vendredi 12 janvier 2024

Discriminations Racisme aux urgences : un homme blanc est mieux pris en charge qu’une femme noire, révèle une enquête

par Ludovic Séré  publié le 11 janvier 2024

A symptômes identiques, les hommes sont davantage pris au sérieux que les femmes, et les blancs plus que les personnes racisées, conclut une étude menée auprès de plus de 1 500 médecins urgentistes.

Aux urgences, on a plus de chance d’être mieux pris en charge si on est un homme blanc que si on est une femme noire. Une étude menée par un doctorant de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes s’est intéressée aux biais des médecins urgentistes et à leurs conséquences sur les différences de traitement d’un patient à un autre, en fonction de son genre et de son ethnie. Publiée fin décembre dans l’European Journal of Emergency Medecine, et repérée ce jeudi 11 janvier par Midi libre, l’enquête menée auprès de 1 563 médecins urgentistes en France, en Suisse, en Belgique et à Monaco conclut qu’à symptômes identiques, les hommes sont pris plus au sérieux que les femmes, les blancs plus que les personnes racisées.

L’idée initiale part du sentiment d’un urgentiste du CHU de Montpellier, Xavier Bobbia, également enseignant à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, que tous les patients se présentant aux urgences ne bénéficieraient pas de la même prise en charge. «Quand des médecins sont confrontés à la même situation de nombreuses fois, ils finissent par faire des diagnostics sans se rendre compte des paramètres qu’ils prennent en considération, ce qui s’appelle le diagnostic intuitif», explique Xavier Bobbia à Libération. Celui qui a mené l’étude a donc émis l’hypothèse que si beaucoup de diagnostics sont intuitifs, ils sont probablement corrélés à des paramètres qui n’ont rien à voir avec la médecine. «J’ai la conviction que l’on vit dans une société qui, pour des raisons historiques, a des préjugés racistes et sexistes que l’on peut voir un peu partout, reprend le praticien. Est-ce donc le cas dans l’évaluation de la gravité des malades aux urgences ?»

L’étude menée par un de ses étudiants, Guillaume Olivier, est venue confirmer son intuition, révélant des résultats alarmants. Ainsi, en moyenne, 55% de cas cliniques strictement équivalents présentés à l’échantillon d’urgentistes sont jugés comme des urgences vitales. Mais le chiffre grimpe à 62% s’il s’agit d’un homme, et chute à 49% s’il s’agit d’une femme. Du côté de l’apparence ethnique, un cas pour un patient maghrébin est jugé à 61% comme une urgence vitale, à 58% pour un patient blanc, à 55% pour un asiatique et enfin à seulement 47% pour un noir. «L’écart d’interprétation le plus important sépare l’homme blanc, considéré à 63% en urgence vitale, de la femme noire, qui a un score de 42%», note en outre Midi libre.

«Quand on évalue qu’un cas est moins grave, on diagnostique plus tardivement»

Or ces biais ont des conséquences très concrètes. «Quand on évalue qu’un cas est moins grave, on diagnostique plus tardivement», résume Xavier Bobbia. Il s’agit de la première étude de ce genre en France selon le médecin urgentiste, qui précise que l’enquête a été faite «avec l’aide de la Société française de médecine d’urgence» et l’accord du comité d’éthique du CHU de Montpellier.

Pour arriver à ces résultats, les chercheurs ont testé les préjugés de ces quelque 1 500 médecins à l’aide d’un dispositif précis. L’étude s’appuie «sur une situation clinique dont les symptômes et la gravité sont identiques chez les hommes et chez les femmes». Le choix s’est porté sur une douleur thoracique, qualifiée de «ni gravissime ni rassurante», et pour laquelle les statistiques montrent que le genre du patient n’a aucun impact sur la probabilité de gravité des symptômes. Un même texte a été fourni aux participants afin de savoir comment ils orienteraient le patient dans le triage fait à l’entrée aux urgences, défini sur une échelle de 1 à 5, du plus au moins urgent.

«Il faut que les soignants se rendent compte qu’ils ont des préjugés»

Différents profils de patients ont été générés par IA : quatre hommes et quatre femmes aux apparences ethniques différentes. Ne connaissant par l’objet de l’étude menée à l’aveugle, chaque participant a alors reçu le texte accompagné d’une image du patient, debout, grimaçant, la main sur le thorax, avec comme consigne : «Evaluation visuelle de la gravité aux urgences.» Du 14 juillet au 15 août, 1 563 médecins et infirmiers urgentistes français, suisses, belges et monégasques ont traité les cas qui leur étaient présentés comme s’ils étaient en situation réelle.

Après le constat, Xavier Bobbia identifie plusieurs axes d’améliorations. «Dans un premier temps, c’est la prise de conscience collective, estime celui qui se réjouit de la médiatisation de son étude.Il faut que les soignants se rendent compte qu’ils vivent dans une société qui fait qu’ils ont des préjugés. Il ne faut pas les nier.» La question de la formation aux facteurs humains – les relations entre les individus et les systèmes avec lesquels ils interagissent – est aussi un enjeu. «Mais cela reste une science récente, que l’on enseigne peu.»

L’urgentiste insiste également sur l’importance de s’appuyer sur des échelles de triages d’ordre aux services d’urgence les plus précises et les plus objectives possibles. «Pour cela, je crois beaucoup à l’aide de l’IA, expose le praticien. Avec une base de données comprenant tous les éléments objectifs des gens qui viennent pour une douleur thoracique, le machine learning peut arriver à prédire quel est le pourcentage de chance que la personne fasse un infarctus ou autre.» La problématique étant toujours d’entrer les bonnes données au départ. Une nouvelle étude également réalisée dans plusieurs lieux différents est justement en préparation afin de comprendre si l’intelligence artificielle pourrait effectivement améliorer le triage.


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