dimanche 23 juillet 2023

Lozère : la musicothérapie en psychiatrie, "une autre façon de se parler"



SABRINA KHENFER  Publié le 

Infirmier en psychiatrie, Arnaud Brager intervient dans les différents établissements du département.

Infirmier en psychiatrie, Arnaud Brager intervient dans les différents établissements du département.

Outil de médiation thérapeutique, la musique canalise et aide à s’ouvrir à l’autre.

Bande originale de nos vies, puissante Madeleine de Proust, caresse vibratoire, langage universel, la musique fait bien plus que nous divertir. À l’instar de la peinture, de la danse ou du dessin, elle constitue un médium de choix entre les êtres, notamment lorsque la communication verbale n’est pas permise ou rendue difficile. Stevie Wonder disait à son sujet : "La musique est un monde en soi, avec une langue que nous comprenons tous."

En Lozère, Arnaud Brager est infirmier en établissements psychiatriques. Musicien dans le civil, il exerce son métier en tant que musicothérapeute. Face à lui, des enfants, des adolescents et des adultes aux pathologies variées : schizophrénie, bipolarité, déficience mentale, dépression, troubles du spectre autistique, de l’attachement, des conduites alimentaires… Ses séances, dont les objectifs thérapeutiques sont fixés par l’ensemble de l’équipe, se réalisent en individuel et/ou en groupe, toujours sur prescription médicale et donnent systématiquement lieu à une restitution auprès de l’ensemble des soignants.

Un objet facilitateur

"Lorsque l’on travaille sur la maladie mentale, la sécurisation tient une place prépondérante, explique Arnaud Brager. Beaucoup de patients se verrouillent, d’autres souffrent de troubles de la communication tandis que chez certains, le langage fait tout simplement défaut. Mais si je coupe le verbal au profit du sonore, que se passe-t-il ? Cela offre à ces personnes un autre mode de communication, une autre façon de se parler."

Ici, on ne travaille pas sur l’aspect esthétique ou vibratoire de la musique, celle qui "adoucit les mœurs", bien qu’elle soit parfois utilisée pour toucher certains points de l’histoire sensorielle du patient. Non, ici, le média sonore, l’instrument, est utilisé comme une interface, un objet facilitateur de relation. "On commence souvent par les percussions, qui sont de bons instruments boucliers. Le rythme est aussi plus facile à trouver car il est naturel de taper. On va d’abord travailler l’expression libre, puis la complémentarité en trouvant une pulsation commune. Ensuite, on part sur de la différenciation avec d’autres supports mélodiques."

Canaliser pour mieux communiquer

La musique, l’instrument vont alors venir mettre en action différents processus psychiques chez ces patients. Face à des troubles de la temporalité, de l’organisation, ils vont aider à structurer, à organiser la pensée. Pour certains, la musique permettra d’exprimer un aspect plus expressif et créatif. Pour d’autres, il s’agira de travailler sur la perception de l’autre, en construisant avec lui. "Ce qui est merveilleux c’est que, si on ne peut pas parler tous en même temps, on peut faire de la musique tous en même temps !"

Le travail de groupe va également permettre de jouer sur l’échange des instruments, c’est-à-dire sur la séparation et la tolérance à la frustration. "Chez les patients psychotiques, comme il y a une absence de filtre, il peut aussi y avoir une surenchère sonore. Certains veulent prendre trop de place, rivalisent avec les autres. On va alors faire en sorte que tous puissent exister : par exemple, chacun fait un son, une séquence à son tour, puis écoute l’autre. On peut aussi imaginer canaliser tout cela en écoutant celui qui fait le moins de bruit, ou encore en disant que plus on est nombreux, moins on fait de notes."

La musicothérapie et toutes ses stratégies ouvrent les portes d’un monde où la parole, la syntaxe, la grammaire, ne sont pas les outils dominants de la communication. Cette dernière, d’ailleurs, on le sait aujourd’hui, est essentiellement non-verbale chez chacun d’entre nous. Elle redonne une voix aux patients et leur prouve qu’ils peuvent exister à travers autre chose que leur pathologie ; créer autrement qu’avec leurs symptômes.

 

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