lundi 18 décembre 2023

Défaut de prise en charge d’une ado soupçonnée de « faire semblant » : interrogations et émotions

Le mercredi 6 décembre 2023 

L’histoire, révélée par nos confrères de Mediapart, est préoccupante. Une jeune fille de 13 ans est décédée le 2 juillet dernier à l'hôpital. Dix jours plus tôt, victime d’un malaise, presque incapable d'ouvrir les yeux, de parler ou de se lever, Aïcha avait été soupçonnée de mentir et de simuler par une équipe de sapeurs-pompiers, appelée par ses parents. La famille a finalement dû se rendre à l'hôpital plus tard dans la nuit, où les soignants ont découvert que la jeune fille faisait une hémorragie cérébrale.

L’attitude des pompiers dénoncée par la famille

C'est une soirée banale dans le XIXe arrondissement de Paris. Aïcha et son frère jumeau dînent tous les deux. Dès les premières bouchées, Aïcha se sent souffrante : fatigue soudaine, lèvres blanches, regard brouillé… Très vite, elle se couche et a beaucoup de difficultés à parler et à garder les yeux ouverts.

La mère d’Aïcha, inquiète, décide d’appeler les pompiers. Trois sapeurs-pompiers arrivent rapidement, aux alentours de 20 h 15. Les constantes de la jeune fille sont bonnes, et ils décrètent très rapidement que la jeune fille semble simuler. Un diagnostic qui ne changera jamais au cours des trente minutes d’intervention au total.

Dans des enregistrements sonores révélés par Mediapart, les pompiers paraissent convaincus que la jeune fille fait semblant : elle se force à fermer les yeux, elle mime des tremblements… Les sapeurs-pompiers refusent d’appeler la régulation ou de demander l’avis d’une équipe médicale.

L’attitude et le ton des pompiers ont également choqué la famille de la jeune fille : ils insinuent qu’ils perdent leur temps, qu’ils ont mieux à faire ailleurs, et menacent l'ado de faire venir une équipe médicale qui lui fera « des piqûres »… Endormie, incapable de parler, Aïcha va rester dans cet état après le départ des pompiers.

Vers 3 heures du matin, le père de famille décide finalement d’emmener sa fille à l’hôpital Robert-Debré, où elle est immédiatement placée en salle de déchocage puis dans le coma. Selon Sambola, le père de l’adolescente, les médecins à l’hôpital « n’ont pas compris pourquoi les pompiers avaient refusé de la prendre en charge ». Les examens médicaux révèlent très vite une hémorragie cérébrale et une malformation artérioveineuse. La jeune fille décèdera malheureusement le 2 juillet suivant.

Une décision incompréhensible

Selon un médecin urgentiste, interrogé par Mediapart, « cette prise en charge a pu entraîner une perte de chance ». L’un des médecins intervenu auprès de la jeune fille a même contacté les pompiers pour leur signifier qu’il ne comprenait pas leur décision.

« Quand une patiente n’est pas capable de parler et est endormie pendant tout ce temps, on la prend en charge. Elle aurait pu avoir pris des substances qui exigeaient des examens médicaux », remarque un soignant de l’hôpital Robert-Debré à nos confrères, pour qui l’attitude des sapeurs-pompiers est « incompréhensible ». « Tous les jours, on reçoit des enfants dont l’état est d’apparence moins gravePourquoi les pompiers ont-ils perdu tout ce temps à remettre en cause la mère ou à refuser de prendre en charge cette adolescente ? Peut-être qu’ils avaient des préjugés sur cette famille, peut-être qu’ils se sont dit qu’elle ne serait pas procédurière », ajoute ce soignant.

Du côté de la préfecture de police de Paris, on botte en touche. Contactée par Mediapart, celle-ci a refusé de livrer la moindre explication au titre du « respect du secret médical » et du « respect du secret professionnel qui s’applique à l’ensemble de l’intervention ».

Pour nos confrères de Mediapart, cette triste affaire est à mettre en parallèle avec plusieurs autres cas similaires, sur fond de « syndrome méditerranéen » — une attitude de certains médecins qui consisterait à minimiser les douleurs et les souffrances de personnes d’origine africaine, caribéenne ou maghrébine. On pense surtout à l’affaire Naomie Musenga, décédée en 2017 et moquée au téléphone par le Samu, qui l’accusait de simuler ses souffrances.

Yolande Gabriel, une Martiniquaise de 65 ans, était également décédée en août 2020 après avoir attendu les secours plus d’une heure et, là encore, le Samu ne l’avait pas prise au sérieux.

En attendant une réponse des pouvoirs publics, la famille d’Aïcha envisage de déposer plainte.

Raphaël Lichten

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