dimanche 24 septembre 2023

Pourquoi ça marche Amélie Nothomb en grande «Psychopompe»

par Virginie Bloch-Lainé    publié le 22 septembre 2023

La romancière s’identifie depuis sa jeunesse aux créatures ailées et évoque les «mains de la mer» qui ont arraché la coquille de l’oisillon qu’elle était.
publié le 22 septembre 2023 à 13h45

C’est à vol d’oiseau que, dans ce livre autobiographique, Amélie Nothomb traverse son existence. Elle a déjà raconté son enfance passée dans différents pays, au Japon, en Chine, à New York, puis au Bangladesh où à 12 ans elle fut violée. L’écrivaine est douée voire surdouée, gracieuse et drôle, et son récit s’enrichit de livre en livre, comme son talent. Grave et légère, elle effectue des arrêts sur image qui durent une seconde. Elle dessine des parents ambivalents malgré eux, une grand-mère maternelle constante et consciente dans l’exercice de la méchanceté, des complexes que l’on qualifie d’enfantins alors qu’ils collent à la peau la vie entière.

Peut-on écrire sans métaphore ?

Parce qu’elle permet de faire un pas de côté vital face aux catastrophes, parce qu’elle est élégante, qu’elle accueille l’humour les bras ouverts, la métaphore est la figure de style qui enveloppe Psychopompe. Très jeune, Amélie Nothomb s’identifie à l’oiseau. Elle acquiert «la vision latérale» et voit «le monde sur les côtés», c’est-à-dire qu’elle voit le danger tandis que les autres roupillent et qu’une fois que le mal est arrivé, elle le voit tout en regardant ailleurs. Il n’y a pas que des choses tristes dans ce livre. Ainsi, lorsqu’elle préparait le petit-déjeuner de son père, elle était «la vestale du café». Nothomb décrit cette cérémonie du café qui lui valait la gratitude de son père : «Je reconnais ton café, il n’y a que toi pour en faire un aussi fort.» Le viol, Amélie Nothomb ne le raconte pas. Elle évoque «des mains de la mer» qui ont arraché la coquille de l’oisillon qu’elle était. Nothomb insiste sur le fait que parfois, il est bon de nommer clairement les choses. Le «pauvre petite» prononcé par sa mère après le drame fut un peu court.

Un amour sans rapport de force, est-ce possible ?

La qualité du lien entre un père et sa fille a beau être excellente, il y a toujours de la friture sur la ligne. Le décès du père change la donne. Psychopompe, l’écrivaine a eu un «échange de rêve» avec feu son père, le héros de Premier Sang (Albin Michel, prix Renaudot 2021) : «J’avais aimé mon père avec politesse, en lui mentant chaque fois qu’il fallait : souvent. Désormais, l’aimer avec politesse n’impliquait plus aucun mensonge, ce qui n’entraînait d’ailleurs de ma part aucune confession, tant je sentais ce père, autrefois distant, en proximité absolue.» Cependant Amélie Nothomb n’est pas béate devant les morts : «Si un mort détesté tente d’entrer en communication avec vous, raccrochez. On a le droit de refuser.»

Ecrire, qu’est-ce que c’est ?

«Quand Rilke dit que l’écriture doit être une question de vie ou de mort, je n’y vois aucune métaphore.» Psychopompe est un livre sur l’écriture, son importance, ses exigences. Ecrire c’est voler : «Je ne suggère pas que me lire soit un exercice d’altitude.» Ecrire permet de ne pas sombrer. Garder le rythme, ne pas emporter en vol «tout ce qui pèse»«s’embarrasser d’un minimum de matière», ce sont là quelques-uns des conseils de l’écrivaine, avec celui-ci : «Aucun oiseau ne se pose en victime.» Mieux vaut exprimer la joie.

Amélie Nothomb, Psychopompe, Albin Michel, 160 pp.


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