mardi 12 décembre 2023

Pousseur du RER : l’inexplicable en procès

par Didier Arnaud   publié le 14 décembre 2012

Homicide . Un homme sous suivi psychiatrique a été condamné, jeudi soir, à seize ans de prison.

D'abord une image. Celle d'une jambe qui se tend vers un corps qui s'efface. Elle est extraite d'une vidéo, sans son, où l'on devine un quai (station Gare de Lyon à Paris), un train (le RER A), la même jambe et un dos qui se plie, jusqu'à disparaître du champ. La jambe, c'est celle d'Ahmed Konkobo, 29 ans, qui pousse sur le rail Subramaniam Rasalingam, 52 ans, agent de nettoyage d'origine sri-lankaise. Cette semaine à la cour d'assises de Paris, Konkobo était jugé pour homicide volontaire. Son procès fait partie de ceux que l'histoire des sous-sols parisiens appelle les «pousseurs du métro». Jeudi soir, il a été condamné à seize ans de réclusion criminelle, assorti d'une obligation de soins, puis d'un suivi sociojudiciaire de quinze ans.

Le 2 avril 2010, à 5 h 45, Rasa, surnommé «Nounours» par ses collègues, tant il est gentil, poli et généreux, attend le RER qui doit le conduire à son travail. Il croise Ahmed, qui dit-il, l'a pris pour un autre, un type qui lui ressemble («il est noir comme lui», affirmera Ahmed) avec lequel il s'était bagarré quelques minutes auparavant, pour «un mauvais regard». Ahmed, l'instruction le montrera, dit qu'il a des problèmes avec les Indiens et les Pakistanais, et les Noirs, en général. Noir ? Pourtant, Ahmed l'est aussi.

Marchepied. Ce matin-là, il n'est pas dans son état normal. Il a déjà avalé deux ou trois bières à 2,50 euros, qui titrent 11,6 degrés.

Sur la vidéo, on le voit arpenter le quai en se balançant, et on imagine qu'il parle tout seul, comme le font souvent ceux qui, dans le métro ne sont pas très clairs au matin. On voit Ahmed donner son coup de pied, puis s'en aller. «C'est pas ça que je voulais faire, dit-il à la cour, je voulais lui mettre un coup sur le côté, avec la jambe gauche, comme une balayette. Il va tomber et c'est fini.» Ça ne s'est pas passé comme Ahmed l'aurait voulu. La tête de Rasa heurtera le marchepied d'une rame, ce qui, à 70 km/h, ne lui laissera aucune chance.

Après, Ahmed ira «pisser» au bout du quai, fumer une cigarette en attendant «son RER» qui l'emmène à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), où il habite chez sa mère. C'est donc ça un «pousseur» ? Ce type si redouté des voyageurs, qui, dans un élan de folie, s'en prend au premier venu pour l'envoyer ad patres, sans espoir de retour, sur un train qui s'avance à toute bombe.

Pendant deux jours d'audience, Ahmed Konkobo, cheveu ras, tantôt en veste grise, tantôt en tee-shirt à rayures, aura laissé l'image d'un homme de peu d'envergure. Avant ce crime, il avait déjà été condamné à huit reprises - pour vol, dégradations, violences aggravées. Konkobo est plutôt à l'aise dans son box, il contera le quotidien d'un garçon qui n'a pas grand-chose à faire de ses dix doigts, à part prendre le RER pour aller «sur Paris» et suivre un traitement pour soigner sa pathologie de schizophrène, des injections de neuroleptique. Car c'est la seconde caractéristique du «pousseur» de n'avoir pas toute sa tête, pour réaliser de tels gestes.

«Discernement». Ainsi, lorsqu'il est sur le quai ce matin-là, cela fait plusieurs semaines qu'il n'a pas eu sa piqûre. L'absence de cette injection peut provoquer chez lui des délires, potentialisés par la prise d'alcool ou de cannabis. Pendant le procès, les psychiatres diront que sa pathologie peut «altérer ses facultés mentales» sans pour autant «abolir totalement son discernement».

Sa mère viendra pourtant expliquer comment elle a alerté, en vain, l’hôpital, la police, sur la dangerosité de son fils, qui a fini par balancer sur les quais, un nettoyeur du petit matin dans la plus grande indifférence.


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