samedi 26 août 2023

Eglantine Eméyé, avec l’absent

par Virginie Ballet   publié le 21 août 2023

L’animatrice de télévision, qui tente de surmonter la disparition de son fils âgé de 17 ans, continue à se battre pour une meilleure prise en charge de l’autisme dont il souffrait.

A l’occasion des 50 ans de Libération, rencontre avec des contemporaines nées, elles aussi, en 1973.

Elle en parle comme d’une «absence». Un «grand vide» en elleQui sans doute parfois dévore, hante, entrave. Mais dans cette ruelle sans âme du XVIe arrondissement de Paris, où elle esquisse avec une grâce solaire quelques pas pour la séance photo, port altier et allure décidée, c’est autre chose qui saisit. Le souffle de vie, puissant, qui semble l’animer, chassant comme il le peut la douleur, les fantômes, la tentation de sombrer. Coûte que coûte, avancer. «Globalement, je vais bien, même si ça dépend des moments. Ça m’est peu arrivé, mais là je me fais aider», expose Eglantine Eméyé. En février, Samy, son fils cadet, autiste, polyhandicapé et atteint d’épilepsie, est mort, à seulement 17 ans, à la suite d’un accident vasculaire. Des troubles de son «drôle de petit bonhomme un peu flagada» et de leurs difficultés, communs à tant de familles, l’animatrice télé et comédienne avait fait sa bataille, à travers l’association «Un pas vers la vie» qu’elle a fondée en 2008.

En 2014, elle a choisi d’exposer sans fard dans un documentaire le quotidien «énergivore» de sa famille monoparentale, composée de Samy et de son frère aîné, Marco. Les cris, les crises. Les coups que se donnait le cadet dans sa chambre capitonnée. Son impossibilité à marcher, parler, être propre. L’incompréhension de certains médecins, l’absurdité administrative. C’est après l’un de ces moments lunaires, au cours d’un rendez-vous avec la maison départementale des personnes handicapées, qu’est né ce documentaire. «J’ai pensé : qu’est-ce qu’ils y connaissent ? Merde, je vais leur montrer ce qu’on vit !» Ce que traverse la centaine de familles qu’épaule son association ? Demandes ubuesques (comme prouver chaque année que l’enfant est toujours autiste), manque de places en structures spécialisées, normes absconses, impossibilité de trouver des relais… Elle pose : «Continuer le combat s’est imposé comme une évidence quand j’ai compris que Samy n’allait plus vivre. J’ai pensé : “Je lui dois bien ça.”»

Alors Eglantine Eméyé met à profit sa notoriété pour lever des fonds privés. Dans les espaces pédagogiques qu’elle a conçus, baptisés Epanoui, on compte un éducateur par enfant, et la prise en charge est personnalisée. L’association a aussi créé une «maison de répit», dans le Var, dont la description fait apparaître un sourire sur son visage. Un grand salon, des murs très colorés, mais avec peu de motifs pour éviter de surstimuler les jeunes autistes. Là, ils peuvent dormir dans des tentes si ça leur sied, se reposer dans une pièce ronde molletonnée, faire du cheval, du trampoline. Et pendant ce temps, leurs parents (leur mère, souvent), «à bout, épuisés», peuvent souffler, même s’ils ont parfois du mal à accepter d’en avoir besoin. Eglantine Eméyé le sait bien : accepter de faire hospitaliser Samy à Hyères, à près de 900 km de Paris, où elle vit, lorsqu’il avait 8 ans, a été un déchirement. «Mais grâce à la directrice de l’époque, une femme formidable, j’ai compris que ce n’est pas aimer quelqu’un que de lui imposer une vie qui ne lui convient pas». Là, elle a observé au fil du temps la dégradation de l’hôpital public, entendu l’épuisement des soignants, des éducateurs. Compris la pénibilité de ces métiers, à qui elle voue une profonde admiration. «Ça demande une énergie folle. J’ai entendu beaucoup de choses magnifiques : leur joie de voir naître un sourire, d’obtenir un câlin. Mais au prix de quelle fatigue ? Et pour quelle reconnaissance ? Ce n’est pas un métier qu’on peut faire jusqu’à 67 ans !» tacle-t-elle.

Si on l’a beaucoup entendue prendre position sur le handicap – un«engagement presque obligatoire, qui la dépassait» –Eglantine Eméyé n’en est pas moins présente sur bien d’autres fronts. «Cette conscience de l’état de la société m’est venue tardivement. Et peut-être qu’un combat en entraîne un autre.» En 2015, elle a accueilli pendant plusieurs mois chez elle, dans la chambre inoccupée de Samy, alors hospitalisé à Hyères, un réfugié irakien trentenaire, avec qui elle est restée en contact depuis. De cette «expérience formidable», elle a tiré un livre, et une envie furieuse que les réfugiés soient «mieux intégrés». Qu’importent l’hostilité et le rejet, attisés par l’extrême droite, et qui ont poussé certains maires à renoncer : elle veut continuer de croire qu’on peut ainsi «faire revivre des petits villages», donner un nouveau souffle aux métiers en tension. «Comme avec le handicap, on a toujours peur de ce qu’on ne connaît pas.» Si elle préfère garder pour elle son vote, elle consent chérir «des vertus de gauche», mais se voit «plutôt centriste». Et «très utopiste».

Elle a été très tôt bercée d’autres cultures : fille d’une écrivaine et d’un sous-préfet, elle a grandi en partie en Nouvelle-Calédonie auprès de nounous kanakes, baroudé en Guadeloupe ou au Sénégal au gré des affectations paternelles. Dans cette tribu de huit enfants, à l’éducation «joyeusement bordélique», un peu «saltimbanque», on a pour devise que «rien n’est impossible». Même pas voyager à l’étroit dans un camping-car bricolé, naviguer en Jamaïque ou traverser la Chine en train. Ce virus du voyage ne l’a jamais quittée, même s’il est désormais teinté d’une «culpabilité» écolo, partagée par son fils aîné, étudiant en environnement durable, un peu éco-anxieux. Dans leur tribu désormais recomposée, formée d’un producteur de documentaires et d’une belle-fille étudiante et féministe, on tente d’apprivoiser la vie sans Samy. On goûte à des dîners animés de débats d’idées, qui «font grandir». Elle ne se dit«pas féministe à 100 %», mais salue pêle-mêle la liberté vestimentaire de la génération crop top, l’engagement des nouveaux pères dans la parentalité, le mouvement #MeToo, qu’elle juge «très sain» pour «mettre un coup de pied dans ce bordel honteux», sans pour autant souhaiter tout judiciariser. Ancienne mannequin, elle sait avoir joué les femmes-objets, tout en s’appliquant toujours à «tout faire pour ne pas juste avoir l’air de la jolie potiche. Je faisais hyper gaffe à ce que je portais.» Titulaire d’un DEA de management financier, devenue miss Météo sur Canal + à la fin des années 1990, elle demande à se former au sein de Météo France, pour comprendre. Apprendre, aussi. Une obsession, même à bientôt 50 ans. On lui demande si son âge est un frein à sa carrière télé. Elle balaie : «Je ne crois pas. Regardez Sophie Davant !» Pense plutôt avoir manqué de temps pour cultiver son réseau, pour cause de dévotion familiale, entre autres. Touche à tout, férue de récup, de brocantes, elle s’essaie ces temps-ci à la couture, à la guitare, au bricolage. Rêverait que chacun puisse s’octroyer deux mois par an pour laisser libre cours à ses passions. Récemment, elle a fabriqué seule un poulailler pour ses trois gallinacés, Margaret, Olga et Edwige. En souriant : «Si je m’écoutais, j’apprendrais l’ébénisterie, la poterie, l’arabe…» Mais les journées ne comptent que 24 heures. «C’est hyper frustrant une vie, non ?»

23 décembre 1973 Naissance à Toulouse.

Janvier 2014 Documentaire Mon fils, un si long combat.

Octobre 2020 Tous tes mots dans ma tête (Robert Laffont).

Février 2023 Mort de Samy.


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