mercredi 30 août 2023

Vrais docteurs et fausses infos au temps de la Covid-19

Publié le 30/08/2023

A la date du 11 Mai 2023, on estimait à 1 128 000 le nombre de morts imputables au Covid-19 aux Etats-Unis. En décembre 2022, le taux de décès chez les non vaccinés s’établissait à 271 pour 100 000, contre 82 pour 100 000 pour les individus avec couverture vaccinale complète. Le taux de vaccination a, dans le même temps, considérablement varié selon les régions.  Malgré une large diffusion des vaccins, les taux les plus bas, de l’ordre de 52 % ont été observés dans les états du Sud-Est, alors qu’ils étaient de 80 % dans ceux du Nord-Est.

De fait, les comportements sanitaires face au Covid relèvent d’un phénomène social complexe dans lequel interviennent les recommandations en matière de santé des instances gouvernementales, les prises de parole de la communauté scientifique, l’orientation politique et de nombreux autres facteurs. La mésinformation qualifiant une information fausse et/ou inadaptée diffère de la désinformation qui témoigne de la délivrance volontaire de propos tronqués.

Ces 2 modes de communication ont été très répandus durant l’épidémie de Covid-19. La mésinformation, en particulier, a prévalu dans les médias sociaux, y compris de la part de médecins qui sont, en règle générale, considérés comme une source fiable en matière de santé. Les conséquences en ont été, à ce jour, peu étudiées.

Un travail a été mené, à l’aide de méthodes diverses, visant à préciser cette « mésinformation » médicale. Il a examiné, entre le 1er janvier 2021 et le 1er Mai 2022, ses différentes formes, dans les médias sociaux et sur les plateformes internet ainsi que les caractéristiques propres des praticiens en cause. Par définition, les informations erronées transmises allaient contre les recommandations officielles des Centers for Disease Control and Prevention américains, ou, en leur absence, divergeaient grandement des connaissances scientifiques dans la période étudiée.

Les praticiens ciblés étaient tous docteurs en médecine ou en ostéopathie et avaient été autorisés à exercer aux USA. Les réseaux sociaux étaient retenus en fonction du volume d’articles parus, de leur popularité et de la possibilité de recherche, tels Instagram, Twitter, You Tube, Face Book, Tik Tok, le New York Times et les radios publiques nationales. Outre le nom et la spécialité médicale du praticien étaient notifiés l’Etat dans lequel il exerçait et, dans la mesure du possible, son nombre de followers. Les principaux thèmes traités ont concerné les traitements, les vaccins anti-Covid et le port du masque.

Des médecins de toutes spécialités

Au total, 52 praticiens ayant fourni des informations fausses ou erronées ont été identifiés ; 50 d’entre eux étaient en activité, exerçant dans 28 spécialités médicales distinctes, dont 18 (36 %) en médecine générale. L’immense majorité (88 %) possédaient une licence de travail dans un Etat ou plus des US. Seize faisaient partie de groupes connus pour propager des informations médicales trompeuses, dontl’America’s Front line Doctor. Etaient ciblés les vaccins, décrits comme inefficaces et dangereux, les masques et le respect de la distanciation jugés inutiles, certains médicaments 

La mésinformation à propos des vaccins était la plus fréquente, concernant 80,8 % du total des messages. Elle était suivie par l’allégation que le gouvernement et les organismes d’état délivraient volontairement de fausses statistiques (dans 53,8 % des cas) et par celles concernant la thérapeutique (51,9 %). Sur les 52 praticiens en cause, 20 ont utilisé 5 plateformes d’échange, voire plus. Twitter a été le média le plus utilisé par 37 sur 52 praticiens, avec une médiane de 67 400 suiveurs (EIQ : 12 900- 204 000).

Inefficacité des vaccins, un thème privilégié

En analyse qualitative, le thème le plus souvent abordé a été l’inefficacité des vaccins et/ ou leur dangerosité avec allégation du risque d’infertilité, de dommage irréparable du système immunitaire, de maladie chronique, de cancer et de décès… La possibilité de survenue de myocardites post vaccinales chez les enfants a été, également, souvent évoquée. Plusieurs des médecins cités ont aussi promu le recours à des médicaments non approuvés par la FDA, comme l’ivermectine ou l’hydroxychloroquine, y compris dans des revues médicales avec comité de lecture, avec, pour l’une d’entre elles, rétractation secondaire.

Beaucoup de désinformations ont concerné le masque qualifié d’inefficace pour la propagation du virus, voire même de dangereux en limitant l’apport en oxygène ou l’élimination du gaz carbonique, voire porteur de bactéries pathogènes. Les instances gouvernementales n’ont pas été épargnées, accusées de rétention ou de diffusion à la population d’informations.

L’origine du virus a fait l’objet de nombreuses publications, le plus souvent était cité un laboratoire de recherche chinois mais aussi les travaux du National Institute of Health. Enfin, les laboratoires pharmaceutiques ont été fréquemment accusés de promouvoir des médicaments nouveaux et onéreux, alors que l’ivermectine et l’hydroxychloroquine étaient peu coûteux.

Ce travail a donc permis de décrire les principales catégories de mésinformation délivrée par des praticiens US dans les réseaux sociaux au cours de l’épidémie de Covid-19 et de mieux cerner le profil de ces médecins, quant à leur spécialité, leur origine géographique et leur nombre approximatif de followers. Certains étaient déjà connus pour appartenir, depuis longtemps, à des organisations responsables de désinformation dans le domaine de la santé.

Quelques limites à cette étude doivent, toutefois, être notées. Elle a été menée durant le printemps 2022, avant la mise en place de média susceptibles de s’opposer plus efficacement à la diffusion de nouvelles médicales erronées. Elle n’a concerné que des plateformes accessibles au grand public. Les autres moyens de désinformation n’ont pas été abordés. Enfin, on doit se rappeler que l’état des connaissances scientifiques à propos du Covid ont évolué très rapidement durant cette période.

En conclusion, cette étude démontre que la diffusion par des médecins de fausses informations durant la pandémie de Covid a concerné un large public et que les praticiens en cause exerçaient dans des spécialités diverses et dans des zones géographiques distinctes. Des travaux ultérieurs devront tenter de quantifier les dangers potentiels d’une telle attitude, les motivations précises des praticiens et les recours possibles à la diffusion de données médicales fallacieuses.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE
Sule S et coll. : Communication of Covid-19 Misinformation on Social Media by Physicians in the US. JAMA Netw Open, 2023 ; 6 (8) ; e : 232 98 28. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2023.28928.

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