vendredi 8 septembre 2023

« Obliger un malade à vivre malgré son désir d’en finir, cela relève-t-il du soin ou d’une nouvelle forme d’acharnement médical ? »

Publié le 7 septembre 2023

TRIBUNE

Denis Labayle

Médecin

Le soin est souvent défini sans que l’on ait pris le temps de s’intéresser au point de vue du patient. C’est au malade de choisir si ces différentes conceptions doivent s’opposer ou devenir une offre complémentaire, estime le médecin Denis Labayle, dans une tribune au « Monde ».

Le débat sur l’aide active à mourir bute souvent sur la question : s’agit-il d’un soin ? Quand on relit les définitions de « soins » dans les différents dictionnaires (Larousse et Le Robert, pour ne citer qu’eux), on trouve une multitude de termes, qui vont d’« actions par lesquelles on conserve et on rétablit la santé » à « attention, prévenance, sollicitude », avec même, dans Le Robert, le mot « guérir » apparaissant dans la définition de « soigner ». Si l’on ne devait parler de soin qu’en cas de guérison, l’association des mots « soins » et « palliatifs » serait un oxymore. Or personne ne remet en cause la valeur des soins proposés par les médecins qui se sont spécialisés dans cette pratique médicale. Alors, qui définit ce qui est ou n’est pas un « soin » ? Le législateur ? La médecine ? Le malade ?

Le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour préciser ce qui n’est pas un soin. En 2005, avec la loi Leonetti, et en 2016, avec la loi Claeys-Leonetti, il a rappelé aux médecins qu’au-delà d’une certaine limite leurs actes médicaux, même réalisés avec les meilleures intentions du monde, ne relèvent plus du domaine du soin mais de l’« acharnement thérapeutique ». Le législateur est également intervenu en 2002, avec la loi Kouchner, pour affirmer que le malade a le droit, dans certaines circonstances, de refuser les « soins » que le médecin lui propose quand ceux-ci s’avèrent trop coûteux en souffrances. Avec le temps, ces prétendus « soins » sont devenus de « faux soins ».

Et l’interruption volontaire de grossesse, maintenant légalisée et médicalisée, est-elle un soin ? La réponse est évidente pour celles et ceux qui estiment que ce geste permet aux femmes d’éviter les conséquences d’une interruption clandestine capable de mettre en péril leur santé, et même leur vie. Mais d’autres maintiennent un avis contraire. Ainsi, pour le législateur, la notion de soin peut évoluer avec le temps : ce qu’il a criminalisé hier peut devenir un soin légal.

Une notion terriblement trouble

Alors est-ce au médecin de définir ce qu’est un soin ? Dans de nombreuses circonstances, en redonnant la santé à un malade atteint d’une affection curable, le médecin apporte ce qu’on pourrait appeler « l’idéal du soin ». Simultanément, il supprime les souffrances et allonge la durée de vie. Mais, même dans de telles circonstances, il peut se tromper. Après que le docteur Fernand Lamaze a introduit en France l’accouchement sans douleur, en 1951, il a été traduit à deux reprises devant le conseil de l’ordre des médecins pour cette méthode. Pourtant celle-ci a été reconnue comme un soin et remboursée par la Sécurité sociale cinq ans plus tard.

De même, le monde médical a été longtemps réticent à prescrire de la morphine pour soulager la douleur, même en cas de maladie grave. Il a fallu attendre la loi de 2001 pour que ce soin évident devienne légalement obligatoire. Récemment encore, la recherche médicale ne retenait que la durée de vie comme seul critère pour évaluer la qualité d’un soin thérapeutique, jusqu’au jour où fut introduite la notion de « qualité de vie » pour juger du progrès d’un traitement.

Alors, quand le médecin est confronté à la maladie incurable, la notion de soin devient terriblement trouble. Pour l’instant, la seule définition retenue officiellement en France est celle des soins palliatifs, y compris pour le traitement de l’agonie. Or peut-on véritablement considérer comme des « soins » certaines attitudes prônées par la loi actuelle ? Obliger un malade atteint d’un cancer évolué à vivre malgré son désir d’en finir, et attendre qu’il souffre de douleurs intraitables pour répondre à sa demande, cela relève-t-il du soin ou d’une nouvelle forme d’acharnement médical ?

Au malade de choisir

De même pour le traitement de l’agonie : les propositions faites par la Haute Autorité de santé, en application de la loi de 2016, répondent-elles véritablement à une notion de « soins » ? Imposer un traitement de l’agonie basé sur la déshydratation du corps et sur une sédation fluctuante prolongeant la vie d’un corps qui n’a plus de conscience, est-ce le meilleur des soins à proposer au mourant ? Pour nombre de médecins, prolonger une telle agonie inutile et douloureuse ne peut pas être considéré comme un soin.

Et si l’on demandait au malade sa définition du soin ? Car, après tout, il est le premier concerné. Sa réponse n’est pas univoque. Ce que certains considéreront comme un soin essentiel pour eux-mêmes ne sera pas partagé par d’autres. Ainsi, certains définiront comme « soin » tout ce qui les maintient en vie dans les meilleures conditions, suivant en cela leur conviction philosophique ou religieuse. D’autres, à l’inverse, attendent du soin qu’il mette définitivement fin à leurs souffrances et à une maladie devenue intraitable. Ces deux conceptions du soin doivent-elles s’opposer, ou devenir une offre complémentaire ? Au malade de choisir.

Et, si certains médecins, au nom de leurs convictions, ont une vision restrictive du soin pour la fin de vie de leurs malades, qu’ils laissent les autres libres d’accompagner leurs malades jusqu’à la mort, car beaucoup de médecins silencieux estiment que c’est de leur responsabilité d’aider leurs concitoyens à partir en douceur, comme ils le désirent, l’objectif étant de leur épargner d’inutiles souffrances. Pourquoi les uns seraient-ils plus « soignants » que les autres ? Dans de nombreux pays, la pratique des uns respecte la pratique des autres. Sans anathème. Parce que la notion de soin dépend du regard de la société sur elle-même, des influences philosophiques et religieuses du moment, du regard du médecin sur sa pratique et du pays où il exerce. Aussi, pour une fois, ne pourrait-on pas laisser au malade atteint d’une affection grave et incurable le soin de définir ce que signifie ce mot pour lui ?

Denis Labayle est médecin et ancien chef de service au centre hospitalier Sud-Francilien. Il est l’auteur, entre autres, de « Le Médecin, la liberté et la mort. Pour le droit de choisir sa fin de vie » (Plon, 2022). Il est le président d’honneur de l’association Le Choix. Citoyens pour une mort choisie.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire