mercredi 27 décembre 2023

Marie Bonaparte, princesse à l’avant-garde du plaisir féminin

par Alexandra Schwartzbrod   publié le 27 décembre 2023 

Une biographie de Valérie Troisier raconte l’étonnante «Conquête du plaisir» de celle qui fut l’arrière-petite-nièce de Napoléon 1er, et dépeint le portrait d’une femme moderne avant l’heure.

La place du clitoris dans le plaisir féminin est un sujet qui, heureusement, ne choque plus personne aujourd’hui. On en parle désormais sans tabou, même si certain(e) s rougissent encore à cette évocation. Alors imaginons une princesse se lancer dans cette étude dès le début du siècle dernier, n’hésitant pas à calculer elle-même sur ses amies ou même parentes, à l’aide d’un compas, la distance entre leur clitoris et l’entrée de leur vagin. Pionnière en la matière, car elle se considère comme frigide et cherche à tout prix à y remédier, Marie Bonaparte, arrière-petite-nièce de Napoléon 1er, est en effet persuadée que plus la distance entre ces deux points est grande, moins le frottement est suffisant, au cours de la pénétration, pour provoquer l’orgasme chez la femme. Elle ira même jusqu’à subir plusieurs interventions chirurgicales pour rapprocher ces deux points qu’elle trouve trop éloignés chez elle. Cette entrée en matière un peu brutale est nécessaire pour comprendre l’incroyable destin de cette femme moderne avant l’heure et en total décalage avec son milieu.

Multiplication des amants

Sa biographie nous est racontée par Valérie Troisier qui a sauté sur ses genoux quand elle avait un an, sa grand-mère étant la meilleure amie de Marie Bonaparte. Jusque-là, rien que de très banal. C’est à l’occasion d’un coup de théâtre que la journaliste a commencé à s’intéresser de plus près à la vie de celle qui était mariée au prince Georges de Grèce avec qui elle eut deux enfants. A l’orée de l’an 2000, un livre révèle soudain que le mari de Geneviève, Jean Troisier, grand-père de Valérie, avait longtemps été l’amant de Marie Bonaparte. La journaliste a soudain regardé Marie Bonaparte sous un autre angle et, curieuse de comprendre, s’est empressée d’interroger les derniers témoins. Le résultat est sidérant.

La princesse a eu une vie tumultueuse. Orpheline de mère et traumatisée par l’indifférence de son père qui lui préférait l’étude des plantes, elle a été élevée par une grand-mère insupportablement sévère qui a bridé tous ses désirs naissants, dont celui d’étudier. La jeune Marie n’a pu se libérer de ce carcan qu’en se mariant avec un homme sympathique mais peu attentionné dans l’intimité car amoureux fou de… son propre oncle. Ce n’est donc pas avec le prince Georges de Grèce qu’elle va atteindre la jouissance, celui-ci envisageant le sexe avec une femme comme un simple et désagréable acte de reproduction. Dans une quête effrénée du plaisir, elle va donc multiplier les amants et non des moindres puisqu’elle compta parmi eux le président du Conseil Aristide Briand.

Sauveuse de Freud

Mais c’est surtout sa longue amitié avec Sigmund Freud qui va occuper une large partie de sa vie. Amitié n’est pas véritablement le mot d’ailleurs puisque cette relation a d’abord été celle d’une patiente à son psychanalyste. Elle a soulevé des montagnes pour pouvoir être reçu par Freud, ne lui épargnant rien de ses opérations destinées à atteindre enfin le plaisir. C’est même elle qui lui sauvera la vie en lui permettant de s’enfuir à Londres lors de l’entrée des nazis à Vienne. Ce livre est bien plus qu’une biographie, c’est une incroyable page d’histoire.

Valérie Troisier, Marie Bonaparte, la Conquête du plaisir, Tallandier, 352 pp.


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