vendredi 13 octobre 2023

La maison des adolescents de Montpellier, une bulle pour les jeunes en souffrance : « Ça vide un poids du sac »

Publié le 12 octobre 2023

Par  (Montpellier, envoyée spéciale)  

Plus neutre et moins stigmatisante que l’hôpital, la maison des adolescents accueille de manière anonyme tous les jeunes de 11 à 21 ans ayant besoin d’un suivi en santé mentale. S’ils sont de plus en plus nombreux, ils présentent aussi des situations plus lourdes.

A la maison des adolescents (MDA) de Montpellier, tous les looks sont permis, tant qu’on s’éloigne des attributs de l’hôpital. Les blouses blanches des soignants ont été troquées pour des tenues estivales et colorées. La salle d’attente semble plus foutraque qu’aseptisée : des lycéens s’y affrontent au baby-foot, ça fait des étincelles. Seul le « mur d’expression » donne un indice quant à la teneur du lieu : sur le tableau noir, certains ont déposé leur mal-être à la craie : « J’ai sombré, été partisane de la folie » « Il orageait dans la terre/Il pleuvait sur la mer/Il criait, tambourinait/Aux parois d’un esprit cambriolé. »

Car les jeunes qui poussent la lourde porte de cette maison viennent chercher du soin et du soutien. Ils sont même « de plus en plus abîmés », affirme, d’une même voix, l’équipe composée de « professionnels de l’écoute », divers et variés psychiatres et pédopsychiatres, psychologues, éducateurs spécialisés, assistante sociale, infirmières, diététicienne ou encore sophrologue. Comme tous le redoutaient, la crise sanitaire a eu l’effet d’une bombe à retardement, dont les répercussions sur la santé mentale continuent d’être explosives.

Ici, en plein centre de Montpellier, comme dans toutes les autres MDA du pays, qui en compte environ 120, dont au moins une dans chaque département, on accueille, depuis 2012, les jeunes de 11 ans à 21 ans (et désormais jusqu’à 25 ans, si nécessaire) de façon « inconditionnelle » : c’est-à-dire tous les après-midi, sans délai, sans rendez-vous, gratuitement et de manière anonyme. Puisqu’on est en dehors de l’hôpital, nul besoin de présenter sa carte Vitale, ni même de donner son vrai nom, et encore moins de prévenir les parents, que l’on soit majeur ou mineur. « La MDA offre un espace neutre, ouvert et non stigmatisant, explique le cahier des charges. Elle vient en appui et en complémentarité des dispositifs et acteurs présents dans les territoires. »

Sauf que, depuis les différents confinements, « la plupart des dispositifs sont saturés, avec des phénomènes d’embouteillage de salles d’attente », souffle Ariane Bantsimba, responsable du pôle « accueil écoute évaluation orientation » de la MDA de l’Hérault. A l’échelle nationale,  « toutes sont embolisées, parce qu’en aval les services hospitaliers le sont aussi ; l’ensemble du système, dont nous faisons partie, est fragilisé », observe Delphine Rideau, présidente de l’Association nationale des maisons des adolescents (Anmda) et directrice de la MDA de Strasbourg, dans le Bas-Rhin.

L’écoute et la parole

Les chiffres confirment les impressions sur le terrain : les données du réseau Oscour (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) ont montré une hausse, entre 2018 et 2021, de 23 % des passages aux urgences pour des épisodes dépressifs ou des idées suicidaires chez les 18-24 ans, et de 58 % chez les 11-17 ans. Cette tendance s’est même accentuée en 2022, d’après l’agence Santé publique France.

En plus d’être plus nombreux, les jeunes accueillis à la MDA présentent aussi des situations plus lourdes. « Avec des crises qui se succèdent – sanitaire, géopolitique, climatique… –, les ados arrivent avec une multiplicité de problématiques, poursuit Delphine Rideau. Ce sont des éponges : ces événements ont des conséquences sur tous les pans de leur vie. » En panne dans leur projet scolaire, en difficulté dans leurs relations familiales et amoureuses, jonglant avec des addictions ou des troubles alimentaires… ces jeunes voient leurs problèmes s’empiler comme les couches d’un mille-feuille.

Leurs histoires et leurs profils sont pour le moins éclectiques : c’est bien d’une classe d’âge dont il s’agit, et non d’un milieu social défini. « Mais de même qu’avec le Covid-19, si on envoie tous nos jeunes en soins intensifs, on n’y arrivera pas, fait valoir Delphine Rideau. Il faut les protéger, et ça passe d’abord par l’écoute et la parole. »

L’écoute et la parole, Lucas (tous les prénoms des jeunes ont été modifiés à leur demande) les a trouvées à la MDA de Montpellier. « Ici, c’est le meilleur endroit où on peut se confier, lance-t-il entre deux flopées de bonbons. C’est ma deuxième maison, mon petit jardin secret, mon endroit à moi. Quand je me dispute avec ma mère, je viens ici, je me pose un peu, je respire et après je repars… Une autre question ? » Grande tige de 18 ans, le garçon a été reconnu par la Maison départementale pour les personnes handicapées pour un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Passionné de cuisine, il est en difficulté d’apprentissage depuis des années. « Je souffrais beaucoup de dépression, j’ai fait plusieurs tentatives de suicide, mais la MDA a réussi à me calmer, raconte-t-il. Avant, je tapais les personnes qui m’embêtaient. »Lucas est suivi à la fois par un éducateur spécialisé, une psychologue et une psychiatre : « Ce n’est pas honteux, ça apaise, ça vide un poids du sac. »

Pourtant, tous s’accordent à le dire : le plus dur, c’est de réussir à demander de l’aide. « Ça m’a pris cinq ans, avoue Sonia, 18 ans, à la sortie de son rendez-vous avec la diététicienne. Je n’allais vraiment pas bien, j’ai souffert d’anorexie, mais toute seule. J’étais dans le déni, je voulais avoir l’air forte comme les autres… Et puis, je crois que j’avais peur de me détacher de la maladie, c’était la réponse que j’avais trouvée pour faire face à un événement de la vie. » C’est une amie qui l’a poussée à consulter, ses parents ne sont pas vraiment au courant : « Ils pensent que je viens pour de l’anxiété, précise la brillante étudiante en prépa. L’anonymat, c’est ce qui m’a le plus aidée. J’ai réalisé qu’on m’offrait la possibilité d’avoir de l’intimité, j’ai trouvé de l’autonomie pour guérir. »

En plus de la diététicienne, Sonia est accompagnée à la MDA par une psychologue, une pédopsychiatre et la sophrologue. Elle a fini par vaincre ce qu’elle nomme avec humour sa « phobie des coquillettes » « Je me suis rendu compte que la nourriture, c’était de l’énergie plus qu’un danger. Et une de mes plus grandes peurs, c’était de finir dans un hôpital psychiatrique. J’aurais eu peur que ça m’enfonce, en plus de ne pas me sentir légitime à côté de personnes plus malades que moi. »

Rôle de passerelle avec l’hôpital

Structure de première ligne, la MDA joue un rôle de passerelle avec l’hôpital et le soin spécialisé. Il s’agit d’y explorer les premiers troubles et d’intervenir le plus tôt possible, avant que la situation ne se dégrade.

« Dans une unité d’hospitalisation, les interventions sont très courtes. On a moins le temps d’établir une alliance avec les jeunes, on est là pour s’occuper de l’état aigu du moment et faire redescendre la crise, compare Pauline Houssinot, psychiatre pour adolescents, embauchée par le CHU de Montpellier mais “mise à disposition” à la MDA34. L’intérêt, ici, c’est qu’on peut leur proposer une aide dès que ça commence à ne pas aller bien, poser des mots sur leur souffrance, réfléchir avec leur équipe éducative pour sortir du risque de décrochage… »

Et tenter, au passage, de combler un trou dans la raquette quand ni l’hôpital ni le libéral ne peuvent répondre efficacement à ce public.

Romain, 20 ans, bachelier depuis cet été, fait le récit de crises suicidaires « tout au long de [sa] vie » – « certaines pour attirer l’attention et d’autres plus sérieuses »« Mais j’ai du mal à voir les effets bénéfiques de l’hospitalisation, admet-il.Ça coupe de la vie réelle, on est dans un autre monde. J’ai eu l’impression qu’on écoutait surtout ma mère, alors que c’était très conflictuel avec elle : il n’y avait pas un jour sans insulte ni violence à la maison. » Déscolarisé pendant deux ans, alors qu’il était encore collégien, le jeune homme a finalement été placé par l’aide sociale à l’enfance. Aujourd’hui suivi à la MDA, avec l’hypothèse d’une bipolarité, Romain commence à accepter l’idée d’un traitement, alternant « beaucoup de hauts et beaucoup de bas ».

En plus de la diététicienne, Sonia est accompagnée à la MDA par une psychologue, une pédopsychiatre et la sophrologue. Elle a fini par vaincre ce qu’elle nomme avec humour sa « phobie des coquillettes » « Je me suis rendu compte que la nourriture, c’était de l’énergie plus qu’un danger. Et une de mes plus grandes peurs, c’était de finir dans un hôpital psychiatrique. J’aurais eu peur que ça m’enfonce, en plus de ne pas me sentir légitime à côté de personnes plus malades que moi. »

Rôle de passerelle avec l’hôpital

Structure de première ligne, la MDA joue un rôle de passerelle avec l’hôpital et le soin spécialisé. Il s’agit d’y explorer les premiers troubles et d’intervenir le plus tôt possible, avant que la situation ne se dégrade.

« Dans une unité d’hospitalisation, les interventions sont très courtes. On a moins le temps d’établir une alliance avec les jeunes, on est là pour s’occuper de l’état aigu du moment et faire redescendre la crise, compare Pauline Houssinot, psychiatre pour adolescents, embauchée par le CHU de Montpellier mais “mise à disposition” à la MDA34. L’intérêt, ici, c’est qu’on peut leur proposer une aide dès que ça commence à ne pas aller bien, poser des mots sur leur souffrance, réfléchir avec leur équipe éducative pour sortir du risque de décrochage… »

Et tenter, au passage, de combler un trou dans la raquette quand ni l’hôpital ni le libéral ne peuvent répondre efficacement à ce public.

Romain, 20 ans, bachelier depuis cet été, fait le récit de crises suicidaires « tout au long de [sa] vie » – « certaines pour attirer l’attention et d’autres plus sérieuses »« Mais j’ai du mal à voir les effets bénéfiques de l’hospitalisation, admet-il.Ça coupe de la vie réelle, on est dans un autre monde. J’ai eu l’impression qu’on écoutait surtout ma mère, alors que c’était très conflictuel avec elle : il n’y avait pas un jour sans insulte ni violence à la maison. » Déscolarisé pendant deux ans, alors qu’il était encore collégien, le jeune homme a finalement été placé par l’aide sociale à l’enfance. Aujourd’hui suivi à la MDA, avec l’hypothèse d’une bipolarité, Romain commence à accepter l’idée d’un traitement, alternant « beaucoup de hauts et beaucoup de bas ».

A la croisée de différents métiers et institutions, avec des problématiques à la fois psychologiques et sociales, les ados poussent les professionnels de la MDA à réinterroger sans arrêt leurs pratiques. Ateliers cuisine, radio et philosophie, séances de shiatsu ou d’art-thérapie, groupes de parole avec les parents : en dehors des consultations, la palette des activités proposées est large. « Ils nous forcent à ne pas regarder par le petit bout de la lorgnette, à croiser nos regards, explique Pauline Houssinot. A l’hôpital, c’est plus médico-centré. Ici, on est sur l’étape d’avant, sur le bien-être ou le mal-être. Et quand il y a mal-être, il n’y a pas forcément un trouble psychique. » Car un jeune qui va développer un trouble bipolaire ou schizophrène présente rarement une crise visible au départ : la plupart du temps, les premiers signes sont progressifs et insidieux, comme une altération du sommeil, une phobie scolaire ou un repli sur soi, qui peuvent être simplement liés à l’adolescence. Seule l’évolution permettra de confirmer ou non le diagnostic.

« Pour des jeunes en train de se construire, il faut mettre le paquet si on ne veut pas que cela s’aggrave », martèle Pauline Houssinot, qui souligne un manque chronique de moyens. Aurélie Drake, sa collègue psychologue clinicienne, s’inquiètequand « l’hôpital n’a plus fonction d’accueillir ». « On gère l’urgence et puis merci au revoir », regrette-t-elle.

A maintes reprises, il a d’ailleurs fallu enfiler sa tenue de pompier au sein même de la MDA : « Nous sommes presque victimes de notre succès, lâche Bruno Chichignoud, directeur depuis dix ans de l’établissement de Montpellier (qui compte aussi des antennes à Béziers, Lunel et Bédarrieux) et retraité dans quelques jours. On n’est pas armés pour se transformer en lieu de crise majeure aiguë. On est là pour faire un travail d’évaluation et d’orientation. On ne sait jamais ce que le jeune va nous dire en entrant : “Bonjour, j’en ai un peu marre de mes parents” ou : “Au secours, je fais face à quelque chose de très lourd”. »

« Ni jugement ni remarques »

Dans ce jeu de construction qu’est l’adolescence, entre attachement et détachement, certains étudiants ayant quitté le nid viennent aussi parce qu’ils souffrent de solitude. Chloé, 19 ans, en licence de musicologie à l’université Paul-Valéry de Montpellier, évoque « un grand vide »« incapable de rien » quand elle est arrivée de son Gers natal. « Surprise » qu’on ne lui propose pas de voir un psy, elle est finalement assidue à ses séances de sophrologie : « Ça aide à lâcher prise, à être mieux en accord avec soi-même », se félicite celle qui n’est « pas trop raccord » avec ses parents. « Mon père travaille tout le temps, il est maraîcher bio, petit producteur indépendant, c’est très dur. Moi, je suis assez cool, je suis étudiante, je n’aime pas travailler la terre : il y a parfois une forme de culpabilité… »

Julia, elle, a dû faire face à une mère alcoolique. « C’était très dur de tout gérer. Déjà, à 14 ans, je m’occupais de la maison, de mon petit frère… Ça allait à peu près, mais ça s’est dégradé. J’emmagasinais jusqu’à craquer. Jusqu’au soir de trop. J’ai eu peur de rentrer chez moi », se souvient la jeune femme, 18 ans aujourd’hui, en année de césure post-bac « pour prendre du repos », à la fois émue et fatiguée de raconter son histoire après de lourdes démarches pour être placée dans une maison d’enfants à caractère social (MECS). « Je suis partie et les parents de mon meilleur ami m’ont beaucoup aidée. Bien s’entourer, c’est très important. »

Pour tous, l’entourage et l’environnement représentent tantôt des bulles de protection, tantôt des facteurs de risques. A 17 ans, Zora, grande adepte de foot, raconte avec pudeur comment des surveillants de son lycée l’ont « amenée ici de force pour chercher de l’aide ». Sa famille vient du Maghreb : « L’idée, au bled, c’est que les femmes, ça reste à la maison, lâche celle qui commence une licence Staps. Moi, je ne suis pas d’accord avec leurs idées, en plus je suis une fille et je suis la plus grande : j’ai pris un peu plus cher que les autres. » Par ailleurs « victime de harcèlement par une prof », elle a déserté un temps son établissement. Puis raccroché les wagons grâce, notamment, à l’atelier radio. « Ici, j’ai fait des rencontres incroyables. On sait qu’il n’y aura pas de jugement ni de remarques. On ne risque rien. »

Parmi ces rencontres, Zora cite Ylian Gay, 18 ans, le seul qui souhaite afficher son nom en entier. Peut-être par fierté. Etudiant transgenre en archéologie, il a fait une « grosse dépression » en 2020 pendant le confinement : « Ça fait un monde ténébreux tout le temps autour de soi, c’est très noir, il y a une énorme fatigue, beaucoup de pleurs… J’étais dans un trou », décrit-il.

La MDA l’a orienté, en 2022, vers une psychiatre spécialisée dans la dysphorie de genre à l’hôpital, qui lui prescrit depuis un traitement hormonal. « En terminale, j’ai déménagé de Toulouse à Montpellier. Je me suis retrouvé dans un lycée hyperélitiste, avec des gens racistes et homophobes, c’était horrible, mes résultats ont dégringolé. Je n’ai jamais parlé à personne de ma transidentité. » Aujourd’hui, « ça va beaucoup mieux », rassure-t-il. « Très fan du Moyen Age », Ylian a rencontré une troupe médiévale grâce aux réseaux sociaux. Entre deux reconstitutions historiques, il écrit, beaucoup, et s’exerce à l’enluminure. Le voilà sorti des ténèbres.


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