mercredi 6 septembre 2023

Musée Art et déchirure, une exposition au cœur d’un asile psychiatrique

Par (Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), envoyé spécial)  Publié le 03 septembre 2023 

Installé dans un hôpital en Seine-Maritime, le lieu culturel présente, entre autres, les œuvres d’André Robillard, artiste interné durant une grande partie de sa vie.

Exposition consacrée à André Robillard, au centre hospitalier du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime).

L’art brut ou singulier, celui des autodidactes ou des aliénés, est depuis longtemps accueilli par les grands musées. Il est moins fréquent d’aller le voir dans une institution qui en est aussi un des lieux de production, l’asile psychiatrique. C’est ce que propose le Musée Art et déchirure à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), installé dans le pavillon La Roseraie, un bâtiment autrefois réservé aux femmes installé au milieu d’un parc, mis à la disposition du musée par le centre hospitalier du Rouvray.

Les Rouennais connaissent le festival, lui aussi nommé Art et déchirure : en 17 éditions biennales, de 1989 à 2009, le musée les a familiarisés avec cet art autre, cet art insolite. L’épidémie de Covid-19 a signé sa fin, mais les œuvres acquises durant ces années demeurent et forment le fonds du musée – trois cents ou quatre cents pièces à ce jour, l’inventaire est en cours –, complété par une exposition consacrée aux machines guerrières, principalement des fusils en bois, d’André Robillard. Un artiste historique, en quelque sorte. Né en 1931, il a passé presque toute sa vie en hôpital psychiatrique (il y vit toujours), mais fut repéré par le peintre Jean Dubuffet (1901-1985), en 1964, qui l’intégra à sa collection d’art brut, aujourd’hui regroupée à Lausanne (Suisse).

Le musée de Sotteville-lès-Rouen est géré par une association présidée par Joël Delaunay, carrure de rugbyman, autrefois chargé de l’animation au sein de l’hôpital, qui a eu l’idée de sortir des traditions asilaires : « A nos débuts, en 1989, nous avions décidé de montrer les œuvres de malades en les confrontant avec celles d’artistes contemporains qui ne l’étaient pas. Nous voulions ouvrir l’hôpital, ne plus être un ghetto. » En commençant par en sortir : le festival avait lieu, notamment sa programmation théâtrale, hors les murs, en ville. Les acteurs étaient le plus souvent des patients de l’hôpital. « Une charge émotionnelle incroyable », se souvient Joël Delaunay.

L’horreur du vide

Avec le soutien du directeur de l’hôpital, un financement participatif et beaucoup de bonne volonté, le musée s’est ainsi constitué dans un pavillon désaffecté du centre hospitalier. Un bâtiment du XIXe siècle que la modestie des moyens a conduit à laisser largement dans son jus, ce qui permet d’imaginer la vie quotidienne des aliénées qui l’occupèrent. Cela donne également une résonance singulière aux œuvres exposées, d’une nature bien différente de celle que l’on peut ressentir dans un musée classique. Ainsi les œuvres de Robillard, très bien représentées dans la collection de L’Aracine déposée au Lille Métropole Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq (Nord), partenaire de l’exposition, prennent une dimension bien plus familière.

« On peut tout se permettre, ici », dit Joël Delaunay. Exposer des œuvres de psychotiques, mais aussi de gens qui ne sont pas malades. « Sauf, précise-t-il, que lorsque je discute avec ceux-là, il y a toujours une faille quelque part. Cette dame qui travaille avec des poupées Barbie m’a confié avoir été victime d’inceste. Celui-là est toxico, celui-ci fait de temps à autre des bouffées délirantes absolument terribles… D’autres sont à peu près stabilisés et mènent une vie normale. Celui-ci, par exemple, a même été invité à enseigner aux étudiants des Beaux-Arts du Havre par son directeur, qui voulait leur montrer un autre regard sur l’art. Cet autre est alcoolique : avec des Cubitainer vides, il a fait un chemin de croix. Pourtant, il est communiste ! » A méditer dans le débat sur l’opportunité de séparer l’œuvre de son créateur…

Il y a toutefois des constantes dans cet art brut. L’une d’entre elles est l’horreur du vide. Dans un dessin, on remplit la feuille. « C’est la même chose que dans les lettres des schizophrènes », remarque Joël Delaunay. Dans une sculpture, on accumule. Certaines sont un fatras incroyable, d’autres sont au contraire classées, rangées avec une rigueur implacable. La même variété se retrouve dans l’accrochage du musée, tantôt minimal, tantôt d’une densité réjouissante. Avec parfois une salle entière réservée à un seul artiste. C’est le cas, par exemple, de Caroline Dahyot, qui a transposé dans une grande pièce un peu de l’esprit de la maison qu’elle habite à Ault (Somme), entièrement couverte de ses peintures.

Reste que, pour l’historien d’art, ces pratiques sont perturbantes. Les grilles d’évaluation classiques sont inopérantes. C’est ce que confirme Joël Delaunay : « Il faut se poser la question : est-ce que c’est beau ? La plupart du temps, non. Est-ce que c’est émouvant ? Oui, toujours. »

« André Robillard », Musée Art et déchirure, centre hospitalier du Rouvray, 4, rue Paul-Eluard, Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime). Du mercredi au dimanche, de 14 heures à 18 heures, jusqu’au 24 septembre.


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