dimanche 17 septembre 2023

Discriminations Grande cause ? La Cour des comptes étrille la politique sur l’égalité femmes-hommes sous Emmanuel Macron

par Anne-Sophie Lechevallier et Marlène Thomas   publié le 14 septembre 2023

Réalisée après une demande citoyenne, la première enquête de l’institution, basée sur le quinquennat 2017-2022, pointe, implacable, une accumulation de plans sans continuité ni pilotage sur les violences, inégalités, discriminations…

Le moment était assez convenu, un 8 mars. L’annonce, elle, l’était moins. En 2017, en campagne pour devenir président de la République, Emmanuel Macron annonçait sur la scène du théâtre Antoine à Paris qu’il ferait de l’égalité entre les hommes et les femmes «la grande cause du quinquennat», parce que, dira-t-il dans un meeting le mois suivant à Châtellerault, «ce n’est pas un sujet accessoire, parce que c’est un sujet de vraies injustices, de vraies inégalités».

Un quinquennat et une réélection plus tard, la Cour des comptes évalue la «politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par l’Etat», restée d’ailleurs la grande cause du nouveau quinquennat. Le sous-titre du rapport publié ce jeudi donne le ton : «Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés» et ce, pointe la synthèse du rapport, en dépit d’une «forte demande sociale d’égalité entre les femmes et les hommes»«motivée par la persistance d’inégalités de fait malgré l’égalité en droit et concomitante de la montée en puissance du mouvement international #MeToo relayé par d’importantes mobilisations». Réalisé à la suite d’une demande citoyenne de contrôle sur la plateforme ouverte l’an dernier, ce travail constitue la première enquête sur ce sujet de l’institution.

«Dans de nombreux cas, les mesures visées n’ont été assorties ni de moyens, ni de calendrier de réalisation, ni d’indicateurs de résultats, ni de cibles, ce qui rend leur évaluation impossible.»

—  La Cour des Comptes, dans son rapport diffusé ce jeudi

Aux distorsions entre les discours et les actes, déjà déplorées par les associations, s’ajoute un manque de cohérence et de coordination dans la politique menée pendant le quinquennat rythmé, selon la Cour, par «une succession de temps forts et une superposition de plans stratégiques interministériels». Pour Pierre Moscovici, le premier président de l’institution : «La Cour a constaté que si la désignation comme grande cause nationale a donné de la visibilité à ce sujet, elle ne s’est pas traduite par une stratégie coordonnée.» Il y a eu, en effet, pléthore d’initiatives, à la manière d’un catalogue de mesures : 119 ont été annoncées entre 2017 et 2019, période pendant laquelle Marlène Schiappa était secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Parmi elles, 25 pour lutter contre les violences faites aux femmes annoncées par le chef de l’Etat en 2017, 40 sur l’égalité en 2018, 46 contre les violences conjugales et huit autres pour l’égalité en 2019. Mais relève la Cour des comptes, «ces initiatives n’ont pas été consolidées en une feuille de route unique qui aurait été suivie régulièrement à un niveau interministériel».D’ailleurs, le comité interministériel qui devait se réunir deux fois par an pour assurer le suivi de cette politique ne s’est jamais tenu !

«Bon vouloir de chaque ministère»

Résultat, c’est du «bon vouloir de chaque ministère» que dépend la mise en œuvre des mesures. «L’organisation des services de l’Etat dans ce domaine n’est pas de nature à pallier les conséquences d’une impulsion aussi inégale», note encore la Cour. Et quand bien même il y a une volonté d’agir, la manière même dont ont été conçues ces mesures hypothèque leur efficacité. L’inverse de ce que la Cour des comptes développe à longueur de recommandations à propos des politiques publiques. «Dans de nombreux cas, les mesures visées n’ont été assorties ni de moyens, ni de calendrier de réalisation, ni d’indicateurs de résultats, ni de cibles, ce qui rend leur évaluation impossible», tance-t-elle encore.

Si la lutte contre les violences conjugales fait l’objet d’un «suivi plus rigoureux» que le reste, reconnaît la Cour des comptes, l’analyse des différents plans depuis 2018 met à mal l’auto-satisfecit du gouvernement ayant cours depuis le Grenelle. En septembre 2022, quelques jours après l’annonce d’une hausse de 20 % du nombre de féminicides l’année précédente, l’Etat s’enorgueillissait de la «réalisation de 46 mesures [du Grenelle] sur 54, soit un taux de 85 %». Ce rapport vient confirmer les retours de terrain, constatant que des mesures «sont parfois abusivement considérées par l’Etat comme étant réalisées». S’appuyant sur un système de feux tricolores du gouvernement ne permettant aucune nuance, cette nouvelle analyse confirme qu’en grattant le vernis, le bilan de ce volet majeur de la «grande cause» est bien plus mince.

Ainsi, la généralisation d’intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, annoncée en 2017, est affichée à tort comme acquise. En octobre 2022, l’Aveyron et la Lozère n’en avaient aucun. Même topo pour la prise de plainte pour les victimes de violences conjugales dans les hôpitaux, l’une des mesures du Grenelle. Sur les plus de 1 350 hôpitaux publics, «en novembre 2022, 269 conventions ont été signées et 54 sont en cours de signature, ce qui représente une minorité de structures hospitalières», pointe le rapport. Quant à l’audit dévoilé par Marlène Schiappa en mars 2021 à Libé assurant que 90 % des femmes victimes de violences conjugales seraient satisfaites de l’accueil des forces de l’ordre, les biais méthodologiques sont flagrants : l’Inspection générale de la police nationale n’a, par exemple, interrogé dans son audit que des femmes ayant déposé une plainte ou main courante pour violences conjugales et aucune de celles qui ont renoncé à toute action après s’être présentées au commissariat.

Des efforts inégaux

En dehors des violences conjugales et de l’égalité professionnelle «ayant concentré les efforts», les avancées sont «inégales» voire faibles, en particulier sur des «domaines impliquant un investissement de plus long terme» comme l’éducation. Issue du Grenelle, l’instauration d’un module de formation initiale obligatoire de dix-huit heures portant sur l’égalité filles-garçons est bien effective mais n’a concerné depuis la rentrée 2021 que 21 000 aspirants enseignants, très loin du dessein initial de toucher l’ensemble des personnels. Pas plus de réussite pour l’objectif datant de 2018 d’atteindre 40 % de filles dans les filières scientifiques du supérieur d’ici 2020.

Quant à l’égalité professionnelle, si l’arsenal législatif a été renforcé depuis quarante ans avec des efforts récents, notamment sur les écarts de rémunération dans le secteur public, le manque de contrôle, la complexité des dispositifs rend son application lente et peu efficace. Preuve en est, les interventions bien que croissantes de l’Inspection du travail, chargée de faire respecter les obligations en matière d’égalité professionnelle, n’ont mené depuis 2019 qu’à 712 mises en demeure et 42 pénalités. Une goutte d’eau qui conduit la Cour des comptes à s’interroger sur son caractère«insuffisamment dissuasif». Quant aux écarts de rémunérations, ils se réduisent, mais ils subsistent. Les revenus individuels annuels des femmes sont en moyenne 25 % inférieurs à ceux des hommes, selon l’Insee. En 2021, les salariées ont gagné en moyenne, 14,8 % de moins en équivalent temps plein, notamment à cause de leur«sous-représentation dans le haut de la distribution des salaires».

Un budget en trompe-l’œil

Le budget dédié à l’égalité est tout aussi «peu lisible» que le mille-feuille de plans qu’il est censé financer. Si les crédits alloués au programme Egalité entre les femmes et les hommes, principalement pour les associations, sont en hausse depuis 2017 avec 53,2 millions d’euros en 2022 et 65,3 millions prévus en 2023, cette évolution ne suit pas l’explosion des demandes d’accompagnement, laissant les associations d’aide aux victimes de violences exsangues. Une fois mis bout à bout tous les crédits de l’Etat censés concourir à cette politique d’égalité, le montant s’élève à 1,3 milliard en 2022 et 2,4 milliards d’euros en 2023. La Cour des comptes soupçonne des tours de passe-passe entre les différentes lignes budgétaires et souligne l’absence de clarté sur les crédits affichés. «On ne saurait considérer que la quote-part des financements de droit commun qui bénéficie à des femmes correspond à la mise en œuvre d’une politique d’égalité», tique-t-elle. Pour faire gonfler les montants, le coût des intervenants sociaux et psychologues en commissariat et gendarmerie y est par exemple ajouté «alors que leur mission à vocation d’assistance, d’aide et de soutien général dépasse le seul sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes». Une forme de trompe-l’œil alors que les associations réclament depuis des années un à deux milliards d’euros pour la seule lutte contre les violences. «On a pu féminiser des crédits budgétaires comme parfois on verdit des crédits budgétaires alors qu’ils sont affectés parfois à des politiques plus générales», explique Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes.

Ces «avancées limitées» du premier quinquennat Macron ne sont pas «seulement une fatalité liée au rythme propre à l’évolution des mentalités, mais aussi la conséquence d’erreurs de méthode». Le plan Egalité, présenté par la Première ministre, Elisabeth Borne, en mars pour la période 2023-27, listant une centaine de mesures, reproduit nombre d’erreurs déjà constatées. «L’Etat ne semble pas avoir tiré toutes les conséquences de ces insuffisances», alerte à ce sujet Pierre Moscovici. Dans ses recommandations, la Cour des comptes invite le gouvernement à réagir en le déclinant cette fois en une feuille de route avec objectifs chiffrés et à se projeter sur des enjeux de long terme. Pour servir cette ambition d’égalité, il convient également selon elle de bâtir un programme interministériel d’évaluation des actions menées par l’Etat et par les organismes qu’il finance ; renforcer la collecte des données pour mieux évaluer les besoins et résultats des mesures mises en œuvre ou encore veiller à la nomination de référents égalité au sein de chaque service déconcentré de l’Etat pour améliorer ce pilotage inefficient. Les parcours d’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales doivent également être étudiés avant la fin du premier semestre 2024 afin d’améliorer leur prise en charge. De quoi enfin dépasser le simple affichage.

Mise à jour : à 11h17 avec des éléments issus de la conférence de presse


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