mardi 31 octobre 2023

Reportage Mineurs auteurs de violences sexuelles : «Il est urgent de prendre à bras-le-corps cette réalité»

par Fanny Marlier   publié le 26 octobre 2023 

L’unité psychiatrique du CHU de Montpellier propose aux enfants auteurs de violences sexuelles des groupes de parole sur le consentement ou l’emprise, afin de les sensibiliser à la gravité de leurs actes. Un soulagement pour les parents.

Son regard bleu baissé au sol, Marc (1) raconte à demi-mot le «choc». «Ma femme et moi ; ça nous est tombé sur la tête, on ne s’y attendait pas du tout.» Il y a une poignée d’années, son fils, adolescent, a été mis en examen pour une infraction à caractère sexuel dont il ne souhaite pas donner davantage de détails, et pour laquelle il n’a pas été encore jugé. Le quinquagénaire fustige pêle-mêle : l’influence des copains, Internet – «le mal de notre époque» – et le manque de formation des éducateurs de l’Institut thérapeutique éducatif et pédagogique au sein duquel est placé son fils depuis son jeune âge.

Entre fouillis juridique et absence de politiques publiques, les violences entre mineurs sont un angle mort de la prise en charge des violences sexuelles. Publiés en octobre 2022, les premiers résultats de recherches menées par la protection judiciaire de la jeunesse pour le ministère de la Justice, rappellent qu’elles sont pourtant «loin d’être anecdotiques» : les mineurs représentent la moitié des mis en cause dans les affaires de viols et d’agressions sexuelles sur mineur. Dans la lutte contre ces violences, la prévention doit aussi intégrer les auteurs.

Ce jeudi d’automne, Marc et trois autres parents sont réunis autour d’une rangée de tables, à l’étage de l’hôpital psychiatrique la Colombière, situé au sein du CHU de Montpellier. Agés de 14 à 20 ans, leurs enfants auteurs de violences sexuelles (accusés d’agressions sexuelles ou de viols, en dehors ou au sein du cadre familial) sont suivis individuellement depuis des mois, voire des années, par les psychiatres et psychologues du Centre ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles. Tous s’apprêtent à participer à un groupe psychoéducatif. Ils sont venus de toute la région pour assister à la présentation du dispositif conduit par la psychiatre Céline Baïs et la psychologue Magali Teillard. Une initiative pionnière, lancée en 2017, et qui a depuis essaimé à Toulouse, Caen, Nantes.

«Pas de profil type»

Pendant dix séances de deux heures, étalées sur cinq mois, ils vont parler de consentement, de sexisme, d’emprise et de maîtrise de soi dans le but de trouver des alternatives à leur violence. En filigrane, il s’agit aussi de prendre conscience de la gravité de leurs actes et des conséquences sur leurs victimes. Dans l’attente de leur procès, la plupart ont une obligation de soins décidée par un juge.

«Beaucoup d’adultes que l’on soigne ici disent que leur sexualité déviante a commencé dès l’adolescence, c’est pourquoi nous sommes convaincus de l’urgence à prendre à bras-le-corps cette question dès maintenant», lance en préambule aux parents Céline Baïs. La psychiatre s’est engagée, voilà une décennie, dans le traitement d’auteurs de violences sexuelles. Pour balayer les stéréotypes, elle rappelle qu’il «n’existe pas de profil type de l’auteur mineur» de ces violences. Dans ses consultations, elle voit défiler tous les milieux sociaux, du fils d’enseignant à celui d’ouvrier. L’anonymat est d’ailleurs l’une des règles importantes du groupe de parole : aucune situation personnelle n’est abordée.

En revanche, les participants peuvent «partager certains traits» : avoir été eux-mêmes victimes, être impulsifs ou encore avoir une vision de la sexualité déformée par la pornographie. Beaucoup sont dans une forme de déni. «Lors de la séance dédiée au phénomène de groupe, ceux qui assurent disposer toujours de leur libre arbitre ont pourtant participé à des viols en réunion», détaille Céline Baïs, qui suit individuellement en parallèle environ 80 mineurs.

Séance par séance, la psychiatre détaille aux parents les thématiques qui seront abordées avec leurs enfants. A l’aide de vidéos YouTube, d’articles de presse ou de publicités sexistes, les jeunes participants vont être amenés à questionner leurs idées reçues, sans jugement. Pour illustrer la notion de consentement corporel, l’équipe diffuse un extrait de la série Friends où l’on voit Chandler embrasser Phoebe et Rachel, stoïques, les bras ballants. La séance dédiée au sexisme s’ouvre via une vidéo de «Marie s’infiltre». On y voit la YouTubeuse suivre des hommes dans la rue, leur toucher les fesses en lançant : «Alors les goss-bo, ça dit quoi ?» Dans la pénombre de la salle, des parents laissent échapper un rire.

«Certains jeunes sont très anxieux dans leurs relations avec les filles, ils ont du mal à repérer la frontière entre la drague et le harcèlement, détaille la psychologue Magali Teillard. D’autres n’ont pas la compétence de savoir comment détecter un accord ou pas lorsque celui-ci est non verbal.»

Retours très positifs

Un groupe de psychoéducation est réussi lorsque se produit un «basculement» : le déni cède le pas à l’introspection. Certains y parviennent particulièrement lors de la séance sur l’emprise – «la plus compliquée» –, a constaté Céline Baïs.. «Beaucoup se décomposent en prenant conscience qu’ils ont, eux aussi, pu manipuler une petite copine ou un enfant», confie-t-elle, tout en encourageant les parents à être attentifs à leurs adolescents à la sortie des séances.

D’une voix douce, une mère demande : «Y aura-t-il des filles dans les groupes ?» «Il n’y aura que des garçons, répond la psychiatre. Je ne vois pas assez de filles dans mes consultations pour créer un groupe homogène.» Les chiffres du ministère de la Justice rappellent ce qui tient de l’évidence : la plupart des victimes sont des filles (75 %), et les auteurs des garçons (92 %).

Si les jeunes sont au départ réticents, les retours sont très positifs, assure la psychiatre. En guise d’encouragement, Magali Teillard se remémore le courriel d’un jeune participant : «Il nous a fièrement raconté comment il avait suivi à la lettre les étapes présentées lors de la séance consacrée à la séduction pour séduire sa copine actuelle.»

L’heure de fin sonne. Des parents viennent prendre des renseignements sur la prise en charge du trajet, certains vivent à plusieurs dizaines de kilomètres. La salle se vide. «C’est sûr, cela va lui mettre du plomb dans la tête, veut croire Marc, à propos de son fils. J’espère qu’il comprendra que l’on ne fait pas n’importe quoi à n’importe qui, qu’il faut parler et respecter l’autre.»

(1) Le prénom a été changé.


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