samedi 11 novembre 2023

La santé mentale, grande oubliée de la politique de la ville

par Antoine Pelissolo, Chef du service de psychiatrie du CHU Henri-Mondor et 1er adjoint au maire de Créteil (PS)  publié le 8 novembre 2023

La prise en compte des souffrances psychiques ne figure pas dans le plan du Comité interministériel des villes, présenté le 27 octobre par Elisabeth Borne. Or les quartiers socialement défavorisés sont les plus touchés par ces pathologies, rappelle le psychiatre Antoine Pelissolo.

par Antoine Pelissolo, Chef du service de psychiatrie du CHU Henri-Mondor et 1er adjoint au maire de Créteil (PS)

publié le 8 novembre 2023 à 11h03

Certaines maladies psychiques comme la schizophrénie sont deux fois plus fréquentes en ville qu’à la campagne (1), et les facteurs socio-économiques constituent un déterminant essentiel de la bonne ou de la mauvaise santé mentale. Cumulant ces facteurs de risque, les quartiers dits «politique de la ville» (QPV) sont hélas les plus vulnérables aux troubles psychiques et devraient donc faire l’objet d’une attention toute particulière des pouvoirs publics. En réalité, l’accès aux soins est en général beaucoup plus difficile dans ces territoires qui n’ont rien d’attractif pour les professionnels de santé, qu’il s’agisse des hospitaliers ou des libéraux. On y constate couramment des délais de rendez-vous interminables dans les centres de consultation, voire une absence totale de prise en charge possible pour les adultes et encore plus pour les enfants et les adolescents.

La répartition des financements des services de psychiatrie de secteur, qui assurent normalement tous les soins de santé mentale essentiels d’un territoire donné, ne prend en compte les facteurs socio-économiques de la population qu’à hauteur de 9 % (2). Pourtant, les besoins de soins varient facilement du simple au double selon le niveau de vie et la précarité des habitants.

Pathologies majorées

Un cercle vicieux inéluctable s’enclenche chaque fois que la pauvreté génère des souffrances psychiques (dépressions, troubles anxieux, addictions, etc.) ou que les défauts de diagnostic et de soins aggravent des pathologies préexistantes (schizophrénies, troubles bipolaires, etc.) : les malades et leur famille voient leurs conditions de vie se détériorer, ce qui ne fait que majorer en retour leurs pathologies. Peuvent s’ensuivre une dégradation de leur état de santé globale, de leur insertion professionnelle et sociale ainsi que des troubles du comportement majorant l’ostracisme dont ils sont fréquemment victimes et altérant la cohésion de certains quartiers.

Le plan du Comité interministériel des villes (CIV), présenté le 27 octobre par la Première ministre, Elisabeth Borne, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), n’aborde aucunement cette problématique. Il y est bien fait mention d’un objectif de création de 60 centres de santé à l’horizon 2027 (on recense plus de 1 500 QPV en France…), comportant un accompagnement «psychosocial». Il ne s’agit pas là de compétences psychiatriques, pourtant indispensables pour poser des diagnostics et mettre en œuvre des soins complets comme cela est nécessaire pour les troubles mentaux, en lien bien sûr avec les médecins traitants et les autres intervenants de la santé mentale.

Reconstruire la psychiatrie publique

Des dispositifs de soins de premiers recours et de suivi existent partout en France, en particulier les centres médico-psychologiques (CMP) avec le plus souvent des compétences et des engagements admirables. Ils n’ont cependant pas les moyens de répondre aux besoins de la population, qui se sont encore accrus depuis les trois dernières années du fait des crises successives que nous traversons. Le nombre de postes de psychiatres, psychologues ou infirmiers y est insuffisant, avec des statuts et des rémunérations peu attractifs et des conditions de travail souvent très mauvaises (locaux inadaptés, mise en danger parfois, etc.).

Il est donc indispensable de reconstruire la psychiatrie publique, en commençant en urgence par les quartiers socialement défavorisés. Les services situés en QPV devraient se voir doter de budgets nettement accrus, adaptés aux profils des populations, et les professionnels de santé qui acceptent d’y travailler devraient y être encouragés par des avantages similaires à ceux accordés aux enseignants dans les zones d’éducation prioritaire.

Il est illusoire d’espérer améliorer l’éducation, le logement, la sécurité et l’émancipation des populations les plus précaires sans investir dans la préservation de leur santé mentale.

(1) «Rural Urban Variation in Incidence of Psychosis in France : A Prospective Epidemiologic Study in Two Contrasted Catchment Areas», publiée en 2014 dans BMC Psychiatry.

(2) Notice technique de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) du 11 mai 2023.


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