lundi 2 octobre 2023

Financement des hôpitaux : la « sortie » partielle de la tarification à l’activité se prépare

Par   Publié le 2 octobre 2023

Un nouveau système d’allocation des moyens des hôpitaux, inscrit dans le budget 2024, doit permettre de mieux rémunérer certaines activités « non programmables », comme la réanimation. Il prévoit néanmoins le maintien d’une tarification à l’activité.

Aurélien Rousseau, ministre de la santé et de la prévention, à l’Assemblée nationale, le 26 septembre 2023. 

C’est à l’un des symboles les plus décriés de l’« hôpital-entreprise » que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2024, présenté le 27 septembre et examiné dans l’Hémicycle à compter du 24 octobre, promet de s’attaquer. La tarification à l’activité, surnommée « T2A » dans le jargon hospitalier, soit le système en vigueur de financement des établissements de santé publics et privés, en médecine, en chirurgie et en obstétrique, devrait, à compter du 1er janvier 2025, céder la place à un nouveau modèle. Sans pour autant disparaître.

Les établissements percevront de nouveaux types de rémunérations, fondées, d’une part, sur des « objectifs de santé publique » et, d’autre part, sur des « missions spécifiques », mais la tarification à l’activité reste le troisième pilier d’affectation de moyens aux hôpitaux.

Politique du chiffre, course à la rentabilité, mise en concurrence des établissements… Les critiques n’ont cessé de pleuvoir, dans la bouche des médecins, sur ce mode d’allocation déployé en 2004, et généralisé en 2008. « Le pire, à l’exception de tous les autres », tempère-t-on néanmoins chez ses défenseurs.

D’un sujet technique Emmanuel Macron a fait un enjeu politique : « On doit sortir de la tarification à l’activité dès le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale », a avancé le président de la République, le 6 janvier, lors de ses vœux aux acteurs de la santé« Quand des systèmes se sont installés et que l’on dit que l’on va les changer progressivement, ça ne marche pas, il faut que l’on procède différemment », soutenait-il, alors qu’il avait déjà promis, pour son premier quinquennat, de faire reculer la T2A.

Chemin progressif

A ce jour, l’activité de l’hôpital est classée selon le profil du patient, son diagnostic, les actes médicaux réalisés… Ce sont les groupes homogènes de malades (GHM). Pour chaque groupe, on évalue un coût moyen de prise en charge, puis un tarif lui est attribué par l’Etat. C’est ce tarif qui est reversé, ensuite, par l’Assurance-maladie à l’hôpital. Mais, depuis des années, le décrochage de nombreux tarifs par rapport à la réalité des coûts et l’utilisation de ce levier pour contraindre le budget de l’hôpital sont largement dénoncés.

En dépit de la promesse présidentielle aux allures de big bang, le chemin qui se dessine sera néanmoins progressif et le nouveau modèle assumé comme « mixte ». Le décalage est apparu dès le lendemain des vœux d’Emmanuel Macron, dans les paroles du ministre de la santé d’alors, François Braun, qui évoquait la sortie du « tout-T2A ». Un mot de plus qui change la donne.

Que dit le texte budgétaire tout juste dévoilé ? Il confirme le pas de côté : la nouvelle architecture traduit ainsi « l’engagement du président de la République d’accélérer [la] diversification » des modalités de financement, peut-on lire dans les documents budgétaires, en allant vers un « modèle plus équilibré, amplifiant la part de financement par dotation, tout en préservant les acquis de la tarification à l’activité ». Dont acte.

« La tarification à l’activité va demeurer là où elle est pertinente, pour les activités de soins standards, très normées », défend-on au cabinet d’Aurélien Rousseau, ministre de la santé, où l’on évalue à trois ans le temps nécessaire pour déployer totalement cette « réforme structurelle ». La renégociation des tarifs constitue l’un des chantiers très attendus de l’année 2024. « Personne ne veut sortir complètement de la tarification à l’activité, soutient Stéphanie Rist, députée Renaissance du Loiret et rapporteuse générale du projet de loi budgétaire. Il s’agit d’arrêter là où elle est inefficace et injuste. »

Pourfendeur de la première heure de la T2A, le professeur André Grimaldi, membre du Collectif interhôpitaux, reste sceptique. « Cela ne changera pratiquement rien si la partie variable du financement des établissements reste celle à l’activité, estime le diabétologue parisien. On reste dans une logique de gestion qui ne part pas de la pratique médicale et de ses différences, de la chirurgie ambulatoire aux soins palliatifs en passant par le suivi des pathologies chroniques, le mode de raisonnement va toujours être celui de la recherche de rentabilité. »

Plus loin sur le chantier de la « qualité »

Première nouveauté : l’enveloppe consacrée aux « objectifs de santé publique » devra permettre de mieux reconnaître la « prévention » ou encore la prise en charge des « parcours de patients chroniques », précise-t-on au ministère de la santé. Ce qui existe déjà en partie avec les missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation, qui représentent quelque 13 % du financement des établissements publics actuellement, selon la Cour des comptes.

Le gouvernement veut néanmoins aller plus loin sur le chantier de la « qualité », déjà rémunérée à petite échelle. Il reste à définir des indicateurs qui font consensus : l’inspection générale des affaires sociales a été missionnée pour creuser ce sujet complexe.

Second bloc de nouveaux financements : ceux qui vont être attribués sur des missions spécifiques, et donner lieu au retour de dotations pour rémunérer des secteurs, indépendamment de leur activité, soit le système qui dominait avant la T2A. Cette évolution s’effectuera en premier lieu pour les services de réanimation et de soins critiques, sur lesquels les projecteurs ont été braqués avec l’épidémie de Covid-19. « La crise sanitaire a mis en évidence l’importance de garantir, pour certaines prises en charge, une capacité d’accueil forte sur l’ensemble du territoire, indépendamment des variations d’activité », peut-on lire dans le texte budgétaire. Ils disposeront demain d’une dotation socle, la rémunération à l’activité ne venant plus qu’en complément.

Discussions en cours sur les maternités

Dans les rangs des médecins, les premières réactions sont positives. « Ça fait longtemps que l’on attend cette réforme », salue Djillali Annane, président du Syndicat des médecins réanimateurs, qui rappelle le caractère « irréaliste » de la T2A en réanimation. Coûteux en matériel et en ressources humaines (deux infirmières pour cinq patients), ces services qui tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre nécessitent de garder une structure et des ressources humaines importantes, quel que soit le nombre de patients.

Le diable se cache néanmoins dans les détails : comment sera calculée cette dotation fixe ? « L’enveloppe ne doit pas pérenniser les fermetures actuelles, alerte le médecin. On ne doit pas partir du nombre de lits ouverts, mais des autorisations d’ouverture. »

Autre secteur visé, les maternités, mais les discussions sont toujours en cours pour définir un futur fonctionnement, affirme-t-on au ministère de la santé. Derrière le sujet d’apparence technique, une question très concrète doit être tranchée, souligne-t-on chez les premiers concernés : combien de sages-femmes et de médecins sont-ils nécessaires pour faire tourner les salles de naissance ? Le secteur dénonce depuis des années les ratios insuffisants issus d’un décret de 1998 : « Le nouveau décret est prêt, mais cela reste bloqué “à l’arbitrage” de Bercy, qui reporte sine die », assure Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France.

Plus largement, ce nouveau volet doit permettre de reconnaître les « soins non programmables ». Soit ces patients admis à l’hôpital, en partie par le biais des urgences, et qui viennent de facto « désorganiser » l’activité programmée. « C’est une bonne chose de valoriser enfin cette activité, principalement prise en charge à l’hôpital public, réagit Cécile Chevance, de la Fédération hospitalière de France (FHF). Il s’agit souvent de patients plus lourds, qui restent longtemps. Cela oblige à avoir un volant de lits libres pour faire face à l’afflux potentiel, ce qui coûte cher, mais ne rapporte aucune recette avec la T2A. » Globalement, la FHF, lobby de l’hôpital public, salue le nouveau modèle en gestation, alors qu’elle a toujours défendu « le maintien d’une part significative de T2A », selon sa représentante.

« Si le gâteau reste le même, ça n’ira pas mieux »

Cette évolution va-t-elle bouleverser la donne ? Que représentera chacun des trois leviers de financement ? Quelle part continuera d’occuper la T2A ? Le ministère de la santé tient à préciser qu’il ne s’agira aucunement d’un partage en « trois tiers ».

A lire les annexes du projet de loi budgétaire, l’évolution en perspective paraît néanmoins mesurée : la part du financement à l’activité baisserait de 5 points dans le total des ressources dites « Assurance-maladie » des établissements de santé, passant de 54 % à 49 % entre 2023 et 2026 ; elle représentait 57 % en 2019.

Du côté des établissements publics, la tarification à l’activité représente aujourd’hui de 50 % à 60 % du financement des établissements, selon la FHF, le reste provenant des financements sur les missions d’intérêt général, la formation, l’enseignement, ou encore du fonds d’intervention régional… Dans le secteur privé, en revanche, elle apporte plus de 80 % des ressources.

Le président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), Lamine Gharbi, se dit soulagé de ce nouveau modèle qui « sanctuarise très largement la T2A », selon lui. « Le principe de rémunérer les établissements de santé en fonction de leur activité garde tout son sens, contrairement à l’arbitraire d’une enveloppe attribuée sans lien avec l’activité mesurée », défend-il. Pour le responsable, l’écueil est clair : « On le voit pour les services d’urgence, où cela existe déjà, les enveloppes sont figées dans le marbre, déplore-t-il. Elles engendrent soit des rentes de situation, quand l’activité baisse, soit une dégradation de financement quand l’activité augmente. » Il n’empêche, M. Gharbi salue la piste d’une dotation fixe pour l’obstétrique, « secteur en crise profonde en raison de la baisse de la natalité », avec des « charges fixes devenant insupportables pour les établissements ».

Une crainte reste néanmoins largement partagée, comme le résume en une image le docteur Thierry Godeau, à la tête de la Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement de centre hospitalier. « Si le gâteau reste le même, vous pouvez le couper comme vous voulez, ça n’ira pas mieux, souligne le médecin, qui déplore, comme l’ensemble des fédérations hospitalières, un budget 2024 insuffisant. Le fond du problème, c’est d’abord la contrainte budgétaire, aujourd’hui, le budget de l’hôpital n’est pas adapté aux missions qu’on lui demande. »


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