samedi 21 octobre 2023

Au Royaume-Uni, un plan d’urgence pour désengorger les prisons

Par (Londres, correspondante)  Publié le 19 octobre 2023

Le ministre britannique de la justice a notamment annoncé que des milliers de personnes détenues en Angleterre et au Pays de Galles verraient leur peine raccourcie de dix-huit jours.

La prison de Wandsworth, dans le sud de Londres, le 7 septembre 2023. 

Les prisons britanniques sont pleines. Tellement saturées que le gouvernement de Rishi Sunak en est réduit à des mesures extrêmes. Lundi 16 octobre, le ministre de la justice, Alex Chalk, a annoncé que des milliers de personnes détenues en Angleterre et au Pays de Galles condamnées à moins de quatre ans d’incarcération allaient être libérées dix-huit jours avant la fin de leur peine. Le gouvernement va en outre proposer un projet de loi pour que des milliers de Britanniques puissent purger leur peine dans des établissements à l’étranger et il a promis d’accélérer les expulsions de binationaux condamnés.

Enfin, il a assuré que le gouvernement voulait privilégier les travaux d’intérêt général au lieu des condamnations à de courtes peines (moins d’un an). Une proposition déjà faite par les ministres conservateurs de la justice Ken Clarke, en 2010, et David Gauke, en 2019, mais à chaque fois abandonnée.

La mesure de libération anticipée « ne s’appliquera à aucune personne condamnée pour violence aggravée, crime sexuel ou terrorisme. (…) Nous ne prendrons pas de mesures mettant en danger la sécurité des Britanniques », a insisté M. Chalk, qui a promis qu’en parallèle, les personnes condamnées pour les crimes les plus graves ne bénéficieront plus de remises de peine. « Les pires criminels, les meurtriers, les violeurs seront emprisonnés le plus longtemps possible. Il ne sera plus question que des responsables de crimes haineux soient libérés après n’avoir purgé que les deux tiers de leur peine », a affirmé le ministre.

En Angleterre et au Pays de Galles, qui partagent le même système judiciaire – l’Ecosse et l’Irlande du Nord disposent des leurs –, la population carcérale a atteint 88 225 personnes, au plus haut depuis 2011, selon un décompte publié mi-octobre par le ministère de la justice. Cette population a augmenté de 13,4 % entre avril 2021 et avril 2023, contraignant le gouvernement à agir en urgence. A la mi-octobre, même en plaçant plusieurs détenus dans des cellules individuelles, il ne restait plus que 557 places libres dans les 120 prisons galloises et anglaises.

Evasion spectaculaire début septembre

En cause, une recrudescence des condamnations, après la mise à l’arrêt de la justice pendant de nombreux mois durant la pandémie de Covid-19, des tribunaux en manque de juges après des années d’austérité (environ 15 500 personnes sont incarcérées en l’attente de leur procès). Et des peines qui n’ont cessé de s’allonger, alors que les gouvernements conservateurs successifs n’investissaient pas en proportion pour agrandir les prisons ou en créer de nouvelles : beaucoup d’établissements datent de l’ère victorienne.

« De telles mesures sont le résultat de l’incapacité du gouvernement à anticiper une crise dont il savait pourtant qu’elle allait advenir (…). Le gouvernement a raison de prendre des mesures pour libérer des places, mais attendre que la crise éclate pour agir n’est pas une manière de gérer un service public », déplore Gil Richards, expert au centre de réflexion londonien Institute for Government. Danny Shaw, ex-chroniqueur justice pour la BBC, a également estimé sur la plate-forme X (ex-Twitter) que les annonces du gouvernement sont « un échec grotesque » des conservateurs à « planifier l’augmentation des effectifs dans les prisons qu’ils avaient eux-mêmes prévue ».

Une évasion spectaculaire, début septembre, a attiré l’attention du public et des médias sur l’état lamentable des prisons britanniques et illustré à quel point leur décrépitude et leur manque chronique de personnel présentaient des risques. Daniel Khalife, un jeune homme en attente d’un procès pour terrorisme, s’est échappé de la prison de Wandsworth, la plus connue des prisons de Londres, située dans le sud-ouest de la capitale. Il est passé par les cuisines, s’est dissimulé à l’arrière d’un camion de livraison et n’a été arrêté qu’après trois jours de cavale et une mobilisation exceptionnelle de Scotland Yard. L’inspecteur en chef des prisons, Charlie Taylor, a estimé qu’il y avait « trop de prisonniers à Wandsworth pour la quantité de personnel y travaillant », alors que 30 % des personnels pénitentiaires étaient absents le jour de la fuite de Daniel Khalife.

« Conditions inhumaines »

Wandsworth était toujours l’établissement le plus surchargé d’Angleterre fin septembre, à en croire les chiffres du ministère de la justice, avec 663 prisonniers de plus que ses 950 places théoriques. Selon un récent rapport de l’Independent Monitoring Board, un organe indépendant de surveillance des prisons, la prison de Wandsworth est« dangereusement surchargée », les prisonniers partagent la plupart du temps des cellules conçues pour une personne et ils sont maintenus en détention « dans des conditions inhumaines ».

Le ministère de la justice avait promis en 2021 « le plus grand programme de construction de prisons depuis l’ère victorienne », avec la construction de 20 000 places supplémentaires d’ici à 2025. Mais seulement 5 500 places supplémentaires ont à ce jour été ouvertes. Le plan de M. Chalk « consiste surtout à envoyer des criminels à l’étranger et à en libérer d’autres avant la fin de leur peine », a fustigé lundi, à la Chambre des communes, Shabana Mahmood, la ministre de la justice du « cabinet fantôme » de Keir Starmer, le chef de file de l’opposition travailliste.

Ce dernier a repositionné au centre le parti de la gauche britannique, depuis le début de son mandat en avril 2020. Le Labour doit redevenir, à l’en croire, le parti de « la loi et de l’ordre ». Toute à son indignation, Mme Mahmood a cependant omis de préciser que les libérations anticipées annoncées par M. Chalk sont calquées sur une mesure prise par le gouvernement Labour de Gordon Brown en 2007, pour parer à des prisons déjà surchargées. Cette disposition avait duré jusqu’en 2010, permis à au moins 50 000 personnes d’être libérées dix-huit jours avant la fin de leur peine et donné l’occasion aux conservateurs de faire campagne, lors des élections générales de 2010, contre les mesures supposément laxistes du Labour…



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