son nom dans les journaux, ils se disent qu’elle «a encore fait du Florence». Personne ne s’étonne de son parcours. «Je ne me souviens pas avoir eu de grande révélation féministe», souligne-t-elle pourtant, avant de repêcher un souvenir d’enfance qui l’a laissée perplexe. «A la circoncision de mon cousin, je m’étais retrouvée avec toutes les femmes, enfermée à l’étage. Il se passait clairement quelque chose de très important, mais nous ne pouvions pas y assister. J’avais trouvé ça très bizarre.» Aujourd’hui, elle veut lutter contre les mythes, et «donner aux gens assez de confiance pour qu’ils puissent mener toutes les bonnes batailles».

Parmi les visiteurs, ses préférés sont «les pères célibataires qui viennent avec leurs filles, en sachant qu’un jour ils devront leur parler de leurs règles et veulent le faire dans un endroit sain, où il y aura toujours quelqu’un pour répondre aux questions». Elle a d’ailleurs écrit un livre, V, à destination des adolescentes. Entre deux projets, elle s’est mise à apprendre le russe, en hommage à ses racines. Son compagnon, qui encadre les étudiants en situation de handicap dans une université, a quitté Reading, à l’ouest de la capitale, pour emménager avec elle à Londres. Pour l’instant, elle ne se voit pas bouger. «J’ai eu une période de découragement, car le musée représente énormément de travail alors qu’on ne génère que de minuscules changements. Mais c’est comme ça que toute évolution a lieu : on tient bon, on fait partie d’un mouvement plus grand, et on fait tout ça parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse.»

1991 Naissance à Londres.

2019 Ouverture du musée du Vagin dans le marché de Camden, à Londres.

2023 Réouverture du musée à Bethnal Green, dans l’est de Londres.


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