vendredi 22 septembre 2023

CheckNews Mort de Sefa et de Socayna : l’agence de biomédecine dénonce le traitement médiatique autour de la «mort cérébrale»

par Vincent Coquaz   publié le 16 septembre 2023

L’agence chargée de superviser et promouvoir le don d’organes s’alarme de la confusion possible entre la «mort cérébrale» (totalement irréversible) et le coma, à la suite de deux affaires récentes.

Son rôle est «d’encadrer, accompagner, évaluer et informer», notamment dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes et de tissus. Et c’est à ce titre que l’Agence de la biomédecine a contacté CheckNews : «Nous sommes très gênés par les contre-vérités présentes encore aujourd’hui dans le traitement médiatique de deux faits divers», indique l’agence publique, en référence à la mort de Sefa à Elancourt, à la suite d’une collision avec un véhicule de police, et celle de Socayna, tuée par une «balle perdue» à Marseille. «La mort cérébrale y est plusieurs fois décrite comme un coma plutôt que le décès.»

Si cette confusion entre mort cérébrale et coma inquiète l’agence, c’est parce que l’activité du don d’organes repose justement en grande partie sur les personnes décédées en état de mort cérébrale : «Les équipes médicales approchent tous les jours des familles pour leur expliquer que leur proche est décédé en état de mort encéphalique et que cela donne la possibilité d’un don d’organes. Ces mêmes équipes nous ont d’ailleurs contactés pour nous dire l’embarras et même l’entrave à leur travail qu’elles percevaient à travers ce traitement médiatique.»

Contactée par CheckNews, l’agence précise par exemple que des formules comme «la jeune femme de 24 ans qui était en état de mort cérébrale est finalement décédée», reprise dans de nombreux articles, entretient cette confusion. Idem, concernant Sefa, pour la formule qui consistait à dire que «le jeune en état de mort cérébrale […] a été transféré en Turquie pour y être soigné»comme l’AFP (repris sur le site de Libération) a pu l’écrire«Il s’agit d’un défunt. La manière dont on décrivait [ces] événements laissait penser qu’il était vivant. Ses organes étaient maintenus artificiellement en activité, mais son cerveau avait été irrémédiablement atteint, ce qui constitue son décès, estime l’agence.

Il convient aussi de mentionner… un article de CheckNews, à propos de Sefa. Titré «Collision à Elancourt : Sefa est mort lundi en Turquie, annonce son père», l’article spécifiait que le jeune homme se trouvait jusqu’alors en «état de mort cérébral». Ce qui pouvait laissait à penser que cet état n’est pas un décès. Et ce même si nous précisions que l’état de mort cérébrale signifie que «le cerveau a arrêté de fonctionner de manière définitive, mais que le cœur bat et que des organes peuvent être encore transférés».

«Soit le cœur s’arrête, soit le cerveau s’arrête»

Pour bien comprendre ce qu’est la mort cérébrale, il faut avoir en tête qu’on distingue, depuis la fin des années 50, «deux façons de mourir» «Soit le cœur s’arrête de battre, soit le cerveau s’arrête de fonctionner, détaille le docteur Benoît Averland, anesthésiste réanimateur et directeur adjoint prélèvement et greffe de l’agence de biomédecine. Si le cerveau s’arrête de fonctionner, il n’y a plus de respiration et le cœur s’arrête ensuite en quelques minutes. Mais si on met en place une assistance ventilatoire et qu’on administre des médicaments à ce moment-là, le cœur va continuer de battre. Ça ne change rien au fait qu’on est déjà mort. C’est ça qu’on appelle la mort encéphalique ou mort cérébrale.»

La différence avec un coma, même «grave», c’est donc «qu’avec la mort cérébrale, il n’y a aucune réversibilité, par définition» «On ne prononce la mort cérébrale que quand on a vérifié que le cerveau était définitivement détruit.» Concrètement, en France, on vérifie la mort cérébrale de deux manières. D’abord avec un examen clinique, qui consiste à constater l’absence totale de conscience et de respiration spontanée par exemple. Ensuite «on confirme en faisant un électroencéphalogramme (pour vérifier qu’il n’y a plus d’activité électrique dans le cerveau) ou en injectant un produit de contraste pour vérifier qu’il n’y a plus de vascularisation cérébrale», détaille le réanimateur.

«C’est une mort qui est difficile à comprendre, poursuit Benoît Averland. On pense tous à la mort en l’associant à un corps froid, immobile. Dans le cas de la mort cérébrale, on a un corps qui est chaud, qui bouge. C’est ça qui est difficile à appréhender, notamment pour les familles : on peut continuer à faire battre le cœur d’un mort, grâce au respirateur artificiel.»

D’autant que la mort encéphalique est assez rare : «Environ 1 % des décès, soit 5 000 cas.» Mais cette poignée de décès représente jusqu’à 80 % des prélèvements d’organes. Le maintien artificiel de l’activité cardiaque permet en effet d’irriguer les organes et les maintenir en état en vue de la greffe. «Et sur les 5 000 cas, on ne peut pas prélever sur les personnes atteintes d’un cancer ou les personnes qui sont mortes chez elles par exemple.» Si l’on ajoute les refus, notamment du fait de l’incompréhension de ce qu’est la mort cérébrale, on imagine donc la difficulté qu’il existe à prélever des organes en quantité suffisante pour répondre aux besoins. Et l’enjeu est de taille : «Pour une personne qui décède en mort cérébrale et pour qui on prélève en vue de greffe, ce sont sept vies sauvées. Donc pour les équipes médicales sur le terrain, chaque donneur potentiel compte, chaque entretien avec les familles à expliquer la mort cérébrale est une mission complexe», ajoute l’Agence de biomédecine.

Sur les réseaux sociaux, et sans doute en lien avec l’actualité récente, la Société française d’anesthésie et de réanimation a également tenu, ce jeudi 14 septembre, à rappeler que «le diagnostic de mort encéphalique conduit à la rédaction d’un certificat de décès… car lorsque le cerveau est mort, on est mort».

Certificat de décès

Les erreurs ou imprécisions autour de la notion de mort cérébrale ne sont pas propres à ces deux affaires. En témoignent des articles de presse plus anciens, sur d’autres affaires, qui évoquent une «mort cérébrale» dans des situations qui n’en relèvent pas. Ainsi de cette patiente américaine qui se serait «réveillée» alors qu’elle était en «état de mort cérébrale» (ce qui est impossible) selon le titre de l’article. Il suffit de lire le reste du papier pour comprendre que cette Américaine était en fait «dans le coma» depuis plusieurs mois, ce qui n’a rien à voir. Lors de l’agression mortelle d’un septuagénaire en juillet, Libération écrivait : «Ce déferlement de violence plonge le septuagénaire dans le coma, son pronostic vital est engagé. Hospitalisé depuis, Philippe M. était en état de mort cérébrale depuis samedi. Il est décédé ce mardi.»

Mais dans les affaires d’Elancourt et Marseille, la grande confusion n’est pas que médiatique, elle se retrouve aussi dans la communication des parquets. Concernant la mort de Socayna, la procureure de la République de Marseille avait ainsi indiqué qu’elle était «décédée ce mardi» alors qu’elle se trouvait jusque-là «en état de mort cérébrale». Contacté, le parquet de Marseille n’a pas encore donné suite.

Dans l’affaire d’Elancourt, le parquet de Versailles avait dans un premier temps confirmé la mort de Sefa dès le soir du mercredi 6 septembre. L’avocat de sa famille, Yassine Bouzrou, avait ensuite contredit cette version, le lendemain, selon l’AFP. Et la vice-procureure avait ensuite changé sa communication en affirmant cette fois que l’adolescent se trouvait en «état de mort cérébrale». L’information ouverte alors par le parquet était pour «blessures involontaires» et non homicidece qui laissait entendre que le jeune homme n’était pas encore décédé.

«Mercredi [6 septembre, jour de la collision], les enquêteurs nous ont indiqué que la personne était décédée, indique à CheckNews la vice-procureure Christelle Pouey-Santalou pour expliquer l’évolution de sa communication sur le sujet. Mais nous n’avons ensuite pas reçu de certificat de décès et il est ressorti de nos échanges avec l’hôpital qu’il était en état de mort cérébrale. Nous avons donc communiqué sur cet élément.»

«Pour nous ce qui acte légalement le décès, c’est le certificat», précise le parquet.

A en croire la communication de l’agence de biomédecine, le certificat aurait dû être communiqué, puisque «le diagnostic de mort encéphalique conduit à la rédaction d’un certificat de décès». Pourquoi, si un certificat de décès a bien été établi pour constater la mort cérébrale de Sefa à l’hopital Beaujon, n’a-t-il pas été transmis au parquet ? «Dans les cas de mort cérébrale, on ne reçoit jamais les certificats de décès, assure le parquet de Versailles. Ce qu’indique l’agence de biomédecine semble contradictoire avec notre pratique. On tombe un peu des nues.»

Contactés par CheckNews sur ces points, l’AP-HP indique ne pas pouvoir communiquer «de détails sur les dossiers médicaux de nos patients» en raison du secret médical, et n’a pas souhaité donner de détail sur les procédures en vigueur.

Un éventuel «problème de procédure» et des discussions

Pour le directeur adjoint de l’agence de biomédecine, il existe donc peut-être un «problème de procédure» concernant les morts cérébrales et il conviendra le cas échéant d’y remédier avec «des recommandations au niveau de la chancellerie».

Suite à la sollicitation de CheckNews, le parquet de Versailles a en tout cas pris contact avec l’Agence de biomédecine : «L’idée n’est absolument pas de polémiquer, mais de discuter avec cette Agence, parce que leur position nous intéresse beaucoup», a indiqué la vice-procureure. «Nous nous réjouissons de la perspective d’un échange, cela permettra sans doute à l’avenir des annonces plus claires à ce sujet. Votre article va faire évoluer les choses en pratique», se félicite de son côté l’agence.


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