vendredi 1 septembre 2023

Fermeture de places d’hébergement, associations au bord de la faillite… La Fondation des femmes lance une collecte d’urgence

par Marlène Thomas   publié le 1er septembre 2023

Au regard de l’augmentation des signalements des violences patriarcales, le budget dépensé par l’Etat pour chaque femme victime accompagnée par une structure a baissé de plus de 25 % depuis 2019. La Fondation des femmes espère récolter 1 million d’euros d’ici la fin de l’année.
publié aujourd'hui à 6h11

Il y a les chiffres et l’interprétation des chiffres. La petite musique résonne depuis quatre ans dans la cour de l’hôtel du Petit-Monaco, qui abrite le ministère dédié à l’Egalité femmes-hommes : son budget est en augmentation. La lutte contre les violences, en particulier, se renforce. Sur les 54 millions d’euros dévolus à l’égalité (à peine 0,2 % du budget total de l’Etat), 29,2 millions d’euros sont fléchés vers la lutte contre violences faites aux femmes, contre 13 millions en 2019. «Il y a des moyens supplémentaires, c’est une réalité. Mais ils sont dérisoires par rapport à l’augmentation du nombre de femmes qui se signalent»,alerte Anne-Cécile Mailfert, présidente et cofondatrice de la Fondation des femmes. Entre 2018 et 2022, les faits de violences conjugales dénoncés ont augmenté de 83 %, selon les données du ministère de l’Intérieur, un chiffre grimpant à 100 % pour les violences sexuelles ces dix dernières années. Résultat : les associations d’accompagnement des femmes victimes de violences sont «exsangues».

«On a incité les femmes à partir, à décohabiter, à porter plainte, à aller voir les associations. Et la bonne nouvelle, c’est que ça a marché. Elles demandent davantage d’aide, mais cela entraîne une augmentation des dépenses de ces associations», explique Anne-Cécile Mailfert. Mais depuis le Grenelle contre les violences conjugales lancé le 3 septembre 2019, «le budget dépensé par l’Etat pour chaque femme victime de violences accompagnée a baissé de plus de 25 %», selon la Fondation. L’alerte avait pourtant été donnée sur la nécessité de faire suivre ces promesses de moyens adaptés. Cette hausse du budget gouvernemental «compense à peine le manque de moyens qu’il y avait avant le Grenelle», insiste sa présidente.

Des sollicitations en augmentation constante

Face aux insuffisances de l’Etat et des collectivités territoriales, la Fondation des femmes se voit obligée de palier les urgences à court terme en lançant ce vendredi 1er septembre une collecte d’urgence. L’objectif ? Reverser 1 million d’euros d’ici à la fin de l’année aux associations les plus en difficulté. «L’association Du côté des femmes, la seule spécialisée du Val-d’Oise, est en redressement judiciaire. D’ici fin septembre, le tribunal pourrait annoncer sa liquidation, laissant 2 000 femmes accompagnées sur le carreau», s’inquiète la présidente de la Fondation des femmes en faisant remarquer que ce département est l’un des territoires d’expérimentation du «pack nouveau départ» du gouvernement.

Si une conjonction de plusieurs facteurs a mené à cette situation, l’ouverture d’un lieu d’accueil des victimes 24h /24 sans que les financeurs ou pouvoirs publics ne suivent aurait précipité ces difficultés. «La situation est assez ubuesque. On a demandé à ces associations de développer de nouveaux dispositifs, des lieux d’écoute, d’accueil, mais derrière on n’a pas mis les moyens. Ces associations, parmi les plus dynamiques, ont cru à ces promesses, ont cru à la grande cause du quinquennat», martèle Anne-Cécile Mailfert.

Spécialisée dans l’accompagnement et l’hébergement de femmes victimes de violences conjugales comme intrafamiliales, l’association Léa Solidarité Femmes de l’Essonne fait aussi partie de ces structures à bout de souffle. La forte médiatisation du Grenelle, mêlée six mois plus tard au confinement ayant favorisé la survenue de violences intrafamiliales, a fait augmenter de 61 % les sollicitations des victimes par rapport à l’année précédente. «L’augmentation est sur l’accueil, l’écoute, l’accompagnement, la mise en sécurité et l’hébergement ; ce dont les victimes ont besoin dans les premières heures», détaille Patricia Rouff la directrice de l’association. Cette hausse n’a jamais cessé. En 2023, l’association Léa enregistre encore 35 % de sollicitations supplémentaires par rapport à 2022, sans que les subventions ne suivent.

65 places d’hébergement fermées

La structure – fondée en 2009 et affiliée à la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) – tente depuis plusieurs mois d’assurer sa survie. Face à un nouveau refus de financement par l’Etat cet été, le conseil d’administration a dû prendre trois mesures correctives pour éviter le redressement. A commencer par le licenciement économique d’un tiers des effectifs, ne laissant plus que 12 salariées assurer l’accueil de plus de 2 500 victimes chaque année dans leurs différents services. «Même si nos professionnelles sont très engagées, elles sont épuisées. Ce qu’on leur demande est désormais de l’ordre de l’impossible», concède Patricia Rouff.

Sur les 141 places d’hébergement d’urgence proposées par l’association, 65 seront également fermées d’ici le 10 septembre. Seules les 76 financées par la préfecture, donc l’Etat, pourront continuer à remplir leurs rôles. Les autres, ouvertes en 2011 avec le concours des collectivités territoriales, étaient financées par des fonds privés. «Les collectivités territoriales mettaient à disposition les logements remis en état. Ils considèrent que c’est leur contribution, ce qui est déjà bien mais ça ne suffit pas. Derrière, il faut qu’on les meuble, assure la maintenance, les réparations, paie l’assurance, l’électricité. Il faut aussi financer l’accompagnement par des psychologues cliniciennes et travailleurs sociaux», précise Patricia Rouff. Face à une conjoncture économique compliquant l’attribution de fonds privés, ni l’Etat ni les collectivités n’ont apporté une aide supplémentaire. Si des solutions de relogement ont été proposées à l’ensemble des familles via le réseau de la FNSF, cela signifie que 65 places ne seront pas disponibles ailleurs dans un pays qui en manque déjà cruellement.

Le sas d’urgence de la première Maison Solidarité Femmes, ouvert le 1er octobre 2022, a lui aussi dû être suspendu début juillet. Six places d’hébergement adaptées, sécurisées pour les mises à l’abri immédiates étaient proposées. En cinq mois, 84 femmes et enfants y ont été orientées par les forces de l’ordre ou assistantes sociales. Le besoin est criant. Depuis sa suspension, les appels continuent d’affluer, laissant les gendarmes ou policiers parfois démunis. Pour les équipes de l’association, ce désengagement est incompréhensible : 250 000 euros de trésorerie leur seraient nécessaires pour l’exercice 2023 et 500 000 euros pour celui de 2023 afin de retrouver le plein fonctionnement de leurs services ainsi que leurs six salariés. Face à ces situations d’urgence, la Fondation des femmes appelle l’Etat et les collectivités territoriales à leurs responsabilités pour le projet de loi de finances 2024.


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