mardi 18 juillet 2023

Interview Au Danemark, «le taux de suicide des transgenres est quatre fois plus élevé que chez les cisgenres»

par Téo Manisier  publié le 11 juillet 2023 

Une étude conduite sur la population danoise depuis 1980 montre que les transgenres sont particulièrement exposés aux gestes suicidaires. Pour la sociologue et coautrice de l’enquête Annette Erlangsen, leur santé mentale est mise à l’épreuve par la stigmatisation et le stress qu’ils subissent. 

Le taux de tentatives de suicide chez les personnes transgenres est sept fois plus élevé que dans le reste de la population danoise. C’est la conclusion édifiante d’une étude menée sur quarante-deux ans par des sociologues danois, publiée le 27 juin dans la revue scientifique Journal of the American Medical Association. Pour la première fois, un travail de recherche s’intéresse à la population d’un pays entier, c’est-à-dire les 6,7 millions de personnes ayant vécu au Danemark entre 1980 et 2021. Annette Erlangsen est sociologue, coautrice de l’étude, et membre de l’Institut danois de recherche pour la prévention du suicide.

Qu’a apporté votre étude par rapport aux autres travaux de recherches sur le taux de suicide des personnes transgenres ?

Bien sûr, nous nous attendions à des taux de tentatives de suicide plus élevés chez les personnes transgenres, mais c’est la première fois qu’une étude utilise des données issues de l’ensemble du pays. Nous avons établi que pour 100 000 personnes transgenres, presque 500 ont déjà commis une tentative de suicide, contre 71 pour des personnes cisgenres. Le taux de mortalité par suicide est quant à lui presque quatre fois plus élevé. Auparavant, les travaux de recherche ne s’appuyaient que sur des sondages ou les échantillons d’une clinique pratiquant des thérapies d’affirmation de genre par exemple. En utilisant des données nationales, nous atteignons une certitude plus grande pour affirmer que les personnes transgenres sont sujettes à un taux de suicide et de tentatives de suicide bien plus élevé.

Avez-vous abouti à d’autres conclusions ?

Oui, surtout en ce qui concerne la mortalité non liée au suicide, deux fois plus élevée chez les personnes transgenres. Même si nous n’avons pas identifié une cause en particulier, nous constatons que les accidents sont un peu plus fréquents, ce que nous interprétons comme un risque plus élevé de problèmes de santé mentale qui pourrait conduire à des comportements à haut risque. Par ailleurs, nous avons aussi noté que le taux de tentatives de suicide chez les personnes transgenres avait baissé au tournant des années 2000. Cela suggère que le sujet devient de moins en moins problématique au fil des années, ce qui résonne avec la prise de conscience progressive sur la transidentité. Mais il ne faut pas oublier que le taux de suicide et de tentatives demeure significativement plus élevé que chez les personnes cisgenres, même depuis les années 2000. Il ne faut surtout pas relâcher le soutien aux personnes transgenres.

Votre étude ne concerne que le Danemark. Les résultats de votre étude peuvent-ils être appliqués à d’autres pays ?

Faute de données disponibles, il est difficile d’identifier un facteur pays en particulier. On peut imaginer que le taux de suicide des personnes transgenres est moins élevé dans les pays libéraux mais, là encore, nous n’avons pas de données déterminantes. Au Danemark, nous avons un système de santé universel et gratuit, qui inclut des soins de santé mentale. Toutefois, nous avons aussi remarqué au fil des entretiens que les personnes transgenres ont souvent peur qu’une aide psychologique soit notée dans leur dossier médical en ligne, ce qui constituerait un obstacle à une éventuelle thérapie d’affirmation de genre. Résultat : non seulement ces personnes souffrent de détresse psychologique, mais elles sont également moins à même à demander de l’aide.

Pouvez-vous élaborer sur cette détresse psychologique ?

C’est ce qu’on appelle l’hypothèse du stress minoritaire. Un phénomène très souvent mentionné pour expliquer les taux plus élevés de suicide parmi les groupes de minorités sexuelles et d’identité de genre. En effet, les personnes transgenres ont l’impression d’être différentes du reste de la société, ce qu’elles perçoivent tous les jours. Par exemple, dans quelles toilettes doivent-elles aller ? Sans compter les réactions d’autrui qui peuvent être également très stressantes à gérer. Il y a des situations de discrimination et même des crimes de haine. Toute cette détresse supplémentaire et la stigmatisation que vous subissez en tant qu’individu signifient que vous êtes plus susceptible de développer des problèmes de santé mentale et donc un risque plus élevé de suicide, malheureusement.

Un problème d’ordre social en somme…

Oui, d’autant que cette stigmatisation est aussi intériorisée. De nombreuses personnes transgenres savent à l’âge de 5 ou 6 ans qu’elles ont un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance. Elles savent déjà qu’elles sont transgenres à cet âge. Faute de pouvoir s’intégrer dans leur environnement, elles perçoivent donc leurs sentiments comme étant incorrects. Ajoutez à cela la stigmatisation exogène, et vous avez un ensemble très difficile à gérer. Le problème n’est pas seulement que ces personnes souffrent de troubles mentaux, mais que ces troubles sont une conséquence de la stigmatisation et des discriminations dont elles sont victimes.

Que peut-il être fait pour améliorer la situation des personnes transgenres ?

La meilleure chose à faire est d’augmenter la prise de conscience à ce sujet. Il est difficile de changer toute la société d’un seul coup. Nous savons comment aider une personne qui a des pensées suicidaires. Mais ce type de soutien est fourni dans le cadre du système de soins de santé mentale, auquel les personnes transgenres ne vont pas. C’est pour cela que nous devons instaurer un soutien local avec l’association LGBT+ Denmark, car c’est un endroit où les personnes transgenres sont prêtes à aller pour remplir des formulaires. Si une personne en connaît une autre qui a des idées suicidaires, il faut à tout prix propose de l’aide.

Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul·e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit 24h /24, 7 jours /7, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu).


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