samedi 2 septembre 2023

Un nombre inédit d’enfants à la rue à la veille de la rentrée scolaire

Par    Publié le 30 août 2023

Le baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité a dénombré 1 990 enfants sans solution d’hébergement en France en cette fin d’été et s’inquiète des fermetures des places d’hébergement d’urgence en cours.

Des tentes installées dans le jardin de la basilique Saint-Sernin, à Toulouse, le 26 juillet 2023. La préfecture ayant décidé de ne pas reconduire les nuitées d’hôtel de plus de 250 personnes, certaines ont investi ce campement avec leurs enfants.

« Le gouvernement précédent n’a pas tenu sa promesse de “zéro enfant à la rue”. Ils sont même encore plus nombreux. Ce n’est pas tenable », alerte la présidente de l’Unicef France, Adeline Hazan. Presque 2 000 enfants sont restés sans solution d’hébergement pendant la nuit du 21 au 22 août après que leur famille a réussi à joindre le numéro d’urgence 115, révèle le cinquième baromètre des enfants à la rue, publié mercredi 30 août par l’organisme international et par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe près 
de 900 organismes et associations.

Ce nombre augmente : 1 990 enfants à la rue, c’est plus que le double du nombre constaté le 31 janvier 2022, c’est aussi 17 % de plus que le 22 août 2022 et, surtout, 56 % de plus que le 30 janvier 2023, à une période où le gouvernement avait porté le dispositif d’hébergement d’urgence à un niveau jamais atteint par le passé, avec 205 000 places au total. Le nombre de femmes seules à la rue avec des enfants est aussi en forte hausse, de 46 % en un an. « Et encore, il s’agit d’estimations minim[ales], qui ne prennent en compte ni les mineurs isolés ni les familles qui ne parviennent pas à joindre le 115, ou n’essaient même plus, découragées par les refus », souligne le président de la FAS, Pascal Brice.

Sur le terrain, le constat est encore plus sombre. Dans la métropole lyonnaise, le collectif d’enseignants et de parents d’élèves Jamais sans toit, mobilisé en faveur des enfants sans abri, est confronté à une situation inédite depuis sa création, en 2014. « Les familles mises à l’abri l’hiver ne le restent plus systématiquement aux beaux jours, bien que la loi prévoie la continuité de l’hébergement d’urgence. 80 familles ont, par exemple, été remises à la rue le 7 août, avec des enfants âgés de seulement 3 ans, explique Raphaël Vulliez, membre fondateur de Jamais sans toit. Au total, on a recensé 395 enfants sans toit dans la métropole, soit trois fois plus que l’été précédent. Il y a des nourrissons, des familles avec des problèmes de santé assez graves, et aussi des femmes enceintes. »

Parcours du combattant

Une vingtaine de ménages ont commencé à la fin de juin l’occupation du gymnase Bellecombe, à Lyon, pensant être rapidement mises à l’abri. Presque toutes restent sans solution, à moins d’une semaine de la rentrée des classes. Des collectifs similaires à Jamais sans toit se sont constitués ou renforcés dans une quinzaine d’autres villes : Paris, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Nantes, Rennes, Grenoble, Saint-Etienne, mais aussi Le Havre, Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), Fougères (Ille-et-Vilaine), Tours, ou encore Argenteuil (Val-d’Oise), Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et Pantin (Seine-Saint-Denis). Certains ont hébergé les familles sans abri au sein d’écoles ou chez des particuliers, ou organisé des collectes pour financer des nuits d’hôtel.

« Laisser des enfants vivre à la rue constitue une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci demande à l’Etat d’aider les familles à bénéficier d’un logement et reconnaît le droit des enfants à la santé et à l’éducation », critique Adeline Hazan, de l’Unicef. L’organisme a publié avec le Samusocial de Paris, en octobre 2022, une étude montrant combien les enfants sans abri et en hébergement d’urgence voient leur santé mentale affectée.

Quant à leur scolarité, elle relève souvent du parcours du combattant. « Certaines familles sans logement fixe sont confrontées à des refus d’inscription, malgré la loi ; d’autres préfèrent attendre que leur situation se stabilise un peu avant de mettre les enfants à l’école », témoigne Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale du centre d’action sociale protestant de Paris. Une fois scolarisés, « ces élèves souffrent de leurs conditions de vie. Il leur arrive de s’endormir en classe, d’être absents s’ils ont dû passer la nuit loin », constate Raphaël Vulliez.

« Un échec des pouvoirs publics »

Comment expliquer une telle hausse du nombre d’enfants sans abri ? Pascal Brice y voit « un échec des pouvoirs publics en matière d’hébergement, de logement et d’immigration » : « Après avoir fait un gros effort pour mettre les personnes à l’abri cet hiver, ils ferment progressivement des places, renouant avec la politique du thermomètre, qu’ils avaient promis d’arrêter. Et ils bloquent des personnes en hébergement d’urgence et à la rue en ne créant pas suffisamment de logements sociaux et en accordant ou renouvelant de façon trop restrictive des titres de séjour pour ceux qui travaillent ou sont en mesure de le faire. Le tout alors que la précarité augmente avec l’inflation et la hausse des expulsions locatives. »

Les acteurs de terrain s’attendaient à ce que l’Etat continue de fermer des places d’hébergement, afin de tenir les budgets alloués (195 000 places pour l’année 2023, soit 10 000 de moins que celles qui ont finalement été ouvertes pour répondre à la demande). Ils ont été soulagés d’entendre le ministre délégué au logement, Patrice Vergriete, annoncer le 24 août sur France Inter qu’il souhaitait augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence.

« Nous attendons des actes à la hauteur des besoins, sans doute un peu au-delà des 205 000 places qui étaient disponibles cet hiver, et une programmation pluriannuelle », fait savoir Pascal Brice. Le Collectif des associations unies – dont font partie la FAS et la Fondation Abbé Pierre –, l’Unicef France, Jamais sans toit, la FCPE et Ecole pour tous devaient aussi demander, lors d’une conférence de presse conjointe, mercredi, un renforcement de la politique du Logement d’abord, afin de loger rapidement les familles sans domicile, ainsi que l’instauration d’une trêve scolaire, protégeant les familles des enfants scolarisés des expulsions des lieux de vie précaire. « Il faut aller vite, car en 2022 le nombre des enfants à la rue avait bondi entre fin août et fin septembre », exhorte Raphaël Vulliez.


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