lundi 22 janvier 2024

« C’est dur d’échouer. Mais c’est pire de ne pas avoir essayé de réussir » : faut-il en finir avec les citations inspirantes au bureau ?

Publié le 18 janvier 2024 

CHRONIQUE

« Work in progress ». Auparavant l’apanage des start-up, les aphorismes signés Gandhi, Churchill ou Steve Jobs fleurissent désormais sur les murs de beaucoup d’entreprises. Censés motiver les troupes, ils peuvent néanmoins avoir l’effet inverse.

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ne des plaies collatérales de la diffusion massive de la culture start-up et de ses gimmicks faussement originaux dans le monde du travail est l’omniprésence des citations inspirantes sur les murs des entreprises. Débarquer dans une boîte quelconque aujourd’hui, c’est être accueilli par un décor que l’on a déjà vu mille fois, fait de plantes vertes, de canapés multicolores et de mantras s’affichant au-dessus du bar à smoothies : « C’est dur d’échouer. Mais c’est pire de ne pas avoir essayé de réussir » (Theodore Roosevelt), « Ceux et celles qui sont assez fous pour croire qu’ils peuvent changer le monde sont en réalité ceux qui le font » (Steve Jobs), « La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre à danser sous la pluie » (Sénèque).

C’est un peu comme si l’esprit de Marc Aurèle s’était mis à suinter à même le BA13 de la cafétéria. Parfois, ces outils de motivation murale, qui placent sur un pied d’égalité les aphorismes de grandes figures historiques (Ghandi, Platon) et d’entrepreneurs du numérique (Mark Zuckerberg), essaiment dans l’ascenseur ou sur un paperboard. On les trouve même, aujourd’hui, sur les gourdes personnalisées, sur les mugs.

Le présupposé à la base de cette pratique managériale est assez curieux : un peu comme dans Matrix où le personnage de Neo télécharge à une vitesse folle dans son cerveau la science du kung-fu, là, une simple phrase d’Einstein, s’imprimant sur la rétine lors de votre transhumance bureau-machine à café, serait susceptible de transformer le rouage gris que vous êtes en génie créatif, par son seul pouvoir de contamination sémantique. Soyons sincères, tout ça ne marche pas vraiment : généralement, vous retournez à votre place avec votre café, mais sans idée surnuméraire pour réenchanter le brief marketing sur lequel vous transpiriez avant de quitter votre assise.

Banalité répétitive du quotidien

C’est là tout le paradoxe de la citation inspirante. A l’origine, elle est censée vous inviter à la fréquentation des grands esprits, un peu comme s’ils étaient vos nouveaux collègues de bureau. « Qui n’a jamais rêvé de parler à des personnes telles que Gandhi, Einstein, Socrate, Mohamed Ali ou Michael Jordan ? », interroge d’ailleurs Charles Dussol, auteur de l’ouvrage Les Citations inspirantes qui vont changer votre vie (publication indépendante, 2023).

Mais en réalité, ce que fait la citation inspirante, c’est, par effet de contraste, vous renvoyer à la banalité répétitive de votre quotidien (non, vous n’êtes pas Churchill affrontant les grands soubresauts de l’histoire, juste un type qui essaie de faire des photocopies recto verso sans y parvenir). Parfois, à force de lire la même phrase qui vous invite avec insistance à« imposer [votre] chance, serrer [votre] bonheur et aller vers [votre] risque » (René Char), vous commencez à sentir monter en vous des bouffées d’angoisse orwellienne.

De toute façon, l’époque a changé. L’esprit start-up ne brille plus de mille feux et, comme le laissait entendre il y a quelques mois un article paru sur le site de recherche d’emploi Indeed, la citation inspirante aurait désormais pour ambition principale non de planter en vous une graine de génie créatif, mais de vous maintenir simplement à flot et de vous aider à « réaliser que vos problèmes ne sont pas insurmontables » si vous vous donnez de la peine. Car, comme le rappelle une belle maxime de l’inventeur et industriel Thomas Edison : « Le génie est fait de 1 % d’inspiration et de 99 % de transpiration. »


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