lundi 24 juillet 2023

Le portrait Maryline Gygax Généro, à la santé de la générale

par Laurence Defranoux   publié le 12 juillet 2023

La première femme à diriger le service de santé des armées, brillante et opiniâtre, raconte une carrière émaillée de batailles contre le sexisme.

«Le seul concours à réussir dans la vie, c’est le concours de circonstances.» Maryline Gygax Généro a le sens de la formule, et une extrême sensibilité qui lui fait trouver les mots justes. Des concours, elle en a pourtant réussi beaucoup, et en toutes circonstances, elle qui est une femme, métisse et de condition modeste plongée dans un milieu viriliste, conservateur et élitiste. Première femme à diriger le service de santé des armées et ses 15 000 personnels, elle a terminé sa carrière comme générale quatre étoiles. «Etre en position de commandement d’une structure significative, c’est une consécration, la reconnaissance suprême. Il n’y a toujours pas de femme qui commande une armée française. Mais j’ai ouvert une voie, d’autres peuvent s’y engouffrer.»

Chez les Généro, un nom prémonitoire, on est opiniâtre de mère en fille. En 1957, à 19 ans, sa mère n’hésite pas à quitter son île de la Martinique pour partir en Moselle épouser un sous-officier taiseux. Une double origine dont Maryline Gygax Généro se revendique. D’un côté, des Antillais «dotés d’une force intérieure et exubérants, ce qui est extraordinaire dans un monde où on n’exprime pas forcément sa joie», de l’autre des Lorrains, «fiers et secrets, durs à la peine, qui n’accordent pas facilement leur confiance».

La petite Maryline naît en 1959 en Algérie où son père est affecté et sa mère institutrice. Ses parents décident de n’avoir qu’une enfant, à laquelle ils vouent un amour profond et exigeant. «Ma mère avait une grande force et une foi inébranlable dans la méritocratie. Pour elle, les obstacles étaient faits pour être contournés ou surmontés. Il fallait toujours faire deux choses à la fois. Pendant que je travaillais mes gammes au piano, elle me démêlait les cheveux. Pour elle, avoir de bonnes notes à l’école allait me permettre de sortir de ma condition et d’accéder à des postes où ma parole serait entendue.» La petite fille se dévoue corps et âme à la mission qui lui a été assignée.

Enfant asthmatique, son rêve est de devenir pédiatre. «Je suffoquais, je pensais que je ne retrouverais jamais ma respiration, et je trouvais fantastique qu’un médecin me soulage. J’ai voulu faire médecine pour moi aussi soulager les gens.» Pour éviter à ses parents un sacrifice financier, elle intègre sur concours une école de médecine militaire qui l’engage pour vingt-cinq ans avec l’armée. On est en 1976, et ça ne fait que trois ans que l’établissement s’est entrouvert à 15 % de filles. «Encore aujourd’hui, j’ai le sentiment que la féminisation de l’armée est considérée sous l’angle des risques et non des bénéfices». Angoissée par l’échec, elle étudie avec acharnement, apprécie la discipline et le compagnonnage militaire, ce qui ne l’empêche pas de planquer des garçons dans son placard à l’internat et de jouer au flipper au café du coin.

On est dans les années 80, et l’armée, aussi prompte à utiliser les compétences des femmes en temps de guerre qu’à les renvoyer aux fourneaux ensuite, rechigne à se moderniser. Ses copines s’acharnent et s’entraident, et s’habituent à la récupérer dans les arbres lorsqu’elle passe son brevet de parachutiste, le matériel n’étant pas calibré pour son poids plume. Devenue médecin, on lui refuse, juste parce qu’elle est une femme, l’immense honneur de porter le drapeau de l’école pour le défilé du 14 Juillet, qui lui revient pourtant en tant que majore de sa promo. Mais elle obtient finalement gain de cause auprès du ministre.

Le plus dur reste à venir : à l’issue de sept années d’études, l’armée lui apprend qu’elle ne recrutera plus de nouveaux pédiatres. «Personne n’avait pensé à me prévenir.» Elle se rabat sur la pneumologie, puis se spécialise en cancérologie. Elle assure aujourd’hui : «J’ai pu réaliser une partie de mon rêve en soignant les enfants. J’ai compris que même dans l’adversité, on peut trouver la détermination de se sentir heureux au quotidien.» La médecine reste sa passion. Elle dit adorer la consultation, ce «colloque singulier où les esprits, voire les âmes, peuvent s’ouvrir, au-delà de l’expression des symptômes. La relation humaine est l’essence de la médecine.»

Maryline Gygax Généro veut «tout, sans nuance, une vie de femme, une vie de famille et une vie professionnelle». Et elle l’obtient, à force de travail et d’organisation, et du «soutien inconditionnel» de son mari Christian, officier dans l’armée de terre, et de leurs trois fils. Un commandant de la marine lui ayant affirmé que, lui vivant, il n’y aurait à bord ni lapins ni femmes, elle choisit l’armée de l’air. En plus de son travail à l’hôpital, elle donne bénévolement des cours à la Croix-Rouge, et obtient avec plus de 18/20 l’agrégation de médecine aéronautique et spatiale au terme d’un concours extrêmement difficile. Elle travaille sa voix et ses prises de parole pour se faire respecter. «Lorsque vous êtes une femme dans un milieu d’hommes, que l’on vous considère comme fragile alors que vous êtes endurante, que vous donnez la vie et que vous travaillez dur pour être la meilleure, vous vous sentez dévalorisée par les regards qui marquent cette différence. Mais il faut avancer quand même.» Elle souffre moins du racisme, sauf lorsqu’un ponte lui balance que «les femmes noires sont faites pour être culbutées sur une paillasse».

Nommée numéro 2 de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, Maryline Gygax Généro dirige ensuite l’hôpital Bégin en pleine crise Ebola. En 2017, la ministre Florence Parly, «avec beaucoup de courage», lui confie la prestigieuse direction centrale du service de santé des armées, qui sera son dernier poste. Devenue générale deuxième section, c’est-à-dire en retraite mais toujours à la disposition du ministre des Armées, elle peut enfin porter ses cheveux longs et défrisés : «Je les ai eus très courts pendant longtemps, car c’est une grande inégalité pour une militaire de devoir consacrer deux heures à s’occuper de ses cheveux.» Peu attirée par le farniente, elle se consacre au Collège citoyen de France, une association qu’elle a cofondée avec, entre autres, l’écrivaine Tania de Montaigne et l’artiste JR, sorte d’«ENA du terrain» qui offre des formations gratuites aux personnes de tous milieux sociaux désireuses de se lancer en politique. L’égalité hommes-femmes au sein de l’armée et de la société reste un autre de ses combats. «Pour celles qui me suivent, l’enjeu sera de ne pas être la première et de pouvoir quand même faire une carrière.» Pour cela, la scientifique place beaucoup d’espoir dans les associations de femmes, la féminisation des jurys et l’innovation technologique. «En plus de la grossesse, la grande différence entre les hommes et les femmes est la force musculaire. Avec les exosquelettes et les robots porteurs, cela ne sera plus qu’un détail.»

1959 Naissance en Algérie.

1976 Ecole du service de santé des armées de Lyon.

2001 Professeure agrégée de médecine aéronautique et spatiale.

2017 Directrice centrale du service de santé des armées.

2023 Générale, autobiographie coécrite avec Stéphanie Touré (Fayard).


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