samedi 23 septembre 2023

Affaire Romain Dupuy : la justice ordonne le transfert du double meurtrier vers un service général de psychiatrie

par Chloé Pilorget-Rezzouk   publié le 18 septembre 2023

Après une longue bataille juridique, la cour d’appel de Bordeaux a ordonné vendredi 15 septembre la mainlevée du placement du tueur de Pau, déclaré irresponsable pénalement en raison de sa schizophrénie, en unité pour malades difficiles, comme le préconisait le corps médical depuis cinq ans.

C’est la promesse d’un nouvel horizon après un âpre combat procédural. Dans une décision du vendredi 15 septembre, que Libération a pu consulter, la cour d’appel de Bordeaux «ordonne la mainlevée de la mesure de placement en unité pour malades difficiles (UMD) de monsieur Romain Dupuy». Autrement dit, ce patient schizophrène tristement célèbre pour avoir décapité une infirmière et une aide-soignante à l’hôpital de Pau dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, devrait prochainement quitter l’unité hautement sécurisée de Cadillac (Gironde), où il est hospitalisé sans son consentement depuis plus de dix-huit ans, pour rejoindre un service général de psychiatrie où il restera soigné sous le régime de l’hospitalisation complète qui est actuellement le sien. Contactée par Libération, l’avocate de Romain Dupuy, Me Hélène Lecat, déclare qu’elle «ne souhaite pas communiquer en l’état sur cette décision, afin de permettre que la solution soit mise en œuvre sereinement et sans pression».

Depuis plus de cinq ans, Romain Dupuy, 39 ans, interné et déclaré irresponsable pénalement, demandait son transfert vers une unité de psychiatrie classique. Un changement auquel se sont montrées favorables toutes les commissions médicales de suivi depuis janvier 2018, mais face auquel l’ordre judiciaire et l’ordre administratif n’ont cessé de se renvoyer la balle. Dans son ordonnance, la cour – qui relève plusieurs éléments médicaux – note que les médecins le considèrent, «compte tenu de l’amélioration de sa situation sur le plan médical, en capacité de poursuivre le traitement hors UMD». La dernière de ces commissions, composée de trois soignants dont deux psychiatres, remonte au mardi 12 septembre, trois jours seulement avant l’audience devant la cour d’appel de Bordeaux.

Imbroglio judiciaire

L’ordonnance rappelle aussi les conclusions de l’expert psychiatre Roland Coutanceau, qui a examiné l’intéressé en mai 2022, selon lesquelles «il pourrait justifier désormais d’une possibilité d’hospitalisation dans un cadre psychiatrique plus général que celui de l’UMD». «On peut dire sur le plan clinique que Romain Dupuy est stabilisé et qu’il ne sera, a priori, jamais mieux stabilisé qu’aujourd’hui», écrivait l’expert dans ce rapport consulté à l’époque par Libération. Pour étayer sa décision, la cour cite aussi le psychiatre «qui a longtemps suivi Romain Dupuy depuis son arrivée» à Cadillac, lequel a noté «une progressive adaptation de l’intéressé aux soins et, depuis l’année 2013, une nette régression symptomatique». Enfin, elle retient que «l’amélioration de l’état de santé» du patient «s’est également traduite par une récente mainlevée de la mesure de curatelle dont il faisait l’objet».

Cette décision vient mettre un terme à cinq années d’imbroglio judiciaire. En juillet, le tribunal des conflits – saisi par Me Lecat –, chargé de trancher les litiges de compétences, avait enfin désigné le juge judiciaire (contre le juge administratif) et renvoyé le dossier devant la cour d’appel de Bordeaux. En effet, en juin 2022, cette dernière avait rejeté la décision du juge des libertés et de la détention de Bordeaux favorable au transfert du malade schizophrène, considérant que seul le juge administratif pouvait trancher. Ces «différentes vicissitudes procédurales ont alimenté chez le patient le sentiment que l’on s’acharnait sur sa personne, celui-ci déplorant le fonctionnement «du système»», est-il encore observé dans l’ordonnance, qui vient donc cette fois confirmer le jugement de première instance.

«Perspective humaine»

«Le droit est passé, l’injustice est terminée», se réjouit la mère de l’intéressé, Marie-Claire Dupuy, auprès de Libération. Inquiète «du retentissement social» autour de cette nouvelle, cette sexagénaire reste néanmoins prudente et se veut rassurante : «Le sujet reste épineux, nous avons vécu cinq ans et demi de blocage… Romain ne sera pas dehors, en liberté, mais pris en charge dans un lieu et par une équipe médicale correspondant à son état clinique. Je ne demande qu’une chose, c’est qu’on oublie le nom de mon fils.» Concrètement, ce dernier sera toujours sous un régime contraint d’hospitalisation, ses sorties thérapeutiques seront toujours encadrées, il dormira toujours à l’hôpital, mais il bénéficiera d’un peu plus de liberté, loin de l’univers carcéral des UMD. «C’est une bonne chose parce qu’on sort d’un vide juridique délétère pour le patient, qui conduisait à une perte d’espoir. Il est important pour un patient, aussi grave soit son passage à l’acte, d’avoir une perspective humaine pour la suite de sa vie. C’est cela que vient réparer cette décision», salue le psychiatre Mathieu Bellahsen, auteur du livre Abolir la contention (éd. Libertalia).

Dans les jours, voire les semaines qui suivent, Romain Dupuy devra être accueilli dans un nouvel établissement de soins adapté qu’il «n’appartient pas au juge judiciaire d’imposer aux autorités médicales, ni bien entendu à l’autorité préfectorale», précise l’ordonnance. Toujours est-il qu’il «apparaît nécessaire de mettre en place une équipe médicale psychiatrique suffisamment solide pour assurer une prise en charge en milieu hospitalier». Ce pourrait être une affaire délicate, plusieurs hôpitaux et personnels soignants ayant déjà manifesté des inquiétudes, compte tenu de la nature du crime et de son retentissement. «Quoi qu’on ait fait, il faut miser sur les soins et notre action de soignants qui est transformative pour les patients, veut rassurer Mathieu Bellahsen. Romain Dupuy est soigné depuis bientôt vingt ans, ces soins constituent aujourd’hui une base pour lui. Il a des acquis et des gens sur lesquels s’appuyer.» La préfecture de Gironde et le ministère public disposent de deux mois pour se pourvoir en cassation.


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