mardi 5 décembre 2023

u des États-Unis. La difficile lutte contre le harcèlement scolaire en France

Colette Davidson

Publié le 4 décembre 2023

La difficile lutte contre le harcèlement scolaire.

Plusieurs suicides d’adolescents ont focalisé une nouvelle fois l’attention sur la menace que représente le harcèlement scolaire. Pour les écoles, tout l’enjeu consiste à développer l’empathie des enfants, leur confiance en eux, et à briser le silence. Mais des obstacles existent dans le système français, estime “The Christian Science Monitor”.

Marjorie Revy a été victime de harcèlement dès l’école primaire. Les brimades ont commencé par des petites piques – on se moquait d’elle parce qu’elle savait lire avant tout le monde –, mais elles sont vite devenues physiques, voire violentes.

Pendant cinq ans, raconte-t-elle, elle se faisait régulièrement bousculer dans les couloirs, on lui faisait des croche-pieds, on la poussait dans les escaliers. À 10 ans, un garçon lui a délibérément envoyé un ballon de football en pleine figure. Bilan : une fracture du nez. Ses bourreaux ont retourné des groupes entiers d’écoliers contre elle.

Lorsqu’elle a tenté de porter plainte, ses enseignants ne l’ont pas prise au sérieux, lui reprochant de se faire une montagne de pas grand-chose. “Imaginez les pires faits de harcèlement scolaire, et je suis certaine à 98 % de les avoir subis”, assure la jeune femme, aujourd’hui âgée de 25 ans.

“Pendant deux ans, je me suis tue.”

Marjorie Revy a commencé à manifester des signes d’angoisse et de dépression et ne voulait plus aller en classe. En fin de CM1, ses parents l’ont retirée de l’école pour la scolariser à domicile. Une demi-douzaine d’amis de ses parents, s’improvisant en équipe de prévention du suicide, passaient régulièrement la voir.

Témoigner publiquement de son expérience

“Je ne savais pas comment mettre fin à mes jours, mais je savais comment faire pour sombrer dans le sommeil, explique-t-elle. Par la suite, j’ai retrouvé des notes que j’avais écrites où je disais vouloir mourir. Mon père m’a confié récemment que sa pire crainte lorsqu’il rentrait du travail était de n’entendre aucun bruit dans la maison.”

Aujourd’hui, Marjorie Revy se mobilise pour éviter à d’autres enfants de subir le martyre qu’elle a enduré. Son association, Athénaïs, qu’elle a créée l’année dernière avec son père pour faire partager son histoire à des écoliers et à de jeunes adultes, est l’une des nombreuses structures menant des actions en partenariat avec le gouvernement français pour lutter contre le harcèlement scolaire. Selon les associations, en France, au moins un élève sur dix serait victime de harcèlement scolaire et le pays a connu une vague de suicides d’adolescents – dont un nouveau cas depuis le début de l’année scolaire.

Le déferlement d’émotion suscité par ces décès – certains enfants n’avaient pas plus de 13 ans – a déclenché un mouvement comparable à #MeToo : des acteurs, des personnalités politiques et des jeunes commencent à témoigner publiquement de leur propre expérience de harcèlement.

Les programmes de lutte contre ce phénomène s’attachent désormais à sanctionner les agresseurs au lieu de punir les victimes en les retirant de l’environnement familier de leur école. Certains estiment toutefois que, dans le milieu éducatif français actuel, il reste difficile pour les enfants comme pour les parents de porter plainte et une réflexion a été engagée sur la façon de punir les harceleurs.

Une cause nationale

“Y a-t-il plus de harcèlement qu’avant ? C’est difficile à dire, mais une chose est certaine : il y a une meilleure prise de conscience”, observe Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance, qui œuvre pour la protection des enfants et gère le numéro national d’écoute consacré au harcèlement scolaire [3018]. “Les parents savent que le harcèlement est interdit et les jeunes savent que, s’ils sont exposés à une situation de ce type, ils ont le droit de demander de l’aide. À partir de là, nous avons simplement besoin des ressources pour appliquer les programmes existants.”

Le gouvernement a fait du harcèlement scolaire une cause nationale depuis qu’au printemps dernier une jeune fille de 13 ans, Lindsay, a mis fin à ses jours dans le Pas-de-Calais après avoir subi des brimades pendant des mois. La Première ministre a mis en place une série de mesures pour lutter contre ce fléau : recruter davantage de psychologues scolaires, obliger les chefs d’établissement à signaler les cas de harcèlement, mieux former les enseignants et s’attaquer au cyberharcèlement.

Mais en septembre, le surlendemain de la rentrée, Nicolas, 15 ans, s’est suicidé en banlieue parisienne. Ses parents affirment avoir alerté à de nombreuses reprises l’équipe pédagogique sur les faits de harcèlement que subissait leur fils, mais pour toute réponse, le rectorat les a engagés à “adopter une attitude plus constructive et respectueuse envers les membres de la communauté éducative”, allant jusqu’à les menacer de poursuites judiciaires [pour “dénonciation calomnieuse”].

La mort de Nicolas a soulevé un tollé en France et a relancé le débat sur les moyens d’intervention les plus efficaces face aux harceleurs et à leurs victimes.

Maladie récurrente due au stress

Ce problème met en rage Virginie, qui vit dans le sud de la France et dont la plus jeune fille a été exposée au harcèlement il y a cinq ans, alors qu’elle avait 13 ans. Depuis, elle a développé une maladie récurrente due au stress.

“Je suis allée parler avec les gamins qui harcelaient ma fille, j’ai averti son établissement, j’ai envoyé des courriers au proviseur”, raconte Virginie, qui a demandé à ne pas être identifiée par son nom complet afin de protéger sa fille. Les autorités se sont bornées à lui conseiller de retirer sa fille de l’école pendant un an, de sorte qu’elle ne soit plus en contact avec ses agresseurs :

“Au bout du compte, c’est ma fille qui a été punie.”

Le gouvernement français dit vouloir s’assurer que ce type de situation ne se reproduise plus jamais. Il a renforcé son programme scolaire de lutte contre le harcèlement et mis en place plusieurs nouvelles mesures axées sur la prévention, la détection et les solutions.

Le plan prévoit notamment de confisquer aux harceleurs leur téléphone portable, de les exclure des réseaux sociaux et, au besoin, de les contraindre à changer d’établissement. Dans les cas les plus graves, la justice sera saisie.

À la fin septembre, la police a interpellé et menotté en plein cours un élève de seconde âgé de 14 ans à la suite de plaintes lui reprochant d’inciter au suicide un lycéen en transition de genre. L’incident a soulevé un débat houleux sur les limites de l’intervention policière dans les affaires de harcèlement scolaire.

“Casser la dynamique de groupe”

“On ne devrait avoir recours à la police et à la justice que lorsque toutes les autres voies ont été épuisées”, estime Caroline Veltcheff, référente harcèlement pour l’académie de Paris. “Il s’agit de casser la dynamique de groupe dont bénéficie le harceleur. Pour ce faire, il faut rencontrer l’agresseur et ceux qui pourraient le suivre dans ses moqueries, et expliquer la situation.”

“On ne cherche pas nécessairement la cause du harcèlement, mais on veut simplement le faire cesser, ajoute-t-elle. Cela permet de sensibiliser très efficacement les enfants, et généralement, ils s’arrêtent purement et simplement.”

Pour ce qui est du cyberharcèlement au moins, “une fois que les harceleurs sont punis et ont pris conscience des conséquences de leurs actes, ils s’arrêtent”, poursuit-elle. Selon une étude sur le harcèlement réalisée en 2020 par l’association e-Enfance, dans neuf cas sur dix, les harceleurs ont reconnu leurs actes après avoir eu à en supporter les conséquences.

Le harcèlement est plus courant au collège, estiment les experts, qui engagent le gouvernement à mettre en place des mesures préventives bien avant cela. L’année dernière, un groupe expérimental d’élèves de maternelle a commencé à suivre des cours d’empathie inspirés d’une méthode pédagogique mise en place au Danemark depuis une vingtaine d’années et baptisée “Fri for Mobberi” [“libéré du harcèlement”]. Le gouvernement souhaite rendre ces classes obligatoires dans tout le pays dès la rentrée 2024.

En France, de plus en plus d’établissements français travaillent d’ores et déjà sur des méthodes d’apprentissage alternatives privilégiant le bien-être et le développement de la confiance en soi. Mais d’aucuns estiment que pour que les élèves changent de comportement, les écoles françaises devraient commencer par changer de mode de fonctionnement.

“Les enseignants ne peuvent pas se contenter d’une heure hebdomadaire d’empathie et s’en tenir là. Ils doivent mettre en pratique ce qu’ils prêchent, martèle Cécile Viénot, pédopsychologue à Paris. Si un professeur demande à ses élèves d’être polis mais qu’il ne leur dit même pas bonjour dans le couloir, il crée un climat de mépris. Nous devons y aller pas à pas pour faire évoluer les choses.”

Des ressources trop rares

Depuis 2015, le ministère de l’Éducation nationale expérimente dans les collèges le dispositif des élèves ambassadeurs, formés à repérer les cas de harcèlement et à résoudre les conflits. Grâce à cette formation, commente Caroline Veltcheff, responsable de la lutte contre le harcèlement scolaire, “les élèves ne sont plus simplement le problème mais la solution”.

Donner davantage d’autonomie aux élèves pour réagir au harcèlement pourrait aider les établissements à gérer des ressources trop rares. Le gouvernement a en effet supprimé 1 500 postes d’enseignants au début de l’année, et la France a l’un des ratios élèves-enseignant les plus élevés d’Europe – 26,6 par classe, contre 21 pour l’ensemble du continent.

Parallèlement, la sensibilisation aux effets délétères du harcèlement scolaire progresse. Beaucoup de victimes se sont tournées vers X (ex-Twitter) pour témoigner sous le hashtag #CaAuraitPuEtreMoi. En septembre dernier, la députée Virginie Lanlo a pris la parole devant l’Assemblée pour raconter les faits de harcèlement dont elle avait été victime.

Il est essentiel de dénoncer publiquement le harcèlement pour en venir à bout, insiste Marjorie Revy. Si ses interventions dans les écoles ne lui ont pas encore permis de tourner complètement la page, elles l’aident sans conteste, elle-même comme sa famille, à digérer son traumatisme scolaire. “Lorsqu’on se moque de quelqu’un, on ne sait jamais ce que l’on peut faire comme ravages”, souligne Marjorie Revy, qui, bien qu’elle ait dû quitter l’école à 18 ans en raison de sa phobie scolaire, a depuis passé son bac et est entrée à l’université. “Toute mon enfance, j’ai cherché des moyens de mettre fin à mes jours. Aujourd’hui, je suis heureuse. Mais la douleur est restée.”


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