lundi 29 janvier 2024

BD «Vierges : la folle histoire de la virginité» d’Elise Thiébaut, pucelle que vous croyez

par Katia Dansoko Touré   publié le 20 janvier 2024

Dans une BD instructive et poilante, la journaliste et essayiste se penche sur la construction de cette notion, ses mythes et réalités.

La virginité ne se perd pas. C’est la première conviction qui nous habite une fois refermé l’essai graphique Vierges : la folle histoire de la virginité signé Elise Thiébaut (1). On aura ri comme poussé de hauts cris, on se sera insurgée comme on aura hoché la tête en signe d’approbation. En moins d’une centaine de pages, la journaliste et essayiste de 61 ans parvient à nous entraîner dans une odyssée déconstructive du tabou qu’est la virginité agrémentée d’un humour dénué de vulgarité. Et cela, en évoquant son propre cheminement – celui de l’adolescente qu’elle a été, prête à en découdre avec sa propre condition de «vierge» –, mais aussi l’histoire, la médecine, la mythologie ou même l’astrologie. Elise Thiébaut mêle les voix de l’adolescente de 14 ans qu’elle a été et celle de la femme sexagénaire qu’elle est aujourd’hui ; ainsi que celle d’une trentenaire, l’illustratrice Elléa Bird, derrière les dessins et quelques-uns des traits d’humour de l’ouvrage.

«Rituel de passage de la vie»

Ces trois voix rythment le triptyque inscrit au cœur de l’essai graphique : être vierge, le tabou, et les grandes figures de la virginité, de Jeanne d’Arc («qui était peut-être transgenre») aux vierges martyres de la pureté en passant par Marie, mère de Jésus, les «vierges sous serment» d’Albanie, les prêtresses antiques qu’étaient les vestales ou la Shéhérazade des Mille et Une Nuits. Sans parler des films mettant en scène des vierges sur les sites pornos ou alors des femmes qui vendent leur virginité aux enchères – en 2017, une jeune roumaine, Alexandra, aurait cédé la sienne à un homme d’affaires installé à Hongkong pour 2,3 millions d’euros.

«La virginité n’est pas quelque chose qui se perd, réaffirme Elise Thiébaut auprès de LibérationIl s’agit d’un rituel de passage de la vie, à l’instar de la puberté ou de la ménopause». D’ailleurs, qu’est-ce qui détermine que l’on est vierge ou pas, questionne encore l’essayiste : «Est-ce la première relation sexuelle potentiellement féconde ? Est-ce le premier orgasme ?» En tout cas, la déchirure de l’hymen accompagnée d’une éventuelle saignée n’est en rien «le signe ultime de la virginité», rappelle d’emblée l’ouvrage. On ne sait toujours pas quelle est la fonction anatomique de cette membrane. «Il m’arrive d’intervenir dans les collèges dans le cadre de discussions autour de Tout sur le rouge, ma pièce de théâtre sur les règles, glisse Elise Thiébaut, également autrice de Ceci est mon sang : petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (la Découverte, 2017), de Au bonheur des vulves (avec Camille Tallet, Leduc, 2021) ou encore de Ceci est mon temps : ménopause, andropause et autres aventures climatiques (2). Très souvent, les adolescentes me demandent si la première fois est douloureuse. Or, il n’existe pas de tissus plus élastiques que ceux de la vulve ou du vagin. Si l’on a mal, c’est à cause de la contraction du vagin due à l’appréhension peu avant le coït. L’hymen lui-même est extrêmement élastique.» Aussi, «perdre» sa virginité est un phénomène progressif, qui se fait en plusieurs fois, rappelle Elise Thiébaut dans son livre.

«Un caractère à la fois magique et scientifique»

Avec la virginité, on jongle sans arrêt entre vertu et imperfection. «Le mot tabou vient du terme polynésien tapou, qui signifie “fortement marqué” pour quelque chose d’interdit, de potentiellement dangereux ou alors pour quelque chose qui a une valeur sacrée et que l’on ne peut toucher, explique à Libération celle qui a lancé aux éditions Au diable Vauvert, Nouvelles Lunes, une collection dédiée aux thèmes queers et féministes. La virginité, elle, est frappée d’une espèce de caractère à la fois magique et scientifique. Elle est à la fois investie d’un pouvoir ayant une forte résonance sur nos vies tout en pouvant être considérée négativement d’une culture à l’autre.» Vous avez dit anthropologie ? Elise Thiébaut, qui aurait rêvé être anthropologue, traverse les territoires, évoque des coutumes mais aussi des sociétés organisées autour du féminin : la tradition du drap blanc dans certaines sociétés africaines lors de la nuit de noces, les tribus amérindiennes au sein desquelles on attribuait le genre «fille» ou «garçon» à la naissance, ou la problématique des mutilations génitales. «Je ne voulais pas faire quelque chose d’occidentalo-centré. Pour autant, l’idée n’était pas non plus de tomber dans le folklore.» Pour prolonger ce travail, Elise Thiébaut s’est d’ores et déjà lancée dans un essai (tout court) autour de la virginité.

(1) Vierges : la folle histoire de la virginité d’Elise Thiébaut et Elléa Bird, éd. le Lombard, 96 pp.
(2) A paraître, en mars, aux éditions Le Diable Vauvert.


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