mercredi 27 décembre 2023

Adoptions forcées En Belgique, un scandale d’enfants nés sous X au XXe siècle secoue l’Eglise catholique

par Laure Broulard, Correspondante à Bruxelles  publié le 24 décembre 2023

Un podcast publié à la mi-décembre révèle que des milliers d’enfants belges auraient été arrachés à leur mère et placés à l’adoption, avec la complicité de l’institution religieuse entre 1945 et 1980. Après des années de silence, la parole des victimes se libère.

Au téléphone, la voix de Debby Mattys se met tout d’un coup à vibrer de colère. «Vous vous imaginez, c’est l’Eglise. L’Eglise qui dit qu’il faut prendre soin de son prochain et qui a pourtant humilié et maltraité nos mères pendant des années», lâche-t-elle. Cette cinquantenaire fait partie des enfants belges qui ont été soustraits à leur mère et placés à l’adoption contre paiement entre les années 50 et les 80. Ils seraient 30 000, selon le média flamand Het Laastse Nieuws, qui a publié une enquête mi-décembre sur le sujet. Avec des témoignages glaçants : des femmes tombées enceintes hors mariage et placées chez des religieuses par leur famille pour cacher leur grossesse y racontent comment elles ont été influencées ou forcées à abandonner leurs bébés. Certaines ont été stérilisées de force ou abusées sexuellement.

La mère de Debby a été prise en charge à Huis Elizabeth, une institution tenue par des sœurs près d’Anvers, lorsqu’elle est tombée enceinte en 1967, à 18 ans. «Les conditions étaient effroyables. Les nonnes l’humiliaient, lui disaient qu’elle était une honte pour la société, qu’elle ne pouvait pas s’occuper d’un enfant. Elle a dû accoucher derrière un drap, afin qu’elle ne me voie pas naître. Et puis elle a pris le tramway toute seule pour rentrer chez elle, sans moi. Sa famille n’a plus jamais voulu en parler», raconte Debby. Cette histoire, elle l’a entendue en 2019 de la bouche de sa mère biologique qu’elle a pu rencontrer après des années de recherche. Et après avoir trouvé dans les papiers de ses parents adoptifs des factures liées à son adoption, pour environ 20 000 francs belges, soit environ 500 euros.

«Sortir du silence et de la honte»

C’est la deuxième fois, en l’espace de trois mois, que des documentaires basés sur des témoignages secouent l’Eglise catholique belge. En septembre, les quatre épisodes de l’enquête télévisée les Oubliés de Dieu, qui donnait la parole à des victimes de violences sexuelles commises par des prêtres, avaient déjà outré la Flandre et suscité l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. «En ce moment, il se passe quelque chose. Il y a eu les révélations sur les abus sexuels, puis ça. Désormais, les adoptés veulent aider leurs parents biologiques à sortir du silence et de la honte dans lesquels ils ont été enfermés pendant des années», explique-t-elle.

L’affaire des adoptions forcées avait déjà émergé en 2014. Il y avait bien eu, alors, des discussions au parlement flamand, des excuses arrachées à l’Eglise, des demandes d’enquête. Puis plus rien. Et si en juin 2022, les députés fédéraux ont voté en faveur d’une motion sur les adoptions internationales frauduleuses, le gouvernement ne s’est pas encore véritablement penché sur le cas des enfants adoptés illégalement en Belgique.

«Ce n’était pas juste l’Eglise. Ces adoptions étaient le fait d’un système beaucoup plus large, beaucoup de gens savaient et ont collaboré», assure Yngvild Ingels, députée fédérale du parti N-VA. Elle suit de près ce dossier, et pour cause : elle a elle-même été adoptée en 1979, moyennant finance, via l’association Caritas Catholica, après être née sous X de l’autre côté de la frontière, à Dunkerque. Et n’a jamais pu retrouver sa mère biologique. «J’ai été transportée de France en Belgique, sans véritable existence légale. Et pourtant, mes parents ont pu ensuite régulariser l’adoption via des avocats. A l’époque, ils pensaient bien faire. Et je ne suis pas la seule. Il y en a plein qui ont été adoptés comme ça», dit-elle. En Belgique, accoucher anonymement a toujours été impossible. Certaines jeunes mères belges auraient donc passé la frontière pour donner naissance en France. Avec le concours de religieuses et de médecins amis de la famille, de sages-femmes ou de diverses organisations d’adoption plus ou moins formelles. Et pour les enfants adoptés, remonter le fil de leur histoire est souvent un véritable parcours du combattant.

«Faire la vérité»

Face à la polémique dans les médias, des représentants de l’Eglise ont réagi ces derniers jours : le porte-parole des évêques, Tommy Scholtès, a ainsi déclaré qu’il fallait «être sensible à la détresse exprimée, mais aussi faire la vérité» à travers une enquête indépendante, selon lui déjà demandée de longue date par la conférence épiscopale. Il assure cependant qu’il «n’était pas question d’achats d’enfants ni de traite d’être humains, mais plutôt de remerciements de la part des familles adoptantes aux religieuses afin de faire fonctionner les orphelinats». Le ministre de la Justice belge, Paul van Tigchelt, a quant à lui proposé que l’enquête sur les adoptions soit jointe à celle sur les abus sexuels dans l’Eglise, déjà en cours au niveau du parlement.

Yngvild Ingels souhaiterait également que toutes les informations encore existantes sur les dossiers des adoptés soient rassemblées dans un lieu unique et accessible, afin de faciliter leurs recherches.«Depuis la diffusion du documentaire, ma boîte mail explose, dit-elle.De plus en plus de témoignages émergent. Et je suis sure qu’il y a encore plein de Belges qui ne savent même pas qu’ils sont nés sous X.»


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